Portrait d’artiste

De la narration collective aux singularités des identités Nord-africaines : une plongée dans l’univers de Syncretical

L'artiste crée un dialogue entre son héritage et sa culture française natale, fusionnant traditions, culture pop et enseignements philosophiques.

Syncretical,

Syncretical, "fix the bug of the representation“, 2024. Courtesy of the artist.

By Solenne Sinapayen Sinamale

Cette année, plusieurs musées parisiens abordent le passé et l’avenir des récits et des modes de représentation arabes. L’effervescence autour de ce thème est l’occasion d’explorer le travail de l’artiste français multidisciplinaire Syncretical, dont les créations numériques et les poèmes proposent de nouvelles façons de représenter les expériences et les histoires des descendants Nord-africains. À travers son travail, l’artiste cherche des moyens de projeter les individus issus de différentes cultures et lui -même en tant qu’objets syncrétiques.

« Être Nord-africain est pluriel »

Il a récemment publié deux collages sur son Instagram pour « corriger le bug de la représentation » des personnes Nord-africaines. Le premier est un visage mosaïque composé de morceaux de visages des membres de sa famille, montrant les singularités du génotype nord-africain à travers un prisme intime : « Être Nord-africain est pluriel. Du côté de ma mère, les membres de ma famille ont plutôt la peau foncée, tandis que du côté de mon père, ils ont la peau claire et les yeux verts. » Syncretical affirme son appartenance au peuple amazigh, natif d’Afrique du Nord et composé de plusieurs groupes culturels établis dans de nombreux pays du Maroc à l’Égypte ainsi qu’en Mauritanie. L’appellation générique « arabe » nie cette identité qui a eu du mal à être reconnue même au sein des pays Nord-africains.

Le deuxième collage est une affiche de têtes en mouvement qui représente des jeunes hommes et femmes originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient aux styles variés. Cette fois-ci, ces individus ont l’espace de montrer comment ils apparaissent quotidiennement au monde : « L’idée est de surmonter l’image essentialiste et caricaturale de l’Arabe français », explique Syncretical à propos de son œuvre.

Syncretical, CyberKsar, 2024. Courtesy of the artist.

Syncretical a expérimenté des techniques 3D pour approfondir l’auto-représentation et la narration. Depuis son monde fictif « CyberKsar », il permet à son jumeau virtuel de partager son expérience de la religion. Très connecté à son téléphone et aux réseaux sociaux, l’artiste s’est demandé comment il pouvait faire converger son illumination spirituelle de la vie réelle et celle de son monde virtuel pendant le mois de Ramadan : « Lorsque vous priez ou méditez, vous vous installez dans un espace infini. Cet espace virtuel n’a pas de frontières physiques, il est immense tout comme le monde qui est en moi. Maintenant, j’ai l’opportunité de matérialiser cet espace grâce à la 3D. » Le Ksar (forteresse) intérieur virtuel est inspiré des paysages nord-africains transmis à l’artiste. Son avatar évolue au sein de ses propres histoires et de son propre espace fait de modestes bâtiments flottants couleur ocre, surplombés de terrasses et de paraboles.

Il m’a semblé naturel d’utiliser Homère pour présenter les Gnaouas [guérisseurs] et les Chouaffa [voyantes] sur une bande-son de Kanye West.

Ce cadre personnel contraste avec les premières œuvres d’art de Syncretical, qui s’appuyaient sur des mythes bien connus. Syncretical Odyssey (2021) est une réécriture futuriste de L’Odyssée d’Homère qui se déroule dans cent ans. Des soucoupes volantes survolent les cieux africains et Ulysse cède la place à Younysse. Le jeune héro rencontre des dieux grecs hybrides arborant les tradtionnels wachem (tatouage), un langage symbolique considéré comme repoussant par les occidentaux pendant la colonisation. Syncretical réfléchit à Syncretical Odyssey comme la première étape de son voyage : « Cette œuvre représentait ma recherche d’identité. Il s’agissait plutôt d’une superposition de pièces culturelles qui parlent à chaque rive de la mer Méditerranée. Il s’agissait aussi de savoir à qui je voulais m’adresser. Comment puis-je parler de l’endroit d’où je viens à mes amis et aux personnes qui comme moi vivent dans le monde occidental ? Il m’a semblé naturel d’utiliser Homère pour présenter les Gnaouas [guérisseurs] et les Chouaffa [voyantes] sur une bande-son de Kanye West. Ce sont des choses que je connais et que j’aime ». Syncretical utilise ces différents aspects pour guider le public à travers son récit, mais il lutte également contre le classisme en mettant toutes ces cultures sur un pied d’égalité. « Mon histoire n’est pas quelque chose d’intouchable, » dit-il. « C’est une histoire alternative pour les personnes qui en ont besoin ».

Syncretcial, Odyssée Syncretical, 2012. Courtesy of the artist.

Syncretical se considère comme un artiste futuriste Nord-africain, inspiré par des mouvements culturels tels que l’Afrofuturisme et le Futurisme du GolfeEn 2012, les artistes Fatima Al Qadiri et Sophie Al-Maria ont décrit le concept du Gulf Futurism dans le magazine Dazed. Leur série de photos The desert of the unreal (2012) interrogeait l’avenir de nos habitudes de consommation et ce qu’il restera des lieux qui symbolisent les modes de vie consuméristes, en particulier dans la région du Golfe, qui a connu un développement rapide. Du milieu à la fin du 20ème siècle, plusieurs artistes afro-descendants, et plus particulièrement Afro-Américains ont ressenti la nécessité d’imaginer de nouvelles histoires pour leur peuple et pour l’Afrique. Ils ont créé de nouvelles images et de nouveaux sons impliquant l’existence de technologies avancées, prenant le contrôle de leurs récits et se débarrassant du fardeau de l’impérialisme et du capitalisme dans leur représentation.

Cette approche politique est présente dans l’œuvre de Syncretical, qui tente de réhabiliter la représentation de valeurs telles que le pouvoir et l’indépendance autour des femmes Nord-africaines, et d’introduire la patience et la transmission comme fonctions culturelles des hommes arabes, souvent représentés comme violents dans les médias occidentaux. Syncretical réfléchit également aux possibles utopies hybrides qui pourraient trouver leur source dans les villages Nord-africains, incarnant des échanges transfrontaliers et un point de départ pour partager le syncrétisme avec le reste du monde.

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Pour valoriser ces héritages, l’artiste garde toujours un pied dans le monde réel. Il collabore avec l’organisation culturelle Kif Kif Bledi, qui valorise et enseigne les danses du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie et du Liban. En décembre 2023, la compagnie a été invitée à l’Institut du Monde Arabe de Paris pour mettre en lumière les cultures amazighes. La vidéo Moussem 2.0 (2023) de Syncretical, présentée en introduction à la démonstration des danseurs, mêlait des archives des traditions amazighes avec des images de villes Nord-africaines et des personnages hybrides. Ce panorama invitait le public à entrer en communion culturelle grâce à un rythme enchanteur, avant de laisser les danseurs exprimer leur énergie puissante à travers leurs corps. Ce travail coopératif est typique de la démarche de Syncretical, qui embrasse la connexion entre différentes formes d’art.

Syncretical projette des histoires hybrides dans le futur pour revenir au présent. Pour la représentation contemporaine de sa culture et de personnages tels que Younysse, Syncretical souhaite toujours plus d’exploration. Selon lui, fixer son identité signifierait la fin de celle-ci : « Nous pensons souvent que nous devons trouver la réponse, mais ce n’est pas obligatoire. J’aime l’idée que je peux être différentes choses en même temps. L’essentiel est de continuer à traverser différentes étapes. » Le but ultime pour la représentation des personnes d’origine Nord-africaine, et des histoires des minorités à plus grande échelle, est d’accéder au privilège de naviguer librement entre leurs différentes identités sans être constamment réduites à l’une d’elles. L’œuvre de Syncretical nous emmène dans un voyage au cours duquel nous balançons entre la réappropriation d’une perception externe et la connexion à un soi intérieur, entre les notions d’individualité et de communauté. La possibilité pour un jeune artiste numérique d’investir des imaginaires virtuels, couplée à l’accessibilité des réseaux sociaux constitue un terrain fertile pour développer l’avenir des représentations et les placer à portée de clic.

 

 

 

Solenne Sinapayen Sinamale est passionnée par les arts visuels et la littérature. Elle s’intéresse à la relation entre les œuvres culturelles et la construction des identités multiculturelles, notamment dans un contexte français. Après avoir animé une page de contenu culturel sur Instagram pendant deux ans, elle réalise désormais un projet de photo-écriture, « Le journal de ma mère », qui sera exposé à Paris en novembre 2024.

 

Traduit de l’anglais par Manyakhalé „Taata“ Diawara. 

 

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