HERE AND NOW: Nkiruka Oparah

Comment changer de forme dans un monde numérique intersectoriel ?

Nkiruka Oparah, artiste non-binaire, auteurice et curateurice, utilise une multitude de médiums afin d’explorer les identités plurielles, les formes techno-cosmologiques d'auto-réinvention, et plus encore. Iel figure parmi les artistes présenté·es aux côtés de Contemporary And, The Nest Collective, CUSS avec Vukani Ndebele, et Frida Orupabo dans l'exposition HERE AND NOW at Museum Ludwig: Dynamic Spaces, organisée par Romina Dümle à Cologne. Avant le vernissage, nous avons discuté avec Oparah de l'installation multimédia qu'iel présentera à partir d'une série d'œuvres nées d'une réflexion sur la création et les points d'origine.

Nkiruka Oparah, SUOON, Tile 1 (Detail), 2020. Courtesy the artist.

Nkiruka Oparah, SUOON, Tile 1 (Detail), 2020. Courtesy the artist.

By Will Furtado

Contemporary And : Vous travaillez avec des médiums très différents, par lesquels avez-vous commencé votre pratique et comment avez-vous évolué ?

Nkiruka Oparah : J’ai commencé avec le dessin et le collage. Puis, du collage sur papier au collage numérique : facile d’accès, peu cher et l’approvisionnement est potentiellement infini. Je suis devenu·e complètement fasciné·e par la boucle sans fin des GIF en ligne, je les utilisais pour explorer les gestes, les changements subtils dans une image, le corps. Pendant mon MFA [Master en arts], j’ai disposé de mon premier espace d’atelier où j’ai pu explorer et me développer encore plus. J’ai tenté de restreindre les médiums que j’utilise mais… je finis toujours par transgresser mes propres règles. Depuis peu, je considère ma pratique comme étant avant tout du dessin. Le travail s’étend ensuite aux textiles, aux imprimés, aux performances et à la vidéo.

Nkiruka Oparah, SUOON, Tile 3 (Detail), 2020. Courtesy the artist.

C& : Comment différenciez-vous vos pratiques en tant qu’artiste, curateurice et auteurice ?

NO : Actuellement, la plus grande partie de mon travail curatorial se déroule au sein de mon collectif, 5/5 (Five Fifths). On organise des expositions collectives, et j’ai aussi cocuraté différentes expositions par le passé. L’écriture occupe également une place importante, le plus souvent sous la forme de poèmes ou de méditations autour d’un sentiment ou d’un concept particulier. Dernièrement, j’ai travaillé sur le ralentissement de l’écriture en sons.

C& : Pourquoi est-ce important pour vous de vous engager vers l’idée d’une identité substantielle, et comment procédez-vous à travers votre pratique artistique ?

NO : Je crois que ce que je veux réellement exprimer, c’est l’idée d’un moi pluriel et non singulier. Je pense qu’il est important de réussir à devenir intime avec les nombreux moi de la psyché qui composent une personnalité plutôt que de s’attacher à une partie ou une autre. J’ai également réalisé un bon nombre d’œuvres (masques, sculptures molles, dessins performés) qui ont pour sujet et/ou pour vocation de communiquer avec les ancêtres, la terre et d’autres présences immatérielles à travers le temps. La façon dont je dessine le corps a changé depuis que j’ai commencé à réaliser des collages numériques. Je réfléchis constamment au corps à une échelle à la fois cosmique et microscopique. L’un des motifs récurrents dans mes dessins est formé d’un point entouré d’un cercle. Il symbolise pour moi plusieurs choses : un œil, une cellule unique, un corps planétaire avec un anneau orbital, un microbe, une conscience auto-organisée dans l’espace, un quanta et son champ. J’utilise ce motif et je construis des paysages et des figures de sorte que la forme se compose d’autant de petits yeux de cellule. Je souhaite m’éloigner de la représentation d’une personne comme individu, comme organisme unique et autonome. Je voudrais que les dessins transmettent ces relations plus étendues, symbiotiques, constitutives du moi.

Nkiruka Oparah, SUOON, Tile 4 (Detail), 2020. Courtesy the artist.C& : Votre travail actuel se penche sur la relation entre les images imprimées, les objets numériques et le corps. Comment négociez-vous la tension qui naît de la réunion de certains de ces éléments ?

NO : Honnêtement, je cherche toujours. La seule méthode que je connaisse pour négocier cette tension est de tout ressentir. D’accepter l’échec. De faire preuve de patience avec ce qui essaie de sortir. Je pense que le va-et-vient entre les objets fabriqués à la main et les objets numériques est un phénomène propre à notre époque. J’ai décéléré ce va-et-vient en exécutant des dessins lents et méditatifs à travers un travail minutieux de la ligne. La lenteur m’a permis d’en apprendre beaucoup sur moi-même et sur ce qui motive les images. L’écriture aide aussi. Le dessin sur l’iPad me plaît beaucoup, mais je n’ai pas encore réussi à faire quelque chose qui relie vraiment les trois comme je le voudrais. J’aimerais vraiment travailler dans un atelier plus grand qui me permette d’explorer les possibilités de différentes échelles.

Nkiruka Oparah, SUOON, Video Still, 2020. Courtesy the artist.

C& : Pouvez-vous me parler de votre œuvre pour l’exposition au Ludwig Museum ?

NO : Je vais présenter une installation multimédia. Elle se compose d’un travail vidéo et d’un grand dessin / collage numérique suspendu sur tissu. Ces deux œuvres sont issues de mon projet actuel, SUOON. Cette série est née d’une réflexion sur la création et les points d’origine. Comment ma notion du lieu, d’un point de genèse, m’oriente-t-elle vers (ou loin de) le monde qui se déploie autour de moi ? Comment ma notion de l’ici m’a-t-elle animée ou au contraire paralysée ? Mon corps ? Ces œuvres répondent à un intérêt pour le développement d’un nouveau langage autour du genre, pour les expériences médiatiques sur les personnages liminaux aux formes changeantes dans des orientations temporelles intersectionnelles, et pour la création de lieux diasporiques. SUOON tente de créer un espace qui commence à cartographier ma vision actuelle du monde et mes idées sur mon identité. Les dessins sont des propositions pour ces recherches, tandis que les animations et le travail vidéo sont des formes techno-cosmologiques d’auto-réinvention. Une pratique de construction d’univers.

 

HERE AND NOW at Museum Ludwig: Dynamic Spaces, du 6 juin au 30 août 2020.

 

Entretien réalisé par Will Furtado.

 

Traduit par Gauthier Lesturgie.

 

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