C& Édition Papier #8

Douala est-elle la capitale de l’art contemporain au Cameroun?

Le curateur Yvey Makongo s’interroge sur la position de Douala comme centre national de l’émulation artistique, au regard du rôle historique de la ville en tant que port principal du pays

Pascale-Marthine Tayou,
La Colonne Pascale, SUD2010.

Pascale-Marthine Tayou, La Colonne Pascale, SUD2010.

By Yves Makongo

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En raison de sa position géostratégique,
la ville portuaire de Douala a été, entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe siècle, la principale porte d’entrée et de sortie du Cameroun. Bénéficiant de cette situation, 
la ville a suscité l’attrait des populations de l’intérieur, ce qui lui vaut aujourd’hui une grande diversité culturelle. Les premiers contacts avec les Occidentaux ont aussi favorisé l’introduction de la peinture
sur chevalet comme moyen d’expression artistique. Nous allons parcourir l’évolution de l’art, des différentes dynamiques associatives et institutionnelles qui ont participé à la construction d’une scène artistique riche et féconde. Des premiers peintres autodidactes aux jeunes gens ambitieux qui sortent des beaux-arts, en passant par les regroupements d’artistes
et les différentes structures privées qui ont construit cette scène artistique plurielle.

Image illustrative de peinture sur dame-jeanne

LE TEMPS DE LA PEINTURE FIGURATIVE

La peinture sur chevalet introduite par les colons allemands en 1900, et poursuivie
dans les années 1920 par les Français, a permis l’éclosion d’une première génération d’artistes très prolifiques. Le grand maître Lobè Lobè Rameau (décédé en 1988), artiste- peintre et musicien, célèbre pour son jeu de guitare, allait ainsi contribuer avec d’autres
à l’éclosion d’un genre musical du terroir Sawa, devenu international : le Makossa dans les années 1950. À ses côtés se trouvaient des gens tels que Martin Jombè I, Edimo Lazare, Massoma Jean, Seppou Jacques, Eyidi Ngimè, Mbongolo Paul, Ngimè Joseph, Berville Bernard. Les productions de la majorité des peintres de l’époque se limitaient à 10 une transcription figurative naïve de leur environnement : des scènes de paysages – le pont sur le Wouri était très prisé – et de la vie quotidienne, ou en milieu paysan, sur tous supports, et particulièrement les dames- jeannes en verre. Des toiles plus entachées d’exotisme que de véritable recherche et justification plastiques. Les principaux clients de ces productions se trouvaient généralement parmi les Occidentaux de passage ou établis dans la ville.

LE TEMPS DES GROUPES ET DE L’ART MODERNE

À partir des années 1970 arrive une
nouvelle génération d’artistes liée à Martin Djombè II, qui avait beaucoup côtoyé la première génération. Ce nouveau groupe présente une dynamique associative forte :
 à l’instar de l’atelier Art Nègre (1968) du révérend père Engelbert Mveng à Yaoundé, l’Atelier Viking, véritable pôle d’attraction, est créé à Douala en 1976. C’est un lieu où sont nées des réflexions enflammées sur
une écriture spécifiquement africaine qui cherche à s’émanciper des canons esthétiques de l’art occidental et de la représentation figurative des pionniers des années 1940- 1950. S’ensuivent tour à tour différents collectifs et mouvements (Cercle Maduta, CAPLIT – Collectif des Artistes Plasticiens du Littoral –, Squat’art (1)…) avec les artistes Viking, Koko Komegne, Combattant Mboua Massok, Nya Delors, Atakoua et d’autres artistes aujourd’hui disparus. La génération suivante formée par ces derniers va s’enrichir de quelques artistes venus des écoles européennes et de Yaoundé (Joël Mpah Dooh, Goddy Leye).

Koko Komegne, Visages de femmes, acrylique sur papier, 60 x 50 cm, 2015.

LE TEMPS DES INSTITUTIONS ET DES INITIATIVES PRIVÉES


Après les années de braises des « Villes mortes » (1990-1992) avec certains artistes qui sont passés à la politique (Combattant Mboua Massok par exemple), on assiste à une revitalisation de la scène artistique doualaise. En dehors de l’Institut français qui présente des œuvres d’art, les artistes voient naître l’Espace doual’art en 1991 avec une première opération d’envergure, le doual’art Pop 93 qui révèlera nombre d’artistes qui feront carrière, ainsi que la galerie MAM en 1995, véritable galerie commerciale. Ces deux structures pèsent encore de tout leur poids aujourd’hui dans la maturation de l’écriture plastique et de projets des artistes camerounais en général. À côté de ces structures, beaucoup d’autres initiatives privées ont vu le jour, à l’exemple du Last Pictures Show de Catherine Pittet. Les artistes eux-mêmes ont pesé sur la scène artistique contemporaine lors d’expositions comme Iconoclast Masters en 1996 avec Goddy Leye, qui réunissait les artistes des associations Kheops Club de Douala et Prim’art de Yaoundé (2). Leye fondera plus tard ArtBakery, qui sera l’un des principaux pôles d’émulation artistique au Village des arts à Bonendale. Le Cercle Kapsiki, initiative de cinq artistes (Blaise Bang, Salifou Lindou, Jules Wokam, Hervé Yamguen et Hervé Youmbi) en 1998, mènera un questionnement sur la place et le rôle de l’art dans l’espace urbain. Avec Jean- Christophe Lanquetin, en 1999, naîtra l’idée des Scénographies Urbaines.

doual’art pop 93, 152 mètres de palissade, face marché Madagascar. 5 maîtres d’atelier : Koko Komegne, Joël Mpah Dooh, René Tchebetchou, Baby Kouo Eyango, Aimé Tallo ; et 25 jeunes en formation

Proche du pouvoir, la scène artistique
de Yaoundé n’a pas beaucoup de liberté, contrairement à celle de Douala, la rebelle
qui a produit très tôt des expressions libres. L’autre particularité de l’art à Douala est
sa présence urbaine, avec une production d’œuvres d’art public qui constituent un véritable musée à ciel ouvert, dont la majorité est produite par doual’art avec le festival triennal SUD (Salon Urbain de Douala). Ce projet a su scénographier dans l’espace urbain des créations d’artistes de Douala, ainsi que de Yaoundé et de la scène internationale. À
ce jour, la ville présente plus d’une vingtaine d’œuvres pérennes (3) et sera enrichie de plus d’une dizaine au terme du SUD2017 (5-10 décembre 2017).

Depuis 2010, diverses écoles et autres instituts des beaux-arts ont ouvert leurs portes dans
le pays. Ils produisent de nouvelles cuvées
de jeunes artistes et historiens de l’art qui, pour la plupart, se ruent vers Douala et, nous l’espérons, enrichiront la scène artistique et s’attelleront activement à l’excavation de la jeune histoire de l’art camerounais.

 

(1) Talk des artistes Viking, Koko Komegne et Mboua Massok, exposition L’Autre Viking, Doual’art, 2017.

(2) Nicolas Bissek, Les Peintres de l’estuaire, Paris, éditions KARTHALA, 1999.

(3) Iolanda Pensa, Public Art in Africa, Genève, MētisPresses, 2017.

 

Yves Makongo est un jeune curateur spécialiste en géographie. Il a étudié à la Àsìkò Art school à Addis-Abeba en 2016 et à Accra en 2017. Depuis 2011, il est assistant artistique et chef de projet au centre d’art contemporain doual’art au Cameroun, où il vit et travaille.

 

Cette article a été publiée pour la première fois dans notre dernier édition papier #8. Lisez le édition complet ici.

 

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