Suite à une programmation de la bibliothèque indépendante de Londres, l’autrice et curatrice Haja Fanta présente des titres phares de son riche fonds.
Tint Library Space. Photo: Haja Fanta
Fondée par Mariam Adesokan vers la fin de l’année 2023, Tint est une petite bibliothèque de prêt qui fournit des ressources sur et autour de l’art Noir. Bien qu’elle ne dispose pas d’un local permanent, elle a réussi à fédérer une communauté fidèle, preuve de l’influence qu’exercent les initiatives indépendantes sur l’accès à la culture et l’acquisition collective de connaissances. Opérant en dehors du cadre institutionnel traditionnel, la bibliothèque donne la priorité à l’accessibilité et au partage du savoir tout en créant un espace communautaire engagé et ouvert qui promeut la pensée artistique noire.
Lorsqu’au printemps Tint a étendu sa mission au-delà de ses étagères à l’occasion d’un pop-up d’un mois dans le sud-est de Londres, elle nous a rappelé que les bibliothèques ne sont pas seulement des tiers espaces à occuper, mais aussi des lieux qui créent des opportunités de se former en partageant des connaissances. Le programme proposait des ateliers de codage et de reliure de livres, des conférences et des projections mettant en avant des artistes et des penseur·ses de toutes générations comme Barby Asante, Daniel Oduntan, Darryl Daley, Nabil Al-Kinani et Onyeka Igwe. À une époque d’appels répétés à censurer les bibliothèques au Royaume-Uni, Tint assume résolument la responsabilité de développer des espaces civiques.
Tint travaille encore à élargir son fonds, la bibliothèque possède déjà un grand choix d’ouvrages contemporains, de magazines et de DVD, dont un nombre croissant de publications indépendantes. En explorant la bibliothèque, j’ai particulièrement apprécié de voir à quel point les thématiques proposées étaient en adéquation avec le climat actuel. Alors que la culture queer, la littérature féministe noire et le colonialisme, entre autres, restent anecdotiques dans la plupart des bibliothèques, elles en forment ici l’épine dorsale.
Hamishi Farah, Airport Love Theme, Book Works, 2020. Photo: Haja Fanta
Airport Love Theme d’Hamishi Farah (Book Works, 2020)
Inspiré de faits réels, ce roman graphique illustre avec humour les illusions et la violence caractéristiques des frontières. Farah, originaire de Somalie de nationalité australienne a déjà essuyé trois refus d’entrer aux États-Unis. Le roman passe en revue les contradictions auxquelles l’artiste se heurte alors que ses œuvres traversent librement les frontières internationales, tandis que sa personne fait l’objet de surveillance, de suspicion et de refus. L’histoire se déroule principalement dans un centre de détention et montre comment l’allégeance à un État-nation érode la solidarité, même parmi les personnes qui partagent la race, la culture ou l’origine de Farah, transformant des alliés potentiels en agents du système.
Binyavanga Wainaina, How to Write about Africa, Hamish Hamilton, 2022. Photo: Haja Fanta
How to Write About Africa de Binyavanga Wainaina (Hamish Hamilton, 2022)
Un recueil d’essais mordant et satirique qui décortique la langue réductrice et souvent condescendante utilisée pour décrire le continent africain. Portant sur des thèmes tels que la culture queer, les conflits et la représentation, ces essais remettent en question les récits dominants façonnés par les médias et les traditions littéraires occidentales. Binyavanga Wainaina, lauréat du prix littéraire Caine Prize for African Writing, est malheureusement décédé en 2019.
Kaleem Hawa, Like a Bag Trying to Empty, Wendy’s Subway, 2024. Photo: Haja Fanta
Like a Bag Trying to Empty de Kaleem Hawa (Wendy’s Subway, 2024)
Écrit à la suite du décès de Walid Daqqa en avril 2024, cet essai est une réflexion sur la vie et la pensée de l’écrivain politique palestinien qui a passé trente-huit ans emprisonné par le régime sioniste. Hawa retrace l’histoire du mouvement des prisonniers palestiniens, répertoriant les grèves de la faim, les échanges de prisonniers et l’impact psychologique de l’incarcération. Il retrace la transformation du village de Majdal en site de la prison d’Askalan, tressant une réflexion puissante autour de la terre, la résistance et le temps. La présence de Daqqa apparaît et s’éclipse tour à tour à des moments cruciaux de l’histoire récente de la Palestine.
Martine Syms, Neural Swamp, Philadelphia Museum of Art and Yale University Press, 2022. Photo: Haja Fanta
Neural Swamp de Martine Syms (Philadelphia Museum of Art et Yale University Press, 2022)
Née d’une installation immersive créée par Syms au Philadelphia Museum of Art, cette publication approfondit ses recherches continues des systèmes machines, questionnant la manière dont les personnes noires peuvent exister dans les technologies et les infrastructures qui effacent et méjugent si souvent les corps, les voix et les récits noirs. Cet ouvrage comprend des contributions d’Amanda Sroka, Christina Sharpe, Irene Calderoni et Syms en personne.
Steven Cuffie, Women, New York Life Gallery, 2022. Photo: Haja Fanta
Women de Steven Cuffie (New York Life Gallery, 2022)
Ce magazine en édition limitée présente une série tendre et intime d’images en noir et blanc de femmes et de la ville de Baltimore prises par Steven Cuffie dans les années 1970. Publié à titre posthume, il présente des photographes d’amoureux, de petites amies et d’inconnu·es. Alors que Cuffie exerçait professionnellement comme photographe, ce corpus d’œuvres livre un aperçu inhabituel d’une pratique artistique généralement confidentielle et fait de la sélection réalisée par son fils Marcus Cuffie un choix unique et particulièrement singulier.
Haja Fanta est une curatrice, chercheuse et autrice à la pratique internationale et diversifiée. Elle partage son temps entre Londres et Dakar. Fondatrice du Studio Marrah, un studio de recherches curatoriales, elle collabore avec des artistes, des organisations et des institutions afin de réaliser des expositions, des projets et des programmes engagés et cohérents dans les domaines de l’art et de la culture. Elle travaille aussi pour RAW Material Company comme curatrice assistante.
Traduit par Myriam Ochoa-Suel.
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