Biennale internationale de Casablanca

Les nombreux langages de l’art contemporain

La Biennale explore les liens entre diverses formes artistiques et pave la voie aux narrations visuelles qui remettent en cause les récits établis.

Amira Hanafi, A dictionary of the revolution. Vocabulary box (2014). Courtesy the Artist.

Amira Hanafi, A dictionary of the revolution. Vocabulary box (2014). Courtesy the Artist.

By John Owoo

Intitulée « Les Mots créent des images », la 5eBiennale internationale de Casablanca s’est immergée dans les champs du texte, des mots, des signes et des langues. Les œuvres ont exploré l’héritage linguistique colonial en Afrique et au-delà, tout en interrogeant les modalités par lesquelles la langue influe sur les systèmes de pensée et, par extension, sur les discours et les interprétations d’une œuvre d’art, tant de par sa matière que son sens métaphorique.

Développée par l’historienne et critique d’art Christine Eyene assistée des commissaires Selma Naguib (Maroc), Patrick Nzazi Kaima (République démocratique du Congo), Onana Amougui Juste Constant (Cameroun) et Jacques-Antoine Gannat (France), la Biennale se caractérise par des œuvres aux portées conceptuelle et visuelle stimulantes.

Ziad Naitaddi, Epilogue. Courtesy of BIC

Le BIC Project Space accueille les figures noires surdimensionnés de l’artiste marocaine Khadija Tnana, souplement accrochées à un matériau transparent. Oscillant délicatement dans le hall d’entrée, elles abordent le thème de la discrimination et de ses problèmes afférents, avec des mains peintes en rouge surgissant dans une tentative d’offrir un soutien que ces personnages semblent rejeter. D’après l’artiste, la figure de la peinture raconte l’histoire d’une femme esclavisée qu’elle a connue enfant. Elle se souvient de cette femme isolée, travaillant sans cesse, incapable de fraterniser avec les autres. Avec poésie, Tnana confronte son public à cette présence, cryptée dans les thématiques de l’isolement, de la discrimination et de la marginalisation.

En ce même lieu sont données à voir les photos du photographe marocain Ziad Naitaddi qui explorent les vies de personnes au fil d’une recherche filmique proche de la forme du documentaire-fiction, imprégnée des perceptions et des croyances personnelles de Naitaddi. En optant pour la technique de projection d’images accompagnées de textes, Naitaddi présente des photos auxquelles il s’identifie – émotionnellement et physiquement.

Réparties en trois sections, les œuvres exposées à l’American Arts Centre vont de la photographie/du vidéo art à la performance en passant par des techniques mixtes. Elles interrogent les pratiques artistiques dominantes, une conscience des récits et des diverses formes de discours qui entourent ces sujets.

Reproductions of African Writers Series book covers and slideshow with photographs by George Hallett. Courtesy of BIC.

D’autres œuvres s’intéressent aux langues comme formes de la conversation, de systèmes de connaissances à travers l’animation et les dessins. Une présentation immersive de plus de trente reproductions de la African Writers Series, un livre produit par George Hallett en 2006, qui comprend plus de cent portraits en noir et blanc d’écrivain·e·s d’Afrique, en particulier d’Afrique du Sud. Les portraits du livre sont organisés selon un ordre chronologique qui illustre l’évolution des conditions et des rôles de ces écrivain·e·s entre les années 1960 et aujourd’hui.

L’artiste et activiste queer Brandon Gercara présente des œuvres qui mettent en relief les courants de domination dans un contexte post-colonial. Elles se rattachent directement à la libération de la diversité sexuelle et de la multiplicité des genres avec lesquels s’identifient les habitants de l’île de La Réunion, dans l’océan Indien. Gercara transpose ces idées dans une performance et crée une situation lors de laquelle les spectateurs font l’expérience de leurs propres corps genrés. Ce faisant, le corps politisé est confronté au son, aux actions performatives, à la vidéo et aux objets qui servent de médiateurs de cette identification.

Brandon Gercara, Lip sync of thought. Installation view at Biennale Internationale de Casablanca, 2022. Courtesy of the artist.

La photographe sud-africaine Lebohang Kganye relie son intérêt marqué pour la sculpture et la performativité des archives et de la mémoire à ses photos noir et blanc qu’elle expose à la So Art Gallery dans une démarche d’exploration de l’histoire fictive. Elles racontent des histoires de prétendus « gardiens de la lumière » en faisant fusionner des personnages imaginaires avec de véritables personnages. Comme dans les travaux de l’artiste états-unienne Kara Walker, ces personnages sont présentés tels des objets découpés dans du carton qui tiennent debout de façon autonome. Ils sont inondés de lumière afin de projeter des ombres qui créent un jeu de piste théâtral et invitent les visiteurs à y entrer et à interagir avec chaque scène initiatrice de nouvelles histoires.

Inspirées par le photographe malien Seydou Keïta, les œuvres de l’artiste états-unienne Aisha Jemila Daniels comprennent des portraits de personnes aux styles et costumes traditionnels éclatants, sans oublier leurs coiffures. Révélatrices d’une dynamique émotionnelle, elles dévoilent des relations individuelles et conjointes. Ainsi, ses images affichent une unité dans la diversité à travers leurs similitudes visuelles et culturelles.

Aisha Jemila Daniels, Issue 6. Courtesy of the artiste.

Des conversations, des dialogues et des ateliers ont eu lieu dans divers espaces, dont le musée de la Fondation Abderrahman Slaoui, l’American Arts Center, la So Art Gallery et le BIC Project Space. Parmi les thématiques abordées, on a pu compter « Les notions de nomadisme, de déplacement, d’expériences diasporiques et de croisements culturels », « Écrire sur l’art en Afrique », « Recherche, formats et pratiques collaboratives dans les biennales en Afrique et dans le monde » et « Les langues du changement ».

La Biennale intitulée « Les Mots créent des images » a mis en lumière la multitude des potentialités et offert diverses opportunités d’examiner le passé et, probablement, d’affronter le présent. Une lueur d’optimisme apparaît, notamment pour les biennales montantes qui se taillent peu à peu leur place dans un monde de l’art en pleine expansion.

Ces dernières années, les biennales de Bamako et de Dakar ont indéniablement attiré une attention considérable grâce à tout un ensemble de facteurs – les comités de sélection, les équipes de conservateurs et de directeurs artistiques originaires de divers pays. Elles ont ouvert les festivals d’art au monde de l’art et au-delà.

À l’exception de la période de la pandémie, la Biennale de Casablanca a su préserver sa continuité. Depuis, elle a migré vers des espaces de galeries disséminées dans les quartiers de la ville et s’est ouverte à une large implication du public. Entre ses éditions, elle s’est engagée au cœur de manifestations plurielles – autant des signes annonciateurs d’un futur prometteur.

 

La 5ème Biennale Internationale de Casablanca se déroule en deux temps, avec des expositions et des animations du 17 novembre au 17 décembre 2022 et du 9 février au 11 mars 2023.

 

John Owoo est un journaliste anglophone et francophone du Ghana.

 

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