C& Édition Papier #8

Yaoundé, un réveil contemporain

La toute première galerie d’art contemporain de la capitale camerounaise ravive l’ambition de nombreux artistes à travers le pays

Christian Etongo, Performance at RAVY Biennale 2016. Photo: Francis Omgba

Christian Etongo, Performance at RAVY Biennale 2016. Photo: Francis Omgba

By Monica Nkodo

Le 30 mai 2017, la capitale camerounaise
a inauguré sa toute première galerie d’art contemporain. Ce nouvel espace d’expression artistique a ranimé nombre d’ambitions
chez les artistes du pays tout entier. L’art contemporain se révèle sous un autre jour à Yaoundé, et les plasticiens, déjà très actifs,
se voient offrir un territoire d’éclosion supplémentaire. Allons sur les traces de cette conception neuve de l’art visuel camerounais, qui souhaite porter haut sa voix à travers le continent et au-delà.

Interloqués, choqués, en colère. Les badauds de Yaoundé s’arrêtent lentement devant
le corps inerte de Christian Etongo. Au
sol, l’artiste-performeur vient de se voir recouvrir le visage de terre. « Est-il mort ? », se demandent ces hommes et femmes
qui ignorent qu’ils sont des spectateurs improvisés d’une performance. Cet art particulier qui tire son essence du visuel,
est fait pour bouleverser les idées reçues, dénoncer une société où les faibles n’ont jamais eu droit de cité. Dans cette posture d’être sans vie, Christian Etongo, l’un des pionniers d’une génération de performeurs camerounais, parlait ainsi pour les personnes mortes dans l’anonymat.

L’artiste réputé pour ses performances atypiques autour des rituels mystiques
et traditionnels africains a le courage de bousculer la réflexion. La biennale intitulée Rencontres d’arts visuels de Yaoundé (RAVY), arrivée à sa cinquième édition en 2016, lui a donné la possibilité de dévoiler ses acquis. Les RAVY, inédits dans la capitale camerounaise, tendent la main à des disciplines comme la performance, et cueillent des spectateurs dans les rues et ruelles de la ville. Du 29 novembre au 2 décembre 2017, Christian Etongo poussera un peu plus loin la pratique de cette catégorie artistique au cours du
« Perform’Action Live Art », à Yaoundé, premier festival consacré à la performance au Cameroun. 
Yaoundé a une longue histoire avec les plasticiens. Si la volonté d’utiliser son
corps, de le livrer en pâture pour passer un message militant, hédoniste ou libéré est à ses balbutiements au Cameroun, d’autres arts visuels (moins risqués penseront certains) comme la peinture et la sculpture, ont eu des adeptes confirmés. La jeune génération se dévoile de plus en plus, et obéit à ses propres courants.

(gauche) Jean Michel Dissake Dissake et son œuvre Dikalo Na Moudiki (L’appel de la liane). (droite) Dans son atelier à Yaoundé, Jean-Michel Dissake Dissake recycle des objets et donne une nouvelle vie à la matière morte. Photos: Etienne Nsom

LA NATURE À LA CROISÉE DE LA TRADITION

Une des nombreuses voies empruntées par les artistes actuels est celle de l’écologie, celle de la contemplation de la nature, dans une ville comme Yaoundé, où l’urbanisme se mêle sans difficulté à la verdure. Jean-Michel Dissake Dissake, pratiquant convaincu de la « picto-sculpture » (mariage entre peinture et sculpture), est un faiseur de miracles. « Je ressuscite la matière morte », affirme-t-il. Il se sert d’objets recyclés, comme ce mortier ramassé dans le fleuve qui traverse la ville, cette racine gigantesque prise entre les mains d’ouvriers sur un chantier ou cette marmite noircie par le feu récupérée chez une vendeuse de beignets. Dans son atelier, le Studio Moudiki situé dans un quartier populaire de Yaoundé, il se penche sur une nouvelle création. Dissake est reconnu pour sa maîtrise de la liane. Il la tord, et sous la pression de la force, de la science et de la patience, elle se plie, pour donner des formes impressionnantes.

Son œuvre, L’appel de la liane, présentée
aux Jeux de la Francophonie 2017, est un prototype du rapport de Dissake à cet embranchement qui, dans la forêt, unit les grands et les petits arbres. « La liane, c’est
le nerf, le cœur, l’élément qui me connecte
à l’autre, à mon identité culturelle, mon passé », lance l’artiste. Son initiation dans la forêt renforce sa relation avec mère nature. Elle est omniprésente dans ses expos, à l’exemple de Palabres écologiques, Link, etc. Avec la liane, il rapproche des éléments comme le métal et le bois. Des plaquettes électroniques, tirées d’un vieux téléviseur ou d’un ordinateur, s’incrustent aussi dans les fibres de bois. Le tout uni par la couche de peinture. « On ne saurait parler de contemporanéité sans savoir d’où l’on vient. C’est pourquoi j’essaye de faire dialoguer la nature et la technologie », rappelle Dissake.

Les traits du visage de sa modèle (Carmel Neba), soulignés par le pinceau de Ange Kayifa. Photo: Etienne Nsom

LE CORPS, OBJET D’ART

Ange Kayifa explore quant à elle un autre aspect du dialogue. Kayifa convertit à sa manière la scarification au body art,
« en y ajoutant du Beau », précise-t-elle. La plasticienne utilise le corps comme sa toile. Elle effectue le retour aux sources en associant la tradition au contemporain: « La scarification dans certaines tribus du Cameroun était le signe d’une appartenance, d’une origine », explique Ange Kayifa. À ses débuts, la jeune artiste voulait travailler dans le monde de la mode. Pour nourrir son inspiration, elle
se rend dans des spectacles de théâtre, de musique… Elle s’abreuve des conseils d’artistes à la renommée établie comme Barthélémy Toguo, Joël Mpah Dooh, Christian Etongo.
Les courbes et les moindres mystères du corps, Ange Kayifa les révèle avec de la gouache, des pigments, du charbon ou de la terre rouge.

Le visage regorge de traits et de creux que son pinceau aime parcourir. « En général,
je fais de l’improvisation dans le cadre de performances ou d’installations », reconnaît- elle. La femme est à l’honneur dans le viseur de Kayifa. « Des grosses, des minces, des albinos, des Noires, des Blanches… Toute femme est un modèle potentiel pour moi », souligne celle qui milite pour l’amour de soi après l’accouchement. « Les vergetures, je trouve cela très beau », assure-t-elle. Elle doit, toutefois, affronter l’épineuse question de la nudité dans le body art. « Le nu est très mal vu à Yaoundé ou ailleurs. J’essaye de l’aborder d’une manière moins choquante. Je veux ramener les gens à l’histoire, leur rappeler que le torse, les seins, ont toujours été à découvert à l’époque de nos ancêtres », observe-t-elle.

 

Monica Nkodo est une journaliste vivant et travaillant au Cameroun.

 

Cette article a été publiée pour la première fois dans notre dernier édition papier #8. Lisez le édition complet ici.

 

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