Paysage urbain & art

What is Home?

Gauthier Lesturgie regarde de plus prés l'exposition « STADT/BILD.Xenopolis » qui met l'accent sur l'espace urbain.

What is Home?

Theo Eshetu, Kiss the Moment, 2015, Video Installation, STADT/BILD. Xenopolis. © Courtesy of the artist

By Gauthier Lesturgie

 

Lors d’une discussion publique avec les artistes de l’exposition «  STADT/BILD.Xenopolis  », à la Deutsche Bank Kunsthalle du 16 septembre au 8 novembre 2015, le curateur de cette dernière, Simon Njami, débuta par une question pour le moins déroutante  :

«  What is home (1)  ?  » . S’ensuivirent inévitablement des tentatives de réponses évasives et quelques banalités biographiques de la part des artistes. Heureusement, l’exposition elle-même nous donnait quelques réflexions esthétiques sur la question. Avec le concept de «  Xenopolis  », Simon Njami choisit de réfléchir au «  chez soi  » par son revers  : le sentiment de «  l’étranger  ». En amalgamant xenos, du grec «  étranger  » avec polis, du grec «  ville  », il propose un imaginaire de la ville comme un lieu où nous sommes tous et toutes potentiellement étranger-ère-s, alors participant-e-s d’un espace fluide et inconstant, membres de communautés aux identités hybrides. Le sentiment d’éloignement peut alors aussi être producteur d’imaginaires, qui sont parfois sollicités précisément pour aider à se sentir «  chez-soi  ».

L’exposition est l’une des quatre manifestations du projet collaboratif «  STADT/BILD  : image of a city  » qui rassemble quatre institutions berlinoises (2) pour réfléchir aux thématiques de la ville et de sa représentation. Par la même occasion, ces différents évènements –  et notamment la production textuelle qui les accompagne  – participent activement à la mythologie de la capitale allemande.

Simon Njami considère Berlin comme la xenopolis par excellence. Le curateur qui vit à Paris, construit son discours sur ses impressions de la ville lors de ses différents séjours  : terriblement inconstante et remplie «  d’étranger-ère-s  » de toutes géographies, Berlin est pourtant souvent décrite comme une sorte de grand village où tout un chacun-e peut se sentir «  chez-soi  » à son rythme. Le sentiment d’être «  étranger  » cristallise de nombreuses ambivalences, négatives et positives. Les œuvres rassemblées dans l’espace de la Kunsthalle, très (trop) proches les unes des autres, observent plusieurs de ces points de vue tout en s’échappant à l’imaginée Berlin.

Monologue Patterns (2005-2015) de Loris Cecchini sont des structures transparentes qui reprennent la forme reconnaissable de la caravane. À l’intérieur  : un lit et des plantes grasses en pots. L’objet minimaliste suggère un habitat qui n’en est pas un  : non fonctionnelle et totalement transparente, la caravane de l’artiste italien basé à Berlin s’approprie un motif familier (celui de la caravane) et n’en garde que la forme pour devenir un lieu de repos ou d’observation. Placés au centre de l’exposition, ces deux modules nous donnent immédiatement l’un des fils rouges de «  Xenopolis  »  : le déplacement comme paramètre essentiel du sentiment du «  chez-soi  », devenant alors un ressenti intérieur détaché d’un lieu précis.

Loris Cecchini, Monologue Patterns, Installation view STADT/BILD. Xenopolis Deutsche Bank KunstHalle Photo: Mathias Schürmann © Deutsche Bank KunstHalle

Loris Cecchini, Monologue Patterns, Installation view STADT/BILD. Xenopolis Deutsche Bank KunstHalle Photo: Mathias Schürmann © Deutsche Bank KunstHalle

Également «  déplacé  », l’artiste Theo Eshetu a bénéficié d’une résidence d’un an à Berlin. Sa vidéo monumentale Kiss the Moment (2015) est d’abord une réaction esthétique à la large fenêtre de son atelier. Rythmés par les quatre saisons, les dix-huit écrans placés en mosaïque diffusent une véritable ode à l’éclectisme qu’offre Berlin à travers le journal autobiographique et animé de l’artiste. Placée au sein de l’exposition, l’œuvre parvient à s’échapper de son caractère anecdotique pour proposer une réponse à notre question de départ, celle du biographique.

C’est justement une stratégie contraire que choisit Laurence Bonvin en filmant les autres, se plaçant dans une position d’observatrice, étrangère à ce qu’elle enregistre, dans une situation où ses sujets, comme elle-même, sont déplacé-e-s.

Dans la vidéo Blikkiesdorp (2009) projetée sur les deux surfaces d’une structure en bois, rappel formel du sujet filmé, Laurence Bonvin s’est rendue dans la périphérie du Cap, à Delft, dans le camp de transit temporaire (Temporary Relocation Area) connu sous le nom afrikaans de Blikkiesdorp pour «  Tin Can Town  » («  ville boîte de conserve  »). Construite en 2008, la «  ville  » est constituée de 1  600  structures cubiques en tôle alignées très proches les unes des autres sur une terre plane et désertique. Chaque «  maison  » fait 18  m2 que les habitant-e-s, pour beaucoup expulsé-e-s d’autres villes, se partagent. L’eau et les sanitaires sont communs à quatre blocs. Construite par le gouvernement, la «  Symphony Way Temporary Relocation Area  » de son nom officiel, devait constituer une solution temporaire devenue jusqu’à aujourd’hui permanente. Nous faisons face ici à l’antithèse du homelike –  du chaleureux, du familier  – le degré quasi-zéro de la ville  : nous avons là le minimum d’éléments qui en permet la stricte définition.

La caméra de Laurence Bonvin est étonnamment douce. De longs plans fixes et de lents travellings enregistrent un décor absolument surréel où les habitant-e-s tentent de (sur)vivre, d’inventer des espaces d’intimité  : de se sentir chez elles, chez eux malgré l’hostilité du lieu. L’artiste suisse basée elle aussi à Berlin n’a pas ajouté de bande sonore à ses images, laissant uniquement les chansons pop diffusées par les radios et la voix des personnes filmées. Avec en tête les questionnements de «  Xenopolis  », Blikkiesdorp semble nous montrer les différentes stratégies mises en place par les habitant-e-s d’un lieu au dénuement extrême pour s’inventer un chez-soi  : interactions avec les autres, musique, objets affectifs, délimitation d’un territoire, etc.

Laurence Bonvin, from the series "Blikkiesdorp", 2009 Inkjet print, 40 x 30 cm STADT/BILD. Xenopolis. © Courtesy of the artist

Laurence Bonvin, from the series « Blikkiesdorp », 2009 Inkjet print, 40 x 30 cm STADT/BILD. Xenopolis. © Courtesy of the artist

Dans son texte curatorial, Simon Njami développe sa notion de xenopolis à partir des réflexions de Roland Barthes sur l’espace urbain comme espace sémiologique (3). Le sémiologue y tisse une analogie entre la ville et le langage, se référant à Victor Hugo et sa capacité à penser la ville comme une écriture.

Le curateur place l’individu au centre de sa réflexion  : comment il entend, comprend, répond et par là change le discours de sa ville.

Pourtant, si le corps est omniprésent dans les œuvres choisies pour l’exposition, la langue parlée ou écrite est en revanche particulièrement absente. Dans Long Sorrow (2005), l’artiste albanais basé à Berlin Anri Sala filme la performance du saxophoniste de free-jazz Jemeel Moondoc perché de manière surnaturelle à la fenêtre d’un immeuble. La scène se passe dans le grand ensemble Märkisches Viertel (1965-1974) au nord de Berlin surnommé «  langer Jammer  » (long sorrow/long chagrin) par ses habitant-e-s. Par différents plans qui nous empêchent une vue d’ensemble, on aperçoit le musicien se lancer dans une étrange réponse musicale et très physique (la caméra ne cesse de s’approcher, de tourner autour du corps du musicien à tel point que l’on peine à identifier ce que l’on voit) à ces froids géants de béton.

Long Sorrow est une performance extatique qui offre une belle conclusion à la réflexion esthétique de Simon Njami qui s’échappe de l’évidence architecturale pour placer l’individu au centre de sa réflexion. Ce dernier, artiste ou sujet, est ici un corps étranger en constant déplacement ébruitant ses propres récits pour réaliser son chez-soi, pour faire «  la ville  ».

STADT/BILD: Xenopolis, 16  septembre – 8 november 2015, Deutsche Bank Kunsthalle, Berlin

Gauthier Lesturgie est un auteur et curateur indépendant basé à Berlin. Depuis 2010, il a travaillé dans différentes structures et projets artistiques tels que la Galerie Art&Essai (Rennes), Den Frie Centre for Contemporary Art (Copenhague) ou encore SAVVY Contemporary (Berlin).

Références

  1. (1) «  Qu’est-ce que le “chez-soi”  ?  »
  2. (2) La Berlinische Galerie, la Deutsche Bank Kunsthalle, KW Institute for Contemporary Art, et la Nationalgalerie – Staatliche Museen zu Berlin. Expositions du 16.09 au 08.11.2015.
  3. (3) Roland Barthes, «  Sémiologie et urbanisme  », Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1994, tome II.

 

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