Blackness in Venice

Le marchand de Venise

Sean O’Toole about the 'vu compra' and how artists re-imagine blackness

Kiluanji Kia Henda, 'The Merchant of Venice' (2010). Courtesy: Galleria Fonti, Naples.

By Sean O’Toole

Ils font autant partie du paysage de Venise que les serveurs bourrus et les couples un peu perdus traînant leurs valises grandes comme des armoires le long des ruelles froides et humides. Je parle des ‘vu compra’, terme traduit de manière un peu rudimentaire par «  Vous achetez  ?  ». Qu’ils viennent du Sénégal ou de n’importe où ailleurs, ils sont jeunes, athlétiques, noirs et possèdent le même maillot que Mario Balotelli, le buteur de l’AC Milan. Vous les verrez près des arrêts de vaporetto très fréquentés (bateaux bus) ou encore aux abords des ponts en pierre qui s’arc-boutent au-dessus des canaux de Venise d’un vert douteux. Lorsque les carabinieri (policiers) les approchent, ils se dépêchent de rassembler leurs imitations de produits de marque en cuir et de partir en courant. Vite.

En 2003, deux ans avant que la commune de Venise ne lance la campagne «  Bad Bag  » (Mauvais sac) – qui rend passible d’une amende (allant jusqu’à €10.000) l’achat d’une imitation de sac à main français ou italien auprès de ces vendeurs officieux dont on dit qu’ils collaborent étroitement avec la Camorra, la mafia napolitaine – l’artiste américain Fred Wilson a mis en lumière les vu compra dans un travail mis en scène au pavillon américain.

Wilson, l’artiste invité au pavillon américain, s’était intéressé aux portraits de Noirs réalisés dans la Venise de la Renaissance et recherchait des images du Noir en Europe dans la période précédant le commerce des esclaves outre Atlantique. Il a trouvé peu de preuves concrètes, «  pas de documents écrits, pas de biographies ni d’autobiographies de Noirs ayant vécu à Venise  », juste un grand silence sur le sujet. Et donc, en qualité d’artiste, il s’est arrangé pour produire une réponse.

La contribution de Wilson à la Biennale 2003 comprenait des étalages d’un musée de faux, des sculptures recomposées, des objets étiquetés dans des vitrines en verre, des mannequins de vitrine, des images re-photographiées et une lettre d’amour aux vu compra sous forme de mise en scène. Lors du vernissage de son exposition, « Speak of Me as I Am », un commerçant colportait des sacs à main design à l’extérieur du pavillon américain. Les carabinieri locaux sont arrivés comme il se devait, même si ce n’était pas exactement prévu comme cela. Car après tout, il s’agissait en fait d’un collaborateur rémunéré par Wilson et les sacs à main étaient de véritables pièces uniques réalisées par l’artiste.
Wilson n’est pas le seul artiste à avoir revisité le concept de la négritude à Venise. En 2010, trois ans après son apparition lors de l’exposition de Simon Njami et Fernando Alvim Checklist: Luanda Pop pendant la Biennale 2007 de Venise, un artiste angolais Kiluanji Kia Henda a produit un portrait frappant d’un musicien sénégalais en train de poser comme vendeur de sacs.

Photographié à l’intérieur de l’Istituto Veneto per le Scienze, Lettere ed Arti (Institut des Sciences, lettres et arts du Veneto), fondé en 1802 par Napoléon, le sujet de Kia Henda, vêtu avec opulence des atours du Marchand de Venise (2010) rappelle la parure élaborée des sujets noirs apparaissant dans Le souper à Emmaüs, le tableau de Marco Marziale datant de 1506 et présenté dans la collection de l’Accademia de Venise. Réalisé pendant le séjour en résidence de Kia Henda qui avait été financé par la Fondazione Venezia, l’œuvre fait partie d’une vaste enquête photographique relative à la place inéluctable des Noirs dans l’histoire de Venise.

Sean O’Toole est écrivain et coéditeur de  CityScapes, journal critique de réflexion urbaine. Il habite au Cap, en Afrique du Sud.

 

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