Artistes, enseignants et universitaires étaient réunis en début d’année à Kinshasa pour réfléchir à l’avenir de l’enseignement artistique dans le Sud. Jean Kamba nous livre son regard local...
Quelle aubaine d’être au sein de l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa pour débattre ! Débattre, durant ce symposium, de plusieurs sujets, comme de l’intégration effective des pratiques artistiques contemporaines dans les programmes d’enseignement : « Un programme d’enseignement ne doit pas rester statique pendant un long moment » disait le Directeur Général Patrick Missassi dans son mot d’ouverture. Il est surprenant d’entendre cette volonté d’intégration des nouveaux médiums artistiques, longtemps vus comme des parias ou des phobies, et non de l’art, dans ce temple du classicisme. Il est bon de faire des déclarations, mais c’est encore mieux de les réaliser.
L’actuel Directeur Général de l’ABA est le peintre et Docteur en Arts plastiques Henri Kalama. Il a remplacé Patrick Missassi, évoqué plus haut. L’ouverture en personne, voilà comment est perçu ce nouveau Directeur Général, rebelle face à l’immobilisme – et lui-même ancien « libriste », rappelons-le. Mais pourra-t-il faire face à la pesanteur de l’esprit académique profondément ancré dans cette institution ? Telle est la question. Il ne sera pas facile pour lui d’extirper et de planter de nouvelles graines, ne serait-ce qu’à partir des recommandations issues de ce symposium. Car ces dernières ne sont pas à garder en poche comme un chapelet de bonnes volontés ! Ce sera un rude combat pour cet artiste et Directeur Général incarnant le changement.
L’ABA de Kinshasa a pourtant grandement besoin d’intégrer de nouveaux médiums, au lieu de se cramponner à l’enseignement « à l’ancienne » de la peinture, de la sculpture, etc. Voilà une institution universitaire dans laquelle les performances artistiques, les installations, les vidéos ou encore les photographies artistiques ayant recours aux Nouvelles Technologie de l’Information et de la Communication (NTIC) ne sont pas vues d’un bon œil. Pourtant ces médiums s’imbriquent dans des problématiques universelles qui hantent l’être humain et son environnement actuel.
Le constat est amer lorsqu’on voit que bon nombre d’artistes, invités ou non, et participants à ce symposium, détiennent des diplômes obtenus à l’extérieur du pays. C’est notamment grâce aux partenariats, aujourd’hui suspendus, entre l’ABA et l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg qu’ils ont bénéficié de voyages d’apprentissage. Mais ils ne sont pas recrutés sur des postes permanents ou bien comme assistants d’enseignement dans l’institution. Aussi, les expériences qu’ils ont acquises dans des ateliers et des résidences, ainsi qu’à travers des expositions internationales ne sont pas prises en compte. Ce symposium a été l’occasion de réunir l’ABA de Kinshasa et une grande partie de ses transfuges pour discuter de tous ces sujets.
Tous les artistes congolais, invités ou non, étaient présents. Une occasion rare, dans le monde de l’art à Kinshasa, de pouvoir se dire les choses en face. En se regardant en chiens de faïence, les artistes visuels kinois de la deuxième génération et ceux de la troisième génération (1990-2000) ont commencé par se rejeter la faute les uns sur les autres.
Mais, aubaine et denrée rare, ces assises ont offert une tribune aux artistes et anciens étudiants – comme Pathy Tshindele, Freddy Tsimba, Vitshois Mwilambe, Julie Djikey, Cedrick Nzolo, Eddy Kamwanga, Mega Mingiedi, etc. –, leur permettant de se retrouver face à eux-mêmes, et face à leurs anciens maîtres et collègues d’autres pays, pour parler d’art en République démocratique du Congo et à l’ABA de Kinshasa.
De même, les « maîtres » ont fait part de leurs indignations, durant des tables rondes thématiques, accusant comme d’habitude, les jeunes artistes contemporains de tomber dans la facilité et d’être à la solde de l’étranger. Selon eux – et sur un ton ethnocentrique – ces jeunes n’ont pas de pratique artistique et leurs réalisations sont dénuées de toute identité africaine.
Il faut aussi noter la présence d’artistes non invités, comme Yves Sambu, Eddy Masumbuku, Dolet Malalu, Iviart Izamba, etc. Très intéressés par ce type de rencontres, ils ont avant tout manifesté leur grand besoin d’une catharsis générale.
L’histoire se répète, mais ne se ressemble pas ; et le contenu de ce rendez-vous n’est pas si nouveau que ça sous le ciel artistique congolais. Ce débat a déjà eu lieu, il y a une vingtaine d’années. Il fut soutenu dès la fin des années 1990 et au début des années 2000 par des mouvements artistiques comme le « librisme » et le « collectif Eza possible ». Ce besoin d’ouverture n’a pas été pris en compte, et il a même été violemment récusé par les « maîtres » enseignants et les artistes régnant en maîtres dans cette institution étatique, quasi monopolisée par des gardiens de recettes académiques prônant un art anachronique, inspiré de celui de l’Europe du 19e siècle et mixé avec les notions décadentes de la philosophie « du recours à l’authenticité » du président Mobutu.
Durant le symposium, l’ABA de Kinshasa, à travers son ancien directeur Patrick Missassi, n’a pas hésité à revendiquer fièrement le mouvement du librisme comme faisant partie de son patrimoine. Une forme de récupération, car ces propos indiquent surtout la volonté d’avoir une place dans l’histoire, à côté d’un mouvement déterminant comme le librisme, voie par laquelle – non sans grandes difficultés – la notion d’art contemporain s’est développée à Kinshasa. C’était toutefois une bonne idée d’inviter également des artistes réfractaires à l’académisme. Leur présence a suppléé un vide qui se serait sinon fait sentir. Non seulement en termes de discours artistiques contemporains, mais aussi en termes de travaux que certains parmi eux ont pu présenter. Les théoriciens et les artistes invités, tous d’horizons très divers, ont abordé des concepts artistiques extrêmement actuels : quoi de plus normal pour l’ABA que d’inviter des artistes congolais actifs sur la scène de l’art contemporain et pouvant faire le contrepoids !
Eddy Masumbuku, Francis Mampuya , Germain Kapend et surtout le défunt critique d’art Célestin Badibanga… Ces trois derniers étaient absents, mais peuvent être fiers, car l’histoire et la force du temps ont rattrapé l’ABA. L’ouverture que cette institution semble promouvoir, et dont ce symposium est déjà une preuve, montre que celle-ci ne cherche plus à se cramponner à des théories dépassées, démodées et en décalage complet avec le temps présent.
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Jean Kamba est poète et critique d’art.
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