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« Considérer le processus avec soin et intentionnalité » : Favour Ritaro perpétue des legs essentiels en matière de commissariat d’exposition

Dans le contexte de sa récente exposition au Centre for Contemporary Art (CCA) Lagos, la commissaire Favour Ritaro évoque l’apprentissage du travail avec des contraintes et l’appui sur la solide communauté de professionnels réunie par la fondatrice du CCA, Bisi Silva. Sa pratique reste en dialogue avec feu l’illustre commissaire nigériane.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

By Joshua Segun-Lean

Joshua Segun-Lean: Récemment, vous avez été la commissaire de l’exposition Archives and Memories au Centre for Contemporary Art, Lagos. Rompant radicalement avec votre expérience précédente du commissariat, le processus a été intégralement mené à distance. Dans quelle mesure pensez-vous que cette contrainte a influé sur l’exposition ?

Favour Ritaro: Cela a été clairement une expérience inédite pour moi, qui date de bien avant la préparation effective de l’exposition. Déjà en 2020, j’avais travaillé avec un groupe de commissaires – Iheanyi Onwuegbucha, Peter Okotor et Mary Osaretin, entre autres – au CCA Lagos à la recherche et l’organisation des archives curatoriales de Bisi Silva. Ce processus avait duré environ six mois et, à maints égards, avait posé les bases de cette exposition. Ainsi, si son commissariat a été mené à distance, les fondations ont été creusées en personne, à travers ce travail en profondeur sur les archives de Bisi.

Au départ, j’avais pensé être sur site, à Lagos, pour gérer l’exposition. Mais lorsque j’ai déménagé aux États-Unis pour aller à l’université, j’ai réalisé que je ne pourrais pas me rendre sur place et qu’il me fallait accepter de travailler à distance avec l’équipe. Cela a été un grand changement pour moi. J’avais toujours attaché beaucoup d’importance à être présent physiquement, à rendre visite aux artistes dans leurs studios, à arpenter l’espace et à réagir à ce qui se déroulait sous mes yeux en temps réel. Cela a été un saut en territoire inconnu.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

Mais le sens de la communauté qui a toujours caractérisé le CCA Lagos a été décisif et a rendu cela possible. Bisi a créé une communauté liée par un engagement réciproque, encourageant les rêves de ses membres et développant un cadre dans lequel chaque idée est ouverte à l’exploration, la critique et l’acceptation. Cet esprit s’est retrouvé tout le long de l’organisation de l’exposition.

Cela n’a pas été facile. J’étais physiquement éloignée, mais mentalement et émotionnellement engagée. Je travaillais dans différents fuseaux horaires, souvent tard le soir, en essayant de garder une vue d’ensemble, tout en renonçant à tout contrôler. Mais c’était aussi incroyablement gratifiant. Cela m’a rappelé qu’être commissaire ne signifie pas être toujours présent dans l’espace. Cela implique aussi de nouer des relations, faire confiance à l’équipe avec laquelle vous travaillez, rester ouverte aux changements de dernière minute et travailler d’une façon plus fluide que je ne le faisais jusque-là.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

JSL: Après avoir travaillé attentivement sur les archives curatoriales de Bisi Silva, pensez-vous que ce que vous décrivez – développer des systèmes collaboratifs au-delà des frontières, être ouverte à l’inattendu et réactive aux changements – n’est pas seulement le reflet d’une habileté née des contraintes opérationnelles, mais une méthode de travail qu’elle aurait appréciée ?

FR: Cela ressemble à une question que Bisi Silva en personne aurait pu me poser ! Quiconque a travaillé avec elle sait à quel point elle était rigoureuse sur le processus. L’une des leçons les plus importantes que j’ai apprises d’elle a été de considérer le processus avec soin et intentionnalité. Elle aurait questionné mes décisions curatoriales avec une grande rigueur, notamment la tentative d’exercer mon autorité en tant que commissaire sans être physiquement présente. Mais je pense qu’elle aurait aussi apprécié la flexibilité et la vulnérabilité indissociables de cette exposition – le constat qu’assurer le commissariat par-delà des frontières implique d’échafauder des systèmes de soutien et d’être ouverte à ce qui surgit de l’inconnu.

Elle aurait apprécié que ma voix de commissaire ait évolué au cours des quatre années de développement du projet, façonnée par la critique permanente de mes pairs et les collaborations approfondies. La philosophie curatoriale de Bisi, cette exigence de l’examen critique, du soin et de la communauté résonne encore à travers les personnes qui m’entourent : d’Oyindamola Faithful, la directrice artistique actuelle du CCA Lagos, jusqu’aux artistes impliquées dans l’exposition, qui n’étaient pas de simples contributrices via des œuvres d’art, mais des participantes actives à la définition du processus curatorial.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

À maints égards, je la porte toujours avec moi. Lorsque je travaille sur un projet, je m’arrête souvent pour me demander : « Que dirait Bisi ? » Je pense qu’elle aurait reconnu l’approche que j’ai adoptée comme une méthode curatoriale à part entière. Et je pense qu’elle serait fière de la commissaire que je suis en train de devenir.

JSL: L’exposition présente de nouvelles œuvres de quelques rares artistes. Comment avez-vous décidé de la sélection des participantes ?

FR: Mon intérêt pour le thème de l’exposition a été suscité par une longue liste dans les notes de Bisi Silva – des noms d’artistes qu’elle avait repérées pour un projet de livre sur les femmes artistes nigérianes contemporaines et, plus largement, sur les contributions des femmes à la scène artistique nigériane. Au fil de ma recherche, j’ai été attirée par les liens et les intersections entre certaines artistes, dont nombre avait participé à des projets partagés et dont les pratiques curatoriales et artistiques se recoupaient de manière pertinente. Leurs pratiques semblaient être en conversation l’une avec l’autre, ce qui a bien entendu influé sur leur sélection.

Installation View „Archives and Memories“ at Centre for Contemporary Art (CCA), Lagos. Courtesy of CCA Lagos.

Le seul ajout extérieur délibéré à ce tissu organique était Ngozi Ezema Omeje. Son exposition personnelle Connecting Deep a été la dernière dont Bisi a été la commissaire au CCA Lagos avant son décès. Ngozi avait recours à l’éléphant comme symbole de force et de perte, de représentation du deuil de son père. Cela a reflété l’esprit de cette exposition et la disparition de Bisi un an plus tard.

De façon étonnante, quelques mois après avoir planifié l’exposition, l’une des artistes participantes, Odun Orimolade, m’avait demandé si j’avais vu le documentaire de Toyin Akinosho, Bisi Silva: A Whirlwind Tour Through Art (2018). Nous l’avons extrait des archives du CCA Lagos et visionné ensemble. Nous avons alors entendu Bisi mentionner exactement les mêmes artistes que j’avais choisies, les saluant en tant que femmes nigérianes qui, selon ses mots « sont de redoutables challengeuses des hommes ». Une affirmation qui semblait paisible, un de ces moments où le passé rattrape le présent pour nous rappeler que nous sommes sur la bonne voie.

 

Archives and Memories, commissariée par Favour Ritaro au CCA Lagos, est encore visible jusqu’au 31 mai 2025.

 

Favour Ritaro est une commissaire d’exposition nigériane dont la pratique traite des histoires d’identité personnelles et collectives, d’appartenance à une nation et du genre. Elle est régisseuse de collections et responsable de département au Brind Center for African and African Diasporic Art au Philadelphia Museum of Art.

Les écrits de Joshua Segun-Lean sont parus, entre autres, dans le Brooklyn Rail et le Republic Journal.

 

Traduit par Myriam Ochoa-Suel.

 

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