En Conversation avec Immy Mali

ruby onyinyechi amanze : Dessiner les éléments, chorégraphier la liberté

ruby onyinyechi amanze réalise des dessins-collages élaborés qui évoquent des moments de liberté chorégraphiée et d’intimité écologique. Ces œuvres minimalistes nous ont plongés dans des ambiances imaginaires où personnages humains, animaux et environnement construit se fondent en des chroniques non linéaires.

ruby onyinyechi amanze, astral planes [only kin keeps us warm], 2020, Ink, graphite, colored pencils, photo transfers on four sheets of paper. Courtesy Mariane Ibrahim

ruby onyinyechi amanze, astral planes [only kin keeps us warm], 2020, Ink, graphite, colored pencils, photo transfers on four sheets of paper. Courtesy Mariane Ibrahim

By Alexandra M.Thomas

Médusée face à la diversité des personnages qui apparaissent au fil des dessins de ruby onyinyechi amanze, je lui demande qui ils sont. amanze assimile les parties mobiles et les divers acteurs de ses dessins à des éléments. Elle en cite certains parmi les plus marquants de cette famille d’éléments en constante évolution : ada l’extraterrestre, audre le léopard, les motos, les piscines et les oiseaux. Artiste foncièrement contemplative, amanze fait évoluer ses dessins-collages avec douceur et tendresse dans de nouvelles directions, en éliminant des éléments un à un, s’obligeant au final à expérimenter de nouvelles histoires et scènes.

ruby onyinyechi amanze, HOW TO BE ENOUGH, 2021, installation view, Collezione Maramotti, Reggio Emilia. Courtesy: the artist and Collezione Maramotti, Reggio Emilia; photograph: Roberto Marossi

« Lorsque vous dessinez et réalisez des collages, vous jouez le rôle d’une chorégraphe, mais êtes-vous également danseuse ? » lui demandai-je. amanze me révèle que ce qu’elle aime généralement le plus, c’est réaliser ses dessins en grands formats, lorsqu’elle peut travailler au sol et pénétrer volontairement dans le monde physique du dessin-collage, expérimenter ses propres rencontres incarnées par les récits sur le papier.

« J’ai toujours été intéressée par la danse, encore plus récemment, m’explique-t-elle. Et je lance une compagnie de danse avec un ami. Un premier événement est prévu en Italie en mai, qui sera ensuite itinérant. » amanze aime assister à des spectacles de danse, faire référence à l’univers esthétique de la danse dans ses dessins et lire des textes écrits par des chorégraphes. Son attention méticuleuse pour la danse se manifeste dans sa pratique artistique lorsqu’elle « dispose des êtres dans l’espace » – les éléments – et décide de la manière et du moment où le mouvement aura lieu en construisant le dessin.

ruby onyinyechi amanze, HOW TO BE ENOUGH, 2021, installation view, Collezione Maramotti, Reggio Emilia. Courtesy: the artist and Collezione Maramotti, Reggio Emilia; photograph: Roberto Marossi

Son amour pour la danse s’accompagne d’une fascination pour l’architecture et le design. « Alors, l’architecture et la danse ? » Je réfléchis. « Est-il possible de penser ces formes esthétiques parallèlement ? » amanze réplique que son amour pour l’architecture est antérieur à celui pour la danse. Après l’université, elle avait réfléchi à retourner étudier spécifiquement l’architecture. « En tant qu’immigrée, je pensais à mon chez-moi et à ce que cela signifie de créer une maison pour moi-même sur le papier », réfléchit-elle. En alignant architecture et affect poétiquement, amanze me convainc que l’architecture est un médium riche en émotions.

Avec éloquence, elle explique qu’il existe des parallèles entre la beauté, l’âme et la poésie de la danse et celles du design architectural. Les actes consistant à chorégraphier une danse et à dessiner un plan consistent tous deux à comprendre l’espace : des corps dans l’espace et des bâtiments dans l’espace. En tant que personne travaillant sur la forme largement bidimensionnelle du dessin, amanze est séduite par la tridimensionnalité de la danse et de l’architecture, ancrant leur lien dans le processus partagé de fabrication d’espaces.

ruby onyinyechi amanze, ada + windows + motorcyles over birds [two small pools], 2021. Graphite, ink, photo transfer, acrylic, pva coated papers. Courtesy Mariane IbrahimLes oiseaux abondent dans les dessins d’amanze, dont ses « danses d’oiseaux » qui apparaissent comme des collages dans son édition d’artiste pour C&. Elle commence à montrer plus souvent ses cutup sky-mashups (mashups et cut-ups de ciels) mettant en scène des oiseaux. Avant, ils vivaient sur des cartes postales et des carnets à dessin ; à présent, ils sont l’un des éléments qui perdurent dans ses dessins. « Pourquoi les oiseaux », je l’interroge. « Les oiseaux étaient, à l’origine, une référence au pidgin english du Nigeria, m’explique-t-elle. J’ai toujours apprécié les langues créoles et la manière dont les gens étaient créatifs avec les mots. » Jouant avec pigeon/pidgin, amanze remixe ses expériences culturelles qui s’étendent du Nigeria au Royaume-Uni en passant par des villes américaines comme Philadelphie et Brooklyn, entre autres lieux. amanze est a une conscience intime du rôle du pidgin english comme langue unificatrice entre les personnes de différentes origines culturelles : « un langage haché, fluide qui réunit les gens. » Tout comme ceux qui parlent des langues créolisées, les oiseaux possèdent leurs propres voies de migration, de mouvement et de voyage. « Les pigeons sont une espèce omniprésente », explique amanze. Elle espère inculquer un sens de la liberté aux oiseaux qu’elle dessine pour qu’ils occupent l’espace. Les oiseaux ne sont pas immobilisés sur le papier parce qu’ils peuvent parcourir les différentes parties de sa surface : en effet, amanze découpe le papier et le réagence en de nouvelles créations.

ruby oyinyechi amanze, skies on my left and skies beneath my feet. the pools, open. the windows, transport, 2020. 1/30, digital pigment and silkscreen print with gold leaf and pen on Somerset Velvet 330 gsm paper. 61 x 45.7 cm. (C& Artists’ Edition)

À mes yeux, l’iconographie des oiseaux gagne en fascination au fur et à mesure qu’amanze imagine les oiseaux comme pendants des piscines, combinant les piscines et le ciel avec les divers êtres vivants aquatiques. « J’en ai fini avec la terre », dit-elle en souriant. « La terre, c’est dépassé. » Les oiseaux sont capables de violer les frontières entre la terre et la mer lorsqu’ils voyagent dans le ciel. « J’apprends de tant de cultures différentes et de leurs propres mythologies aquatiques », dit-elle, ajoutant que sa mère est originaire de l’État de Rivers, au Nigeria. amanze adore s’immerger dans l’eau – un désir que je partage avec elle – et en apprécie la nature infinie, filante, ainsi que tous les souvenirs, traumas, plaisirs et possibilités qu’elle contient. Ses collages reflètent la fluidité de l’eau et ses possibilités infinies.

 

ruby onyinyechi amanze : THINGHOOD est à voir à la galerie Mariane Ibrahim à Chicago, IL à partir du 7 mai jusqu’au 5 juin 2021.

ruby onyinyechi amanze, ‘HOW TO BE ENOUGH’, est à Collezione Maramotti, Reggio Emilia, Italie, jusqu’au 25 juillet.

 

 

C& Artists’ Editions de ruby onyinyechi amanze est en vente sur contemporaryand.com. amanze a créé une série de trente estampes uniques comportant chacune des éléments appliqués à la main par l’artiste qui reflètent son intérêt pour l’interaction paisible de ces éléments et leur capacité, une fois combinés, à modifier la perception de l’espace.

 

 

Alexandra M. Thomas est une auteure et doctorante à l’université Yale. Ses centres d’intérêt comprennent : l’art moderne et contemporain du continent africain, les féminismes transnationaux, la queer theory et les études muséales critiques.

ruby onyinyechi amanze (née en 1982 à Port Harcourt au Nigeria, basée à Philadelphie) explore à travers ses travaux sur papier le potentiel vaste et magique de l’espace et l’équilibre entre immensité et légèreté extrême. Intégrant un vocabulaire de travail se limitant à sept éléments, amanze joue avec les possibilités des relations spatiales, à la fois dans les contours de la page et, recourant à des encadrements personnalisés, au-delà de ses limites.

 

 

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