La peintre parle de son installation in situ It Will All End in Tears au Barbican Center de Londres, réalisée en collaboration avec l’architecte Remco Osório Lobato.
Sabo Kpade : Vous réalisez des dessins in situ sur des murs depuis 2009 déjà, voire même avant. Qu’est-ce qui vous a particulièrement stimulée dans la commande pour The Curve au Barbican Center ?
Pamela Phatsimo Sunstrum : Lorsque j’ai reçu cette invitation et que j’ai commencé à déambuler dans l’espace, ce qui m’a vraiment inspirée, cela a été le Barbican en tant que complexe, en tant que symbole puissant des aspirations culturelles de l’Europe occidentale. Mon imagination est toujours stimulée par ces réalisations fascinantes de l’Empire. La manière dont elles surgissent, mais bien plus encore dont elles déclinent, et aussi ce qu’elles représentent. Très rapidement, je me suis tout particulièrement intéressée au cinéma et au théâtre, qui constituent une grande partie de la programmation du Barbican. J’avais déjà réfléchi à ces sujets et fait référence à la dimension cinématographique dans mon travail – à des personnages et des pièces et à la manière dont le cinéma et le théâtre construisent ou composent une image. Cela a vraiment été le point de départ.
SK : Quelle est la narration centrale de It Will All End in Tears ?
PPS : Elle est née d’idées que je qualifierais de misogynes sur les femmes et la façon dont leur puissance peut se manifester. L’histoire est celle d’une femme prénommée Bettina (en référence à l’autrice sud-africaine Bessie Head) qui rentre chez elle dans un avant-poste colonial au Botswana dans les années 1950. Depuis qu’elle a quitté ce lieu pour aller dans le monde, elle a beaucoup changé. Je pense que pour ceux et celles d’entre nous qui ont grandi en lien avec la diaspora africaine, ce sentiment d’éloignement, d’avoir été éduqué·e ou exposé·e à d’autres cultures puis de revenir au pays est un sentiment très lourd. Il reste souvent cette tension entre la personne que tu aurais dû devenir en allant dans le monde, ce que l’on attendait de toi que tu rapportes et la manière dont cela peut entrer en conflit. Ainsi, lorsque Bettina rentre chez elle, elle est confrontée aux réactions habituelles : la suspicion, la jalousie, le désir. Et c’est dans ce mélange qu’émerge un crime, un mystère criminel. Émaillé de fragments de convoitise, de fragments de violence.
SK : Quels sont les films et les pièces de théâtre qui ont influencé vos recherches ?
PPS : Le premier a été Un Tramway nommé désir, un film réalisé par Elia Kazan, une adaptation de la pièce de théâtre du dramaturge américain Tennessee Williams. Kazan joue brillamment avec nos attentes. Je me suis aussi intéressée de près à divers films d’Alfred Hitchcock – notamment à Fenêtre sur cour (1954), dans lequel on assiste à un mouvement permanent depuis notre perspective, comme cela est très courant dans les films d’Hitchcock. Et à un film plus contemporain de Lars von Trier aussi, Dogville (1999). Comme réalisateur, je le déteste à bien des égards pour ce qu’il fait aux corps des femmes et aux histoires de femmes, mais j’ai trouvé que Dogville était fascinant dans son jeu avec les plateaux et les décors. Il a été intégralement filmé sur un plateau dépouillé.
SK : L’une des caractéristiques de It Will All End in Tears est la manière dont les scènes sont maîtrisées et essentialisées dans la peinture. On n’y voit ni enfants, ni animaux domestiques ni d’autres éléments de la vie domestique rurale.
PPS : Mon idée est d’aller vers un décor, plus particulièrement un décor de théâtre. On a donc l’impression de ne pas regarder une vraie maison, mais une façade de maison et la manière curieusement peu naturelle avec laquelle les personnages ont convergé vers ce moment dramatique. C’est comme un tableau. Je me suis intentionnellement inspirée du théâtre, de la perspective dont, en tant que membre du public d’une pièce ou d’un film, on perçoit tout, tout à la fois. J’ai essayé de faire en sorte que la palette de couleurs ainsi que tout le reste infuse une certaine discrétion, ou sobriété, afin de faire ralentir le public, de l’amener à se concentrer sur les détails.
SK : Pourquoi avez-vous choisi de peindre sur des panneaux de bois ?
PPS : J’adore travailler sur ces beaux panneaux selon un principe modulaire, parce qu’ils peuvent se répartir dans des containers de la taille de caisses et être facilement transportés, sans risques, dans le monde entier, contrairement à de grandes peintures encombrantes. Le travail sur bois implique un bon nombre d’impondérables. Il est impossible d’en prévoir le grain. Ainsi que la réaction une fois ce grain enduit d’huile car le bois prend alors vie de manière autonome, et des choses apparaissent que l’on ne voyait pas avant. Je passe beaucoup de temps à observer, fascinée, la façon dont évolue le grain du bois, sans pouvoir m’en attribuer le mérite.
SK : La flore des peintures est-elle un produit de votre imagination ou est-elle fidèle à la végétation du Botswana ? Quelle en est la signification ?
PPS : C’est une bonne question. Je dirais que non. Je n’ai pas choisi de végétation en particulier. Mais oui, on peut trouver toutes ces herbes et ces buissons, ces fleurs dans le jardin de ma grand-mère. J’ai surtout été curieuse du grand soin apporté au jardin du petit espace domestique, dans des environnements où l’eau et les plantes sont rares. J’ai souhaité que la végétation souligne le cadre, comme si nous étions en quelque sorte des espion·nes en train d’observer cette personne dans son espace intime. J’ai voulu rappeler à l’individu qui regarde qu’il est en quelque sorte étranger à l’espace intime de cette femme.
SK : Vous ne faites généralement pas de dessins préparatoires. Qu’en a-t-il été pour cette exposition ?
PPS : J’ai fait des dessins préparatoires pour la première fois. J’ai eu l’impression de réaliser un story-board, comme une véritable cinéaste. J’ai préparé ces scènes, les ai retouchées et recadrées, puis j’ai réfléchi à celles dont j’avais véritablement besoin. Partant de plus de soixante dessins préparatoires, j’ai dû vraiment en réduire le nombre pour l’exposition, pour n’en garder que dix-neuf au final. En fin de compte, je trouve que j’ai obtenu plus de clarté dans l’ensemble des œuvres. C’est donc peut-être une nouveauté que j’explorerai à l’avenir. En octobre 2024, nous exposerons l’ensemble des dessins préparatoires à la Goodman Gallery.
Pamela Phatsimo Sunstrum : It Will End In Tears est exposé du 19 septembre 2024 au 5 janvier 2025 à The Curve, Barbican, Londres, Royaume-Uni.
Le travail de Pamela Phatsimo Sunstrum (née en 1980 à Mochudi, Botswana) est empreint d’une imagerie qui reflète les diverses généalogies de son expérience de vie dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie du Sud-Est et des États-Unis, ainsi que sa recherche continue en ethnographie, écologie et physique quantique. La pratique transfrontalière de l’artiste inscrit l’identité de la femme noire au centre du discours postcolonial et néocolonial, tout en soulignant les contributions de personnalités historiques ignorées et en mettant l’accent sur des modes de savoir et de communication au-delà du statu quo. @pamelaphatsimo / pamelaphatsimosunstrum.com
Sabo Kpade est un écrivain et journaliste spécialisé dans les thématiques culturelles résidant à Londres.
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