L’exposition « Globalisto. Une philosophie en mouvement » au MAMC+ partage ses réflexions sur la translocalité et l’hybridité culturelle.
« Dans les systèmes de pensée africains précoloniaux, la culture n’était pas avant tout une affaire d’identité, de transmission [ou] de coutume. Elle se définissait plutôt comme le tissage ininterrompu de relations et de correspondances entre les êtres et les choses, libérant, si l’on veut, la puissance de la germination[1]. » – Achille Mbembe
« Les concepts de localité, de lieu et de communauté sont malheureusement dépourvus des réalités du mouvement – qu’il soit transnational et transculturel. Mais y a-t-il là une véritable contradiction ? La localité est-elle un malentendu parce qu’il y a toujours eu des contacts ? »
« Les centres culturels, les régions et les territoires spécifiques ne préexistent pas aux contacts, mais se maintiennent grâce à eux, s’appropriant et disciplinant le mouvement agité des personnes et des choses[2]. » – Jonathan Friedman
Alors que le discours séculier sur le panafricanisme exhume sa trajectoire tout en la projetant, nous emmenant plus avant dans l’histoire et l’imagination d’un futur lointain, d’obscurs confins continuent de limiter les dimensions spatiales de son impact. Comment pouvons-nous continuer à rééquilibrer les structures de pouvoir inéquitables qui donnent la priorité à certaines épistémologies ? Comment dépasser l’idée que le continent africain est un lieu de découverte récente et attirer l’attention sur les échanges éternels qui ont toujours eu lieu entre les humains, via les routes, les airs et les mers ?
Dans sa première exposition muséale – « Globalisto. Une philosophie en mouvement » –, le commissaire d’exposition, artiste et D.J. Mo Laudi rend l’essentialisme obsolète. Il nous invite à interagir avec le concept de fluidité tout en réfléchissant au pouvoir de la convergence culturelle dans l’enceinte du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC+).
Là où les modalités eurocentriques étouffent une grande partie de l’écologie de l’art africain contemporain, alors que le contenu semble supplanter la forme et la structure, Mo Laudi a recours au panafricanisme comme une façon de voir le monde, un moyen d’accéder à un futur alternatif plutôt que comme une fin en soi.
Présentant des œuvres d’artistes célèbres provenant de toute l’Afrique et de sa diaspora, l’exposition s’ouvre avec force sur des documents d’archives, de la littérature et de la musique. Les lettres et écrits de l’artiste sud-africain Gerard Sekoto datant d’une résidence juste avant sa mort sont exposés, y compris son certificat de demande de statut de réfugié en France. Ils côtoient des publications telles que Drum et Afrikadaa, des livres de Chinua Achebe, Amal Al-Haag, Frantz Fanon, bell hooks, W.E.B. Du Bois, Christine Eyene et James Baldwin. Répartie sur cinq salles, l’exposition met en scène une pléthore de médiums, parmi lesquels des installations, des peintures, des sons, des sculptures et des vidéos. Mo Laudi considère le rôle que la musique de protestation a joué dans les mouvements de libération sud-africains – en particulier les chants des camps d’entraînement de l’ANC dans des pays comme la Tanzanie, la Zambie et le Mozambique – comme un point de départ pour sonder l’interconnexion culturelle et l’absence de frontières.
Libérée de son châssis et accrochée à des crochets muraux à la manière d’une sculpture, Cape II (1970) est une huile sur toile de Sam Gilliam qui évoque directement ces translocalités. Dans le style expressionniste abstrait du défunt artiste, l’œuvre fait référence aux mouvements de libération des Noirs du XXe siècle et à l’improvisation qui caractérise le jazz. Pour un artiste afro-américain de l’époque, cette approche était radicale, car les communautés noires américaines n’étaient alors pas considérées comme légitimes en tant que représentantes de l’art abstrait. L’œuvre porte en elle une qualité militante galvanisante qui s’étend au-delà de son site immédiat. L’œuvre Cape II a été acquise par le MAMC+ en 1971, un an après sa réalisation.
L’artiste nigériane Otobong Nkanga, basée à Anvers, vient enrichir le discours sur la libération des Noirs à travers la matérialité et la marchandisation. Histoires de noix de Cola – Démembrées (2016) invite à des réflexions sur l’importance de la célèbre noix dans les coutumes et les pratiques spirituelles ouest-africaines, en sa qualité de source de vie liée à sa forte teneur en caféine. Nkanga introduit cet aliment dans une conversation globale, constatant son utilisation dans la production de la boisson gazeuse populaire Coca Cola jusqu’en 2016. Il en résulte des considérations sur l’exploitation des ressources, qui examinent la tension existant entre le global et le local et soulèvent la question pertinente (et peut-être rhétorique) de la possibilité du partage équitable des coutumes et des ressources dans un ordre mondial capitaliste.
Les observations de l’anthropologue social James Clifford sur « les musées en tant que produits de la civilisation capitaliste avec leur objectivation et leur marchandisation » pourraient bien s’appliquer de façon pertinente. Il s’interroge sur la manière dont le musée peut être considéré comme une zone où des objets hybrides peuvent être observés et appréhendés, et commente le « manque d’enquêtes ethnographiques plus approfondies sur la manière dont ces zones et ces objets s’inscrivent dans la vie des gens[3] ».
Malgré l’impressionnant éventail d’artistes et d’œuvres exposés, l’exposition se déploie dans les limites des modalités de l’art occidental. Si le sujet et le contenu se distinguent de la programmation habituelle du musée, le format de l’exposition pose en fin de compte une limite à l’effet de la philosophie. En cela, l’exposition relance le débat éternel sur la façon de décentraliser le musée en tant que lieu charnière à la croisée des pédagogies, de la production culturelle, de la consommation et du divertissement, et de faire ainsi revivre les structures africaines de la culture comme une entité à laquelle les gens appartiennent plutôt qu’ils ne la possèdent.
Quoi qu’il en soit, avec les conférences d’Achille Mbembe, d’Elvan Zabunya, de Christine Eyene et de Pascale Obolo prévues dans le cadre du programme de l’exposition en octobre, on peut encore s’attendre à ce que les perspectives critiques convergent autour d’un thème aussi passionnant.
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Tobi Onabolu est un cinéaste, poète, directeur de la création et stratège culturel ayant reçu de nombreux prix. Dans son travail, il aborde en particulier le panafricanisme à travers la narration, la guérison, la collaboration et la pensée critique.
[1] Planetary Consciousness and Possible Future of Culture: Achille Mbembe, 25 Years 25 Hours Festival. Prince Claus, 2021 https://www.youtube.com/watch?v=8fI3-6fjkqc&ab_channel=PrinceClausFund.
[2] Jonathan Friedman, “Review: Routing Roots and Rooting Routes: A Cosmopolitan Paradox,” Current Anthropology, Vol. 39, No. 5 (December 1998).
[3] Ibid.
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