Dans cet entretien, l’artiste ruby onyinyechi amanze évoque l’élaboration de nouveaux récits
Bien connue pour ses dessins et ses travaux sur papier, l’artiste d’origine nigériane ruby onyinyechi amanze évoque l’élaboration de nouveaux récits faisant écho à son développement d’artiste vivant aux États-Unis.
C& : Qu’est-ce qui vous a amenée au dessin ?
ruby onyinyechi amanze : Je suis venue à l’art par le dessin, mon premier amour. À l’école, j’ai étudié la photographie et le design textile, mais mon intérêt pour ces derniers se résumait au procédé commun consistant à travailler avec différentes couches. À l’époque, je ne possédais pas le langage me permettant de penser le dessin en dehors de ses paramètres traditionnels, mais pour l’essentiel, nombre de mes photographies et de mes réalisations textiles étaient, en quelque sorte, des dessins. Je suis retournée au papier à l’université et, depuis, je suis restée captivée par ce médium.
C& : Un thème central de votre pratique est la notion de lieu/déplacement. D’où vient cette thématique ?
roa : Je m’intéresse à l’espace pour son aspect malléable et sans limite. Comment tenir de l’espace entre mes mains, comment l’étirer ou le retourner, jouer avec la tension. Le lieu est bien moins fluide. C’est une notion figée, également très arbitraire et confinée dans sa constitution même. Mon travail ne vise pas à traiter d’une nation ou d’une géographie précises. Cela ne m’intéresse pas de faire de l’art au sujet du lieu d’où je viens. Je suis de partout et de nulle part. Et je me demande parfois pourquoi c’est seulement important…
Pour ce qui est du déplacement, ça a été mon histoire, mais ça n’est plus pertinent depuis quelque temps, tout comme passent certaines douleurs lorsque l’on grandit. Lorsque je me suis identifiée à ce concept, j’étais prise dans une histoire de victime du fait du déracinement ou de la recherche de quelque chose de perdu ou qui m’aurait été dérobé. J’ai désormais trouvé un nouveau langage qui ne charrie pas le sous-entendu négatif du déplacement subi. J’ai vécu en Angleterre, aux États-Unis, au Nigeria et vivrai dans bien d’autres lieux à l’avenir, mais je n’ai rien perdu et ne suis certainement pas brisée. Certes, mes connexions à chaque lieu et mes souvenirs d’eux sont constitués de fragments, mais c’est simplement l’état de l’histoire à ce stade, et je suis exactement là où je dois être.
C& : Dans votre travail, vous avez recours à une série de figures et de personnages qui comportent des éléments futuristes. Pouvez-vous nous parler un peu de ce choix et de ce procédé esthétiques ?
roa : Ma réflexion comprend deux parties : j’incorpore dans une première partie certains motifs ou choix de composition qui suggèrent une quatrième dimension – un changement de temps et d’espace. Je suis curieuse de voir à quel point cela peut arriver simplement, en traversant l’océan en avion par exemple, et en gagnant ou perdant ainsi une journée entière. Dans une seconde partie, tout se passe dans le moment présent et il est moins question de futur. En réalité, la possibilité de quitter la Terre pour un autre monde peut être une expérience physique ou métaphysique. J’ai marché dans les rues de Brooklyn et tout, hormis mon corps, marchait dans les rues de Lagos. Des individus sont allés sur la Lune, ont tenu une conversation là-haut et, une semaine plus tard, étaient de retour chez eux sur Terre. De nombreux peuples indigènes de par le monde ont, depuis des siècles, été capables de manipuler d’autres dimensions de l’être. Je m’intéresse à toutes ces choses dans leur relation avec le moment présent.
roa : Je ne suis pas sûre d’avoir réellement fait l’expérience de conversations concrètes ou de liens concrets. Et je trouve que l’existence même de ces groupes est un terrain dangereux. Je pense qu’il pourrait y avoir potentiellement autant de conversations pour de nombreux artistes noirs qui travaillent dans la diaspora ou en Afrique. La similitude de la couleur de peau (éventuellement) et, bien entendu, les façons globales et historiques dans lesquelles les autres ont réagi (et parfois réagissent encore) aux populations à peau brune sont, dans une certaine mesure, la seule connexion entre ces deux groupes (hormis le fait d’être un être humain). Même parmi « eux-mêmes » – par exemple un artiste kenyan travaillant au Kenya et un artiste marocain travaillant au Maroc –, il existe rarement une expérience partagée automatiquement en vertu d’une origine commune d’un même continent. Leur quotidien peut très bien être aussi différent que celui d’un Écossais et d’un Turc, qui vivent aussi sur un même continent. Malgré cela, il y aura toujours des conversations parallèles parce que de nombreux artistes, indépendamment de la race, de l’ethnicité ou de la géographie, réfléchissent aux mêmes choses.
Je pense que, en termes de visibilité, la diaspora a sans doute permis aux artistes noirs (y compris ceux d’origine africaine directe qui ont vécu dans la diaspora pendant longtemps) un accès aux plateformes d’art mondiales, même si je ne suggère aucunement que nous ayons, en tant que société, atteint quelque forme d’égalité que ce soit, lorsqu’il s’agit de visibilité pour des artistes non blancs. Je pense qu’il y a un engouement à l’égard de ce que les artistes noirs et africains produisent actuellement, mais uniquement en rupture avec ce que tout le monde fait. C’est délicat car la visibilité est importante, mais l’inclusion l’est aussi.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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