Photographie

Hady Barry porte un regard intime sur l’amitié et la maternité

La série de photographies Wearing the Inside Out saisit l’intimité des proches de l’artiste guinéenne Hady Barry.

Hady Barry, Azi and Adjéla, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

Hady Barry, Azi and Adjéla, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

By Bayo Hassan Bello

Artiste et conteuse travaillant avec la photographie et le son, Hady Barry s’intéresse aux histoires les plus personnelles afin de révéler les vérités universelles qui nous unissent. Barry s’est mise à la photographie il y a quinze ans, notamment pour documenter ses voyages. Elle y est revenue au cours de l’été 2020, après une année difficile. Alors en quête d’une expression créative pour apaiser et prendre soin de sa santé mentale, elle oriente toute cette énergie créatrice vers elle-même. « On m’a encouragée à réfléchir à ce que je voulais explorer à travers la photographie », dit-elle. « Mon retour à ce médium a coïncidé avec la grossesse de mon amie Azi, qui attendait son deuxième enfant, et j’étais curieuse de voir si la photographie pouvait m’aider à composer avec mes propres sentiments, ma femmité et le fait d’être mère. »

Hady Barry, Projections, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

Barry est fascinée par les souvenirs et la façon dont il est possible de les documenter — les siens et ceux des personnes qui lui sont proches. Sa première photo prise avec un appareil DSLR professionnel nous montre son amie Jenny, qui était sur le point de se marier. Barry fait le voyage de Washington DC à Istanbul pour assister au mariage et dors chez Jenny la veille de la célébration. Elle y photographie son amie dans sa salle de bains, en train de se préparer, avec ses cheveux encore enroulés dans des bigoudis. Barry choisit de saisir ce moment très intime comme un reflet dans un miroir.

Hady Barry, Contemplation I, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

Ses œuvres ont souvent pour point de départ une histoire proche de son environnement. Barry est attirée par le genre de photographie que seule une proximité intime permet. Il n’est pas surprenant que dans sa dernière série, Wearing the Inside Out, la photographe ait à nouveau tourné son appareil vers une amie proche, cette fois Azi, une amie de l’artiste depuis l’âge de cinq ans — elles se sont rencontrées en CP. Leurs familles sont très proches, et même si les deux jeunes filles se sont perdues de vue entre l’adolescence et la vingtaine, leurs parents sont restés en contact. En 2018, lorsque Barry retourne vivre à Abidjan, Azi et elle ravivent leur amitié. « J’ai été étonnée de voir à quel point nous nous ressemblons et pourtant de constater combien nous avons appris différemment à vivre et assimiler les choses », se souvient-elle. « Nous avons des intérêts similaires et sommes toutes deux curieuses du monde. Toutefois, j’ai souvent l’impression d’avoir plus de difficultés à faire face et à m’orienter dans la vie qu’Azi. Je peux rester longtemps préoccupée par des pensées négatives alors qu’Azi parvient à les mettre de côté et ne s’y attarde pas. »

Hady Barry, Azi and Kemet, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

Wearing the Inside Out est le plus grand ensemble d’œuvres réalisé par Barry à ce jour. Elle s’est lancée dans cette série avec l’intention de se développer en tant que photographe et raconteuse. Elle a ainsi pu dénouer certains sentiments troubles qu’elle éprouvait à l’égard de la maternité, sentiments marqués par la peur et les traumatismes. Très tôt, Barry a dû s’occuper de ses jeunes frères et sœurs et s’est sentie dépossédée de sa propre enfance et adolescence. La perspective de devoir assumer à nouveau cette énorme responsabilité lui semblait alors décourageante. Ce projet l’a aidée à accepter ses craintes et ses incertitudes face à l’idée de devenir mère, d’apprécier sa liberté et de reconnaître d’autres formes d’engagements maternels, par exemple à travers sa relation avec les enfants de son amie Azi.

« J’ai réalisé ce corpus d’œuvres pour moi, d’abord et avant tout », affirme-t-elle. « Mais il s’adresse aussi à toute personne qui ressent de la solitude ou de la perplexité face à la question de la parentalité. J’ai remarqué que les femmes trentenaires sans enfants s’identifient à l’anxiété et à l’ambivalence envers la maternité que cette série explore. » L’œuvre n’offre pas de réponses et ne cherche pas à être didactique. Elle donne plutôt aux personnes qui s’y intéressent l’occasion de s’interroger sur leur propre relation à la parentalité. Barry espère que cette série permettra aux personnes qui ont des doutes sur ce sujet de se sentir moins seules et déroutées. Savoir que les questions existentielles qui nous préoccupent tous·tes sont partagées par d’autres peut être vécu comme un soulagement.

En effet, la série a suscité un vif intérêt, puisqu’elle a été incluse dans l’exposition 2021 du Taylor Wessing Portrait Prize de la National Portrait Gallery de Londres. Barry a également reçu une mention honorable pour sa candidature au prix Hariban 2022 et figure parmi les finalistes du prix Vantage Point Photography.

Hady Barry, En Attendant Kemet, Installation view at Villa 76, Abidjan, Courtesy the artist.

L’approche photographique de Barry est influencée par des artistes comme Elinor Carucci, Pixy Liao ou encore Siân Davey. Carucci et Davey se tournent principalement vers leurs familles tandis que Liao s’intéresse à sa relation avec son partenaire. Barry cherche à concevoir des œuvres tout aussi vulnérables et évocatrices, des images qui vous interpellent et qui nous habitent encore longtemps après. Ses thèmes proviennent généralement des profondeurs de son être. Dans Nostalgia, Ultra, une série sur l’immigration et le déplacement, Barry a utilisé ses albums de famille en laissant les teintes caractéristiques de ces vieilles images dicter celles des nouvelles photographies prises en parallèle. La série porte tout autant sur elle que sur sa famille. La photographe souhaitait que leurs voix résonnent avec force à travers l’œuvre, c’est pourquoi elle a incorporé les entrées du journal intime de sa sœur aux images. Dernièrement, Barry a réfléchi au village de son père, Tolo, en Guinée, et pourquoi elle ne le considère pas comme « mon village ». Elle ne sait pas où ces réflexions vont la mener, mais elle est suffisamment curieuse pour en faire une œuvre.

Hady Barry, En Attendant Kemet, Installation view at Villa 76, Abidjan, Courtesy the artist.

Du 6 octobre au 5 novembre, Wearing the Inside Out sera présenté dans le cadre de la première exposition personnelle de Barry, intitulée Waiting for Kemet, à la Villa 76 à Abidjan.  La photographe a précisément retenu ce lieu puisque l’intimité de cette villa transformée en concept store lui rappelait la maison d’Azi, où la série a été réalisée. Le cadre donne un sentiment concret du processus créatif de Barry, ainsi qu’un contexte idéal pour contempler de manière critique ce travail pertinent sur l’amitié et la maternité.

Hady Barry, A mother’s touch, from the series Wearing the Inside Out, 2022. Courtesy the artist.

Bien que la série soit née d’une étude curieuse sur la maternité, elle s’est transformée en un révélateur d’une pratique active du care. L’exposition constitue également une sorte de conclusion pour Barry et les Edouas — Azi, son mari, et Adjela, leur premier enfant — alors que la famille attend l’arrivée de Kemet, leur deuxième enfant. La série montre habilement comment chaque membre de la famille prend soin de l’autre, comment elles et il partagent l’espace, les vêtements, les chaussures et les moments de joie et d’appréhension en attendant la naissance de Kemet. Dans A Mother’s Touch (2020), nous observons Azi tenant le visage d’Adjela pour lui nettoyer le nez — une démonstration d’un certain besoin de coercition, malgré l’intention de prendre soin d’elle. Dans Playing is Hard Work(2021), Barry traduit à la fois l’épuisement et la joie d’être la « tante en résidence » et la marraine d’Adjela.

 

Du 6 octobre au 5 novembre, En attendant Kemet de Hady Barry est à l’affiche à la Villa 76 à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

 

Hady Barry est une artiste visuelle dont la pratique mêle photographie et son. Elle est née en Guinée et a grandi en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Sa travail aborde le poids de la mémoire, le besoin de connexion et la construction de l’identité. Sa approche est contemplative et introspective. Il est ancré dans un respect pour les détails de la vie. 

https://www.hadybarry.com/about-hady

 

Bayo Hassan Bello est un artiste, écrivain et conservateur basé sur la recherche dont la pratique artistique s’inspire des éphémères locaux et de l’esthétique indigène. Ses travaux étudient et cherchent à comprendre les systèmes de connaissances et le patrimoine culturel. Ses recherches actuelles sont centrées sur les textiles africains et la culture matérielle qu’il explore à travers des livres d’artistes, des projets organisés, des films expérimentaux et des installations. En 2016, Bayo a fondé AJALA, une plateforme de production culturelle axée sur la création d’un impact social pour les artistes et les communautés créatives des pays du Sud.

 

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