La 4e Les Ateliers de la Pensée ont réuni des artistes et des intellectuels d’Afrique et de la diaspora au Musée des civilisations noires de Dakar.
Intitulée « Cosmologies du lien et formes de vie », la quatrième édition annuelle des Ateliers de la Pensée s’est tenue au Musée des civilisations noires de Dakar en Mars. Elle s’est attachée à considérer les pratiques curatoriales comme le fil permettant de tisser et de relier les formes sensibles et intellectuelles du savoir entre elles. Les cosmologies de la vie touchent à la qualité de nos capacités à créer du lien avec toute entité et ne contiennent aucune limitation.
Les arts visuels permettent aux êtres vivants de favoriser des conversations avec ce qui peut paraître inaccessible ou définitivement inachevé. Les pratiques artistiques, dont les rituels et les célébrations communautaires, peuvent ainsi jouer un rôle essentiel dans la création du lien et nourrir nos relations avec diverses formes de vie, dont celles enfermées dans les silences.
Dans son travail, la participante Natalia Brizuela a recours au cinéma comme instrument de célébration. Elle en fait ressortir la puissance sensible sous la forme d’une archive permanente, telle une invitation à écouter, toucher, tenir, au-delà du regard. Little Kesho, un projet regroupant divers artistes de Kigali, a présenté la première de leur performance musicale éponyme au cinéma Empire de Dakar. Leur travail proposait une incarnation de la polyphonie d’un champ de recherche artistique, comme un moyen de rétablir du lien activement entre ceux qui sont devenus invisibles en raison du mépris social – parmi d’autres expressions de la brutalité.
À travers des échos permanents entre l’intellect et le sensible, Les Ateliers de la Pensée ont élargi les territoires linguistiques en opérant un changement cognitif. En créant du contenu à partir de ce changement, une écologie des savoirs (un concept introduit par le cofondateur des Ateliers de la Pensée Felwine Sarr) s’est dessinée, qui favorise les moyens de créer du lien, renforcés par des récits non anthropocentriques.
Passant en revue quilombos, Zomia et marronnage, Dénétem Touam Bona explore des territoires cosmopoétiques, remettant en cause la croyance populaire selon laquelle aucun d’eux n’est une île, y opposant le fait que (et par conséquent le fait que toute île fait partie d’un archipel) tout un chacun est ancré dans un tissu de liens. En résonance avec cette vision du lien et des espaces collectifs, le performer Faustin Linyekula (Kisangani, RDC) a expliqué par le biais de la parole, des arts visuels et de propositions performatives que chaque relation est une négociation active et permanente. Linyekula a présenté la performance transdisciplinaire My Body, My Archive, la définissant comme une tentative de se remémorer son propre nom, d’avoir recours à des décisions artistiques pour se situer soi-même entre des conceptions personnelles et collectives de temps et d’espace. En tant qu’expérience d’auto-inscription dans le cercle, My Body, My Archive aborde le thème de la circulation entre ce qui apparaît symbolique, un nom, et son incarnation dans ce qui semble être matériel, un corps.
My Body, My Archive a trouvé un écho chez les universitaires spécialisés en culture et histoire africaines. L’autrice Maboula Soumahoro du Triangle et l’hexagone – Réflexions sur une identité noire s’interroge comment un « nous » peut véritablement exister si le « je » lutte déjà pour exister ? L’artiste visuelle Laeila Adjovi (Dakar, Sénégal) a complété les interrogations de Faustin Linyekula en se fondant sur sa recherche au Nigeria, au Bénin et à Cuba au sujet des circulations matérielle et immatérielle de la divinité de l’eau Yemaya/Yemoja/Yemanja d’une rive à l’autre de l’Atlantique noir. Adjovi a donné une agentivité à la notion de fugitivité en tant qu’héritage intérieur, transmis à travers les temps et les espaces. Par exemple, l’inscription de la mémoire des morts dans des noms sur des générations est un moyen d’accompagner les êtres dans leur survie tout au long de leur vie tout en restant connectés avec des entités prétendument mortes.
Ces enseignements de la sagesse de la mangrove appellent un effacement essentiel de toutes les formes de binarité et de catégories rigidifiées telles que le visible et l’invisible, le vivant et le mort. Comme Sylvia Wynter le décrivit en 1971 (dans « Novel and History, Plot and Plantation », Savacou 5), les cosmologies basées sur l’intrigue ancrent leurs pratiques et leurs existences dans de vives conversations se déclinant sous de multiples formes. Elles sont enchâssées dans une longueur d’onde spatiotemporelle qui relie un mélange dense de musicalité, de corporalité et d’oralité, préservé et mis en mouvement par la mémoire des océans.
Dans cette vision, proche de la recherche de Black Quantum Futurist, les êtres sont essentiellement spirituels, sujets à des incarnations temporaires successives. Sur ce sujet, les propositions de Laeila Adjovi font écho aux changements narratifs liés aux normes et aux protocoles de temps, présentant la Blackness épistémique (telle qu’explorée par Olivia Rutazibwa et Fred Moten) dans un geste qui défait l’insistance de la plantation sur un présent temporel étroit, glissant plutôt vers un régime d’agentivité temporelle et d’autonomie spatiale. (Ces idées sont également explorées à la Prime Meridian Unconference, dont le commissariat a été assuré par Rasheedah Phillips au New York’s Vera List Center, du 14 au 17 avril 2022.)
Nourrir nos conversations de toute forme de vie nous permettrait de dépasser la simple observation de la réalité et d’en faire véritablement l’expérience totale, de la saisir dans une pratique de contemplation active et sensorielle.
By Isabelle N’diaye.
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