Ecologies

Banji Chona invoque le savoir ancestral

La relation symbiotique entre son lieu ancestral et les offrandes de ses œuvres nourrit sa pratique liée à la terre des forêts de mopane.

Musila/Soil Paint on Photopaper. Simonga, 2022 [analogue image: Victoria Chona, London 1971]. Courtesy the artist.

Musila/Soil Paint on Photopaper. Simonga, 2022 [analogue image: Victoria Chona, London 1971]. Courtesy the artist.

By Ethel-Ruth Tawe

Dans les régions boisées de mopanes au sud de la Zambie, l’artiste Banji Chona cultive une pratique liée à la terre, en symbiose avec son chez-soi ancestral. Lors d’une visite virtuelle de son atelier, sa façon de se qualifier d’« entrepôt » m’a amusé, faisant allusion aux multitudes incarnées et excavées de son travail. Chona nomme sa terre natale « Zambezi », d’après le fleuve Zambèze, et la distingue de « Zambie », soulignant l’importance de la langue maternelle et de la dénomination comme moyen de reconquête au-delà des frontières, des eaux et des imaginaires coloniaux. Situer notre échange géographiquement, de sa maison en terre cuite alimentée par l’énergie solaire à Simonga à ma terrasse accréenne, au Ghana, à quelque six mille kilomètres de distance, c’est faire honneur à la communion spatiotemporelle qu’elle alchimise à partir du vernaculaire de son environnement, de ses racines africaines interconnectées et des semences de nos écologies globales.

Wild Gardenia Pod Fibres Alchemised into Paintbrush Bristles. Bovu Island, April 2023. Courtesy the artist.

L’engagement continu de l’artiste dans des projets de développement local destinés aux femmes, actuellement avec un atelier textile, un jardin biologique et une activité de curation pour le Women’s History Museum of Zambia, marque le point de convergence entre son expérience en matière de développement et sa pratique créative. En qualité de conteuse dont la voix se manifeste à travers le spectre artistique, anthropologique et culturel, Chona explique que sa démarche répond à un « besoin viscéral de donner vie à des espaces accessibles et à des corpus d’œuvres visant à favoriser un dialogue artistique et culturel nuancé qui remette directement en question les systèmes occidentaux hégémoniques ». De l’étude des technologies autochtones aux expériences récentes sur l’impression à la chlorophylle, qui permet de développer des images sur des feuilles par photosynthèse, l’artiste restaure des moyens archivistiques par un profond engagement dans la culture matérielle de son lieu.

Matriarchs Chlorophyll Printing Series in Process. Simonga 2023. Courtesy the artist.

C& : Après vos années d’études à l’étranger, vous avez combiné votre formation avec votre pratique artistique. Comment cette dernière a-t-elle changé ou s’est-elle épanouie ?

Vivre sur un sol ancestral après un temps de pause a permis d’alchimiser mon processus et de nourrir un enracinement délibéré. En communion avec la terre traversée par mes pieds nus, à l’instar de mes ancêtres, un besoin instinctif de trouver un sens et une orientation en me reliant à la terre s’est éveillé en moi. Mes pratiques artistiques et de développement sont toutes deux enracinées dans la nécessité de la survie personnelle et collective à travers la découverte. Les forêts zambéziennes et de mopanes du sud de la Zambie forment un réseau interconnecté d’écologies, les conversations et les interactions qui existent parmi et entre les communautés et les écosystèmes sont au cœur de mes recherches actuelles.

C& : La signification de votre nom, Banji, est-elle intimement liée à l’histoire de votre vie ?

Banji en ciTonga peut se traduire par « beaucoup » ou « en abondance ». Ce nom est souvent attribué au deuxième jumeau. Je rapproche ce terme à la dualité de ma pratique. Dans une phrase, il serait utilisé pour faire référence au collectif, « bantu banji nkobaali », ce qui signifie qu’il y a beaucoup de monde. Mon travail est lié à l’existence de récits et de réalités multiples. L’attribution de noms est un outil important utilisé dans les cultures africaines pour véhiculer certains messages, que ce soit à une personne, aux membres d’une famille ou à une communauté. La dénomination peut être liée à des facteurs sociopolitiques des pays dans lesquels on trouve des anthroponymes et des toponymes.

Wild Gardenia Pod Fibres Alchemised into Paintbrush Bristles. Bovu Island, April 2023. Courtesy the artist.

C& : Votre travail s’inscrit dans une recherche de compréhension de vos connaissances ancestrales. Quand avez-vous pris conscience de l’interconnexion profonde entre la nature et le savoir ancestral ? Quels sont les territoires d’expérimentation à cet égard qui se dessinent actuellement dans votre pratique ?

Je me laisse guider par les interactions entre la communauté et la multitude d’organismes vivants qui m’entourent. En particulier, la relation que les peuples autochtones Tonga, Tokaleya et Lozi cultivent avec la flore de la région ; cette relation existe depuis des millénaires et repose sur la survie, la symbiose, la nécessité et le care. Les maisons, qui constituent sans doute le centre de la vie du village, sont pour la plupart construites selon les principes durables de l’architecture vernaculaire zambienne, en utilisant des matériaux d’origine végétale tels que les poteaux en bois (malele) et l’herbe séchée (bwizu) en association avec des matériaux d’origine terrestre tels que l’argile des fourmilières (buloongobwa kaulu) et les déchets issus du bétail tels que la bouse de vache (mafumba ya ngombe). Les expressions culturelles/objets tels que les paniers et les textiles comme la corde sont fabriqués à partir de matériaux issus de la cueillette, notamment le palmier (ilala) et l’écorce de mopane (mupani).

Les observations et les recherches montrent clairement qu’au fil des années, l’influence étrangère a altéré les relations des communautés autochtones avec la terre et les écosystèmes naturels, non seulement dans la province méridionale, mais aussi dans l’ensemble de la Zambie. Par exemple, la vannerie est devenue un produit populaire sur les marchés touristiques, entraînant des répercussions sur la récolte des palmiers. Ces deux pratiques sont désormais déconnectées des racines autochtones, alimentées par un lien nouvellement formé et imposé avec l’étranger, ce qui a des effets négatifs considérables.

Musila/Soil Installation. Lusaka Contemporary Art Centre, Lusaka, Zambia. 2023. Courtesy the artist.

C& : Il est possible de définir un médium à la fois comme un outil artistique et comme un artiste : une personne qui compose avec l’esprit. Je retrouve cette idée dans les oscillations entre permanence et impermanence de votre travail. La spiritualité ou les croyances des Tonga influencent-elles d’une manière ou d’une autre votre manière de travailler les matières ?

BJ: L’un des médiums avec lesquels je travaille actuellement est le musila, un type d’ocre rouge présent dans tout le pays, surtout dans la province méridionale où vivent les baTonga. Selon mon peuple, les terres ancestrales — le lieu dans lequel se rendent les mizimu (esprits) qui quittent la surface de la terre — regorgent de cette ocre rouge. Au cours des processions funéraires, les personnes qui mènent le deuil ou la famille proche de la personne défunte arborent le musilasur leur visage comme un marqueur d’identité. En dehors des pratiques funéraires, le musila est utilisé pour oindre les jeunes filles qui deviennent des femmes. Il existe un lien sacré entre les baTonga et cette matière terreuse, et par conséquent un lien sacré entre moi, en tant que femme tonga, et l’ocre rouge. Dans mon travail, les éléments terreux évoquent l’impermanence ou l’éphémère, symbolisant ainsi le cycle de la vie. De la terre nous venons, à la terre nous retournerons.

Musila/Soil Paint on Photopaper in Process. Simonga, 2022 [analogue image: L-R Bene Chona, Victoria Chona, Chilala Chona]. Courtesy the artist.

C& : Comment la notion de mémoire se traduit-elle dans votre démarche et en quoi les archives photographiques ont-elles joué un rôle à cet égard ?

BJ: La mémoire est synonyme de sentiment et de connexion enregistré et retrouvé. C’est la traçabilité de l’action et de la pensée. C’est l’amour. Un assemblage de réseaux de choses tangibles et intangibles, généralement des voies et des points d’accès à la métaphysique. J’ai repensé ma compréhension de la mémoire, de sa préservation et de sa détérioration à une époque à la fois rude et douce. Ma grand-mère, l’épine dorsale de mon existence, a lutté contre la maladie d’Alzheimer pendant quelques années. J’ai constaté que les photographies argentiques d’objets familiers étaient pour elle un moyen de renouer avec la compréhension de ses espaces et de ses sentiments actuels vis-à-vis de son passé. Cette découverte a influencé ma pratique actuelle, à savoir l’usage d’écologies passées et d’images anthropologiques, en relation avec la mémoire collective, comme lignes de traçabilité et de renaissance des histoires ancestrales zambeziennes, comme en témoigne mon projet Ngoma zya Budima (Tambours de l’obscurité).

C& : En tant que personne qui se soucie profondément de la terre, de quelles manières pensez-vous que les pratiques écologiques traditionnelles soient en mesure d’apporter des solutions durables et pérennes à la crise environnementale d’aujourd’hui ?

BJ: Ma pratique repose en grande partie sur la renaissance de ces relations et processus symbiotiques. En exhumant les connaissances et les technologies autochtones collectives en sommeil et en les traduisant en actions et en œuvres, j’envisage un avenir qui prend en compte les problèmes qui touchent les communautés autochtones de Zambie.

 

 

Banji Chona est une installation de stockage, une conteuse et une alchimiste. Au cœur de sa pratique se trouvent l’exploration et le dialogue entre la terre ancestrale du Zambèze**, le présent et le(s) futur(s) projeté(s).

Ethel-Ruth Tawe est une créatrice d’images, une conteuse et une voyageuse temporelle basée entre les continents. Artiste pluridisciplinaire, commissaire d’exposition et écrivain, elle explore la mémoire et les archives à travers l’Afrique et la diaspora.

 

 

ECOLOGIES

C& and C&AL Print Issue: Ecologies

Le premier numéro commun à C& et C&AL invite de perspectives noires et autochtones à débattre, mettre en contexte et réfléchir au rapport qui existe entre les structures néocoloniales et la crise climatique dans leurs contextes locaux.

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