Trois expositions en dialogue explorent l'histoire du mouvement activiste The Young Lord dans les années 1960 à N.Y.C
Les Young Lords étaient un groupe antiraciste qui revendiquait l’égalité devant les soins médicaux, une meilleure éducation et un accès accru aux services publics pour la classe ouvrière défavorisée. Ils luttaient contre les injustices policières, militaient pour des aliments à un prix abordable et des possibilités de garde des enfants. À New York, leur objectif principal était de lutter contre les injustices quotidiennes auxquelles était confrontée la communauté portoricaine qui, à l’époque (et, à un moindre degré, aujourd’hui), faisait face à d’innombrables difficultés socioéconomiques et était en grande partie ignorée par les autorités municipales locales. Sur le plan idéologique et politique, ils prenaient modèle sur les Black Panthers, le groupe nationaliste noir fondé au milieu des années soixante qui recourait à des actes militants pour réclamer la justice. Les choix stylistiques des Lords faisaient écho aux codes vestimentaires des Panthers, dont le port de bottes militaires, de bérets et de treillis de l’armée.
En collaboration avec El Museo del Barrio et le Loisaida Center, le Bronx Museum of the Arts a mis en œuvre une exposition en trois parties, qui retrace et met en honneur le legs des Young Lords. « Presente: The Young Lords in New York » s’étend sur les trois quartiers où les Young Lords étaient les plus actifs dans la zone de New York City.
Caecilia Tripp, Video Still from « Music for (prepared) Bicycles, » Score Two New York, Brooklyn/Spanish Harlem/The Bronx, 2013, HD video, 14 minutes. Courtesy of the artist
Dans le Lower East Side, là où le groupe a été fondé, le Loisaida Center se dédie tout particulièrement aux réalisations artistiques du groupe. Pour les Lords, l’art était un élément important dans le processus d’édification d’une communauté. Ils savaient qu’assumer leur histoire et leur culture et en être fier constituait un moyen d’occuper les espaces où ils étaient considérés comme « étrangers » ou « autres ». Une grande partie de cette exposition met l’accent sur leur activisme social, mais aussi sur les effets de celui-ci sur les artistes, comme l’illustrent les photographies et vidéos présentées, dont les travaux de photographes tels Hiram Maristany et Maximo Colon. Les curateurs ont aussi attiré l’attention sur l’histoire de l’art communautaire du groupe en recréant des tentes de fortune ayant servi de maisons voire même de villages à certains artistes. Le groupe avait aussi transformé un bâtiment de ce quartier en un espace d’art connu sous le nom de New Rican Village, où le théâtre et l’art étaient utilisés comme instruments de leur arsenal politique. L’exposition au Loisaida Center s’attache également à documenter le rôle des gays et lesbiennes dans le mouvement, vu que ce quartier était le site des Young Lords Gay and Lesbian Caucus. Une vidéo est projetée sur le mur montrant des séquences de l’activiste transgenre Sylvia Rivera exhortant au respect et à la visibilité de ses pairs.
Au Bronx Museum of Arts, l’exposition retrace notamment l’occupation de l’hôpital Lincoln par le groupe dans ce quartier, suite à l’empoisonnement au plomb d’enfants après leur admission à l’hôpital. Une installation présente des membres du Young Lords Women’s Caucus, un groupe qui exigeait un traitement équitable pour ses membres et se consacrait aux problématiques concernant les femmes. De même, quelques œuvres au Bronx Museum traitent de l’appel des Young Lords contre la stérilisation forcée de femmes portoricaines sur et hors de l’île. Au centre de la galerie se trouve une paire de baskets Nike Air Force One, stylisées par le membre des Young Lords Miguel Luciano, arborant le tristement célèbre swoosh (logo en virgule inversé) de Nike transformé en machette. Les jeunes communautés urbaines, telle celle du Bronx, accordent un grand intérêt et une grande valeur aux baskets, de sorte que cette inclusion revêt un impact culturel et constitue un commentaire efficace tant sur les pratiques de consommation abrutissantes que, paradoxalement, sur la possibilité d’une révolution.
Miguel Luciano, Machetero Air Force One’s (Filiberto Ojedo Uptowns), 2007, Vinyl and acrylic on sneakers. Courtesy of the artist
Le dernier lieu de l’exposition au Museo del Barrio se trouve à l’emplacement où ont eu lieu les actions de protestation des Young Lords connues sous le nom d’« émeutes des ordures » et leur occupation pacifique de l’église First People’s Church. Puerto Rican Obituary, un poème des membres des Lords et du poète Pedro Pietri, passe en boucle dans le musée face à un mur orné de quatre armes semi-automatiques. Chaque arme arbore un mot : santé, nourriture, logement et éducation. Les deux œuvres – le poème et les armes peintes avec les slogans – montrent que c’était littéralement la vie et la mort des Portoricains qui étaient en jeu : sans la mobilisation et la conscience suscitées par les Young Lords, les officiels locaux auraient continué à considérer cette communauté comme invisible et à faire semblant de croire qu’ils n’avaient pas besoin des services de base dont bénéficiaient les habitants blancs plus aisés.
Sophia Dawson, Sistahz, 2015, Acrylic and collage on canvas, 64 x 72 inches. Courtesy of the artist
Les trois expositions sont remarquables pour de nombreuses raisons, mais l’une d’elle se démarque plus particulièrement : les photographies et les œuvres sont peuplées de visages noirs et bruns, témoignant de la mixité et du caractère multiethnique des lignées de Portoricains. Souvent, dans les communautés latino-américaines, plus votre peau est foncée, moins vous avez de poids, moins vous êtes beau, moins vous comptez. Ceux qui sont « foncés » sont supprimés des albums de l’histoire familiale, voire même de l’histoire nationale. Mais ces visages – qui auraient pu, une fois encore, être effacés de la mémoire – sont ouvertement montrés ici, sur les lignes de front de ce mouvement. Aussi, ce n’est pas une coïncidence que les Young Lords se soient alignés sur les Black Panthers. À New York City, Noirs et Latinos vivent ensemble, sont confrontés aux mêmes injustices et endurent les mêmes épreuves. Les deux groupes sont pour ainsi dire similaires. On ne saurait exagérer la pertinence d’un groupe tel que les Young Lords dans le paysage politique et social d’aujourd’hui.
Le cri de ralliement du groupe – qui était aussi le nom de leur lettre d’information (visible dans chaque lieu d’exposition) – était « P’alante », une version contractée de l’expression espagnole para adelante, qui signifie « allant de l’avant ». En 2015, les Américains cherchent toujours à faire de même. Une exposition telle que « Presente: The Young Lords in New York » nous permet de nous arrêter un moment pour mesurer le chemin parcouru. Et celui qui reste à parcourir.
Madonna Hernandez est une écrivaine de Brooklyn, New York, où elle est née et a grandi avant la gentrification. Elle s’intéresse aux questions d’identité, de race, de classe et de structure sociale qu’elle examine par le biais de l’écriture.
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