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Agnes Waruguru : un temps dédié à la réflexion et à l’action

À l’occasion du lancement de notre nouvelle C& Artists’ Edition, nous revenons sur notre rencontre en 2020 avec Agnes Waruguru, et nous discutons aujourd’hui du processus de création de sa nouvelle œuvre.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

By Mearg Negusse

Small things to consider, la première exposition personnelle de l’artiste multimédia Agnes Waruguru, s’est tenue de septembre à octobre 2020. Nous avons discuté avec l’artiste de son usage expérimental des matériaux et de leur transformation en observations particulières et en paysages mnémoniques intimes liés à son environnement, ainsi que de l’importance de concevoir une exposition aisément accessible.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

Contemporary And : Les œuvres que vous avez exposées à la Circle Art Gallery ont été réalisées avec divers matériaux et techniques, notamment la teinture par nouage, le dessin sur tissu et l’impression sur filet. Comment avez-vous mis au point ces pratiques créatives ?

Agnes Waruguru : L’exposition a fait appel à de nombreuses techniques. Je pense que ma pratique est très expérimentale, j’ai une grande curiosité pour de nombreuses manières de faire, je saute d’une chose à l’autre, c’est dans ma nature.

Déjà quand j’étudiais la peinture, je ne réalisais plus de peintures à proprement parler après ma première année — je ne faisais que des collages et des créations en tissu et je m’essayais à la sculpture. Je crois que ce qui m’attire, c’est l’attrait pour le matériau, puis de trouver la meilleure façon de le représenter. J’utilise le filet pour faire des impressions, par exemple, et d’autres fois pour fabriquer de petites sculptures souples. Comment ce matériau peut-il me servir au mieux, quelle est la meilleure traduction de ce que j’essaie de communiquer, quelle est la méthode la plus pertinente d’y parvenir ?

Il était important de montrer les nombreuses formes de mon travail et de faire le lien entre elles, tant pour moi que pour les autres. Cette exposition personnelle m’a permis de tisser des relations entre mes dessins, mes peintures, mes gravures, mes broderies, mes objets trouvés, etc. — composer un équilibre entre tout ce que je fais, un bon panorama.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

C& : Le titre de l’exposition était « Small things to consider » (« Des petites choses à considérer »). Diriez-vous que vos œuvres correspondent à des observations particulières ou à des souvenirs liés à ce qui vous entoure ?

AW : C’est une façon intéressante de comprendre le titre. Beaucoup de personnes ont demandé pourquoi elle s’intitulait « small things to consider ». Il s’agit d’observations spécifiques, et sans aucun doute de paysages mnémoniques. Je pense que beaucoup de paysages sont liés à la mémoire, parce que rien ne cherche à représenter un lieu réel ou une description fidèle d’un lieu — mais plutôt le sentiment qu’il procure, ce qu’il m’a fait ressentir. J’essaie de saisir l’essence de l’endroit. Si l’on regarde les gravures qui constituent le point de départ de l’exposition, les impressions monotypes, elles ont été réalisées avec des morceaux de filet que j’ai trouvés au cours de mes promenades quotidiennes — de petites pièces que je n’ai pas du tout modifiées. J’ai utilisé directement la forme ramassée ; je n’ai pas essayé de l’ajuster. Je me suis rendue compte que j’avais le pouvoir d’observer et de considérer tout ce qui m’entoure et d’y répondre. Reconnaître l’importance de tout ce qui nous entoure.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

C& : Autant dans leur processus de création que par leur contenu, vos œuvres paraissent habitées d’une forte dimension intime. Qu’en pensez-vous ?

AW : Je pense que mon travail est empreint d’un caractère très intime et des personnes m’ont notamment dit, après avoir vu l’exposition, qu’on s’y sentait comme dans un espace calme et sûr, comme si l’on entrait dans mon jardin ou ma maison, avec un aperçu particulier de la façon dont je pense et je vis. Beaucoup d’œuvres sont délicates et, au moment où je les réalise, elles me semblent très personnelles. Je donne beaucoup à l’œuvre pour qu’elle existe, tout simplement parce qu’avec des processus tels que la broderie, il faut du temps. Même si je n’y pense pas vraiment consciemment, puisque c’est une tâche très répétitive, le travail finit toujours par faire naître certaines émotions. C’est un moment dédié à la réflexion et à l’action. Le public tire quelque chose de l’œuvre en raison d’une certaine familiarité, une chose liée au chez-soi. Les gens souhaitent y trouver des liens. C’est intéressant à remarquer.

Agnes Waruguru, Small Things to Consider, Circle Art Gallery, Nairobi, 2020. Courtesy the artist.

C& : Comment avez-vous traduit cette intimité dans l’espace de la galerie ?

AW : Occuper toute la galerie a été un défi intéressant, je ne l’avais jamais fait auparavant. Il était très important pour moi de concevoir une exposition accessible, notamment parce que j’ai eu de nombreuses conversations avec des jeunes du Kenya qui considéraient les galeries comme des lieux dédiés à la vente, réservées aux riches, ou s’étonnaient que l’entrée soit gratuite. Je voulais donc vraiment présenter une exposition qui soit accueillante, avec des moments ludiques. Par exemple, le drapeau, que l’on pouvait voir depuis la porte, attisait la curiosité : les gens ne savaient pas vraiment s’il était censé être là, s’il était toujours présent, s’il s’agissait d’une œuvre d’art ou non. Il était important pour moi de créer ces petits moments.

Nous avons donc accordé de l’importance à l’installation, à la manière dont les éléments fonctionnent ensemble et à la création d’espaces où l’on peut véritablement prendre le temps d’observer les choses. Des endroits où l’on ne se sent pas submergée, mais plutôt où l’on a envie d’être présente, de s’asseoir, de regarder et de prendre le temps de s’imprégner. C’est ce à quoi je pensais.

Agnes Waruguru, Messengers of a Midnight dream, 2023. Etching on Arches Rives BFK white Cotton Rag paper, 26 x 32.5 cm.

Agnes Waruguru, Messengers of a Midnight dream, 2023. Etching on Arches Rives BFK white Cotton Rag paper, 26 x 32.5 cm.

C& : Pour la quatrième collaboration de C& Artists Edition, vous avez réalisé une œuvre intitulée Messengers of a Midnight dream [Les messagers d’un rêve de minuit]. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de création de ces œuvres imprimées à la main et sur le lien avec le titre ?

AW : Messengers of a midnight dream est imprimé à l’aide d’une plaque de zinc et d’une encre de gravure à base d’eau. J’ai moi-même réalisé l’édition à la Rijksakademie. J’étais très enthousiaste à l’idée de revisiter une technique classique. En préparant les esquisses, j’ai pu examiner certaines des gravures conservées dans les archives de la résidence. Je me suis inspirée de mon contexte quotidien, de la vue depuis la fenêtre de mon atelier, tout en dilatant l’espace pour permettre à l’œuvre d’exister dans un entre-deux. Dans ma pratique d’atelier, je cherche à explorer des idées d’espaces intermédiaires et de réalités altérées. Le titre « Messengers of A midnight dream » fait référence aux serpents qui apparaissent dans l’œuvre. Ils figurent dans nombre de mes œuvres récentes et peuvent être perçus à la fois comme des chemins, des rivières, des menaces ; une entité capable de changer, de se métamorphoser ou de se délester de sa peau. Je les considère comme des créatures mystiques qui ont le pouvoir de voyager à travers différents mondes.

Retrouvez l’édition d’Agnes Waruguru avec C& ici.

Le remix et les actes d’improvisation se trouvent au cœur de l’œuvre d’Agnes Waruguru Njoroge (née en 1994). En travaillant principalement avec des matériaux de sa vie quotidienne, en particulier ceux qui véhiculent des connotations de familiarité et de vie domestique, Waruguru compose des œuvres dont la force provient du lien intime qui existe entre ces matières et les existences qui les ont façonnées. Sa pratique s’appuie sur des actes répétitifs et itératifs de création et d’ouvrage à l’aiguille — crochet, tricot, couture et broderie — qui par leur nature traduisent l’écoulement du temps. Waruguru a obtenu un BFA au Savannah College of Art and Design, aux États-Unis. Son travail a été exposé en Amérique, en France et au Kenya. En 2020, elle a fait partie de l’exposition On The Cusp, une section de la première Stellenbosch Triennale consacrée aux talents artistiques émergents du continent africain. Elle a également participé à des résidences au Kenya et à Sydney, en Australie.

Entretien par Mearg Negusse.

 

Translation by Gauthier Lesturgie.

 

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