SHOW ME YOUR SHELVES!

Une lecture gay noire à Detroit avec James Gregory Atkinson

L’exposition « Show Me Your Shelves » présente des artistes noirs d’Allemagne et des États-Unis dans deux villes. À Detroit tout d’abord, puis à Houston, elle réunit des artistes dont les réflexions portent sur des structures et des expériences communes, mais aussi sur des différences entre les cultures et les styles de vie de la diaspora germano-africaine et des perspectives afro-américaines. James Gregory Atkinson est un artiste de Francfort qui s’intéresse aux structures collaboratives d’artistes queer et non blancs afin d’observer les déséquilibres de pouvoirs. C& s’est entretenu avec lui au sujet de sa pratique et du travail performatif qu’il présentera à Detroit et dans lequel il s’attache à montrer comment les espaces noirs LGBT sont des espaces nécessaires d’échange et de savoir.

Images courtesy of James Gregory Atkinson. Photos by Paul-David Raerick

Images courtesy of James Gregory Atkinson. Photos by Paul-David Raerick

By Will Furtado

C& : Quelle est l’importance de la géographie dans votre pratique artistique ?

James Gregory Atkinson : Je travaille souvent collectivement avec des producteurs culturels noirs sur des champs d’intérêt similaires et je partage souvent ma plateforme. Une forte présence géographique noire est essentielle à mon processus de création et, historiquement, la richesse des histoires queer et noire se situe principalement dans le contexte des villes. Lorsque j’étudie des structures collaboratives d’artistes queer et non blancs, j’observe et j’emploie des stratégies que nous utilisons pour neutraliser les formes d’hégémonie capitaliste qui éradique la fluidité des canaux de la mobilité sociale. Ma pratique est une tentative de regagner l’accès et de retourner ces canaux sur eux-mêmes.

Images courtesy of James Gregory Atkinson. Photos by Paul-David Raerick

C& : Quelle comparaison établiriez-vous entre les deux systèmes d’éducation aux États-Unis et en Allemagne et la réaction à votre travail dans ces deux lieux différents ?

JGA : Le concept de « réelle diversité » reste encore étranger au modèle (allemand) d’enseignement de l’art. Bien que les écoles d’art allemandes puissent être considérées comme « internationales », le pourcentage de minorités allemandes qui étudient les beaux-arts est peu élevé. En tant qu’étudiant en Allemagne, j’ai toujours ressenti une forte différence intersectionnelle entre mes camarades étudiants et moi, sans parler du manque de personnes (queer) de couleur dans ces mêmes écoles. L’Allemagne semble embrasser le concept d’assimilation, mais n’a toujours pas vraiment accepté ou affronté son statut de pays colonisateur et d’immigration, bien que cela ait toujours été un fait historiquement. L’Allemagne connaît également de nombreux problèmes avec la représentation des minorités aux postes de pouvoir, dans les institutions universitaires et les médias, par exemple. En tant qu’artiste ayant étudié dans mes deux pays d’origine, je trouve que mon travail se développe d’une façon plus organique dans un contexte américain, parce qu’il y a davantage de gens qui me ressemblent et qui vivent comme moi, qui travaillent dans les mêmes champs d’intérêt que moi. Je trouve que les artistes/les étudiants en art en Allemagne ont plus de liberté pour développer leur travail dans une société moins capitaliste, avec un système éducatif gratuit et un système de santé abordable, ainsi que qu’un système de couverture sociale efficace. Pourtant, tout au long de la féroce bataille actuelle et historique des minorités au sein du système capitaliste des États-Unis, les People of Color ont développé un discours et un vocabulaire afin de repousser et d’aborder les problématiques de la race, du genre et des privilèges qui, sous cette forme, sont toujours étrangers au contexte/à un entendement allemand. Mais nous en avons désespérément besoin, tout particulièrement en ces temps de dite « crise des réfugiés » et de la montée du parti d’extrême droite AFD depuis 1945, qui a gagné 12,6 % des sièges aux élections parlementaires du Bundestag en 2017, et représente désormais le troisième parti du pays.

C& : Comment définiriez-vous votre position en tant qu’artiste, curateur et individu au sein d’une diaspora internationale ? Quelle est votre relation à cette diaspora, plus particulièrement au vu de votre origine germano-américaine et de votre expérience ? 

JGA : En tant qu’artiste queer germano-américain et curateur issu de la classe ouvrière, mon travail a toujours été empreint de narrations et d’une imagerie autobiographiques. M’inspirant d’une histoire personnelle du déplacement et de mes origines biculturelles germano-américaines, je teste et rejette à la fois différents seuils de « passage » en termes d’identité culturelle, de statut socioéconomique, de spécificité médiatique et de rôles de genres. Je m’implique dans la pensée critique sur la manière dont la dynamique des pouvoirs influence l’accès à la connaissance et aux institutions, et dont ces facteurs s’expriment au sein de cultures différentes. Mes origines ont modelé ma perception esthétique du monde et me poussent sans cesse à interroger ma relation au public pour lequel mon travail est rendu visible. Mon travail vise à interroger la formation de l’identité culturelle en relation à une culture perçue comme hégémonique. J’entends traiter de l’effet subversif de la présence des individus des minorités gays dans le quotidien en Europe et aux États-Unis, et rechercher et archiver les stratégies de participation et de négociations qu’ils exigent.

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The day I stopped kissing my father a film by James Gregory Atkinson scored by Ahya Simone camera/edit Marcel Izquierdo Torres, 2019, 4K Video, 3:56mins

C& : Qu’est-ce qui vous a attiré vers le concept de « Show Me Your Shelves » ? Quel est le lien avec votre pratique ?

JGA : La perspective de vastes archives noires gay est presqu’une folie. Souvent, nous ne nous trouvons pas intégrés dans la mémoire collective d’un courant culturel en raison des actes constitutifs et inévitables d’exclusion et de la position erronée qui nous est attribuée. Pour « moi », les archives n’ont pas le poids de la tradition, de procédures standard et d’un entretien continu. Au contraire, les archives, Nos archives, sont un système de didactismes oral, spatial et agencé, nos artefacts sont transmis. Dans la même veine, la chorégraphie est aussi un système dynamique de transmission et de transformation, un système corporel de type archives qui évoque la manière dont le corps à la fois efface, raye, transcrit et réécrit ses propres histoires.

C& : Pourriez-vous partager avec nous vos premières idées pour votre travail dans l’exposition « Show me your shelves » ?

JGA : Je m’intéresse à la façon dont les personnes queer de couleur neutralisent les mouvements d’effacement culturel, d’appropriation et de gentrification. La lecture que je vais interpréter puise dans des archives alternatives autogénérées, créées à partir de l’exclusion, la lecture noire gay est une méfiance à l’égard du discours, un geste décoratif pour trouver des failles et exposer des vérités.

Les murs du Adam Strohm Hall de la bibliothèque municipale de Detroit où a lieu l’exposition présentent des peintures murales illustrant l’histoire des États-Unis, une conception de la vérité et de la connaissance. Ce qui m’a frappé, c’est l’absence de l’identité noire dans cette description de la généalogie américaine. Dans la vidéo que j’ai tournée d’un coq noir dans la bibliothèque, j’ai voulu réunir ces éléments et chercher à savoir qui détient le pouvoir d’énoncer des connaissances alternatives. Les caméras CCTV dans le film font aussi allusion à la surveillance du corps noir dans certaines institutions. J’ai choisi le coq pubescent pour sa symbolique de la sexualité, du désir et de la peur, tout en faisant également allusion au passage à l’âge adulte où les jeunes hommes cessent d’embrasser leurs pères – le patriarcat.

J’ai invité Ahya Simone, une harpiste de Detroit, compositeure-interprète et réalisatrice femme queen à composer la musique du film. Lors du vernissage, elle s’est aussi produite dans le hall à côté des peintures murales qui présentent l’homme blanc tenant dans ses mains les symboles de « puissance » et de « mobilité », ainsi que toutes les réalisations technologiques des États-Unis. Et juste en dessous des peintures se trouvent deux panneaux de sortie que j’ai lus comme la fuite face/devant cette conception blanchie de l’histoire et comme le moment où nous prenons conscience de la manière dont le monde fonctionne.

 

Présentée par C&, l’exposition « SHOW ME YOUR SHELVES! » a eu lieu à la bibliothèque municipale de Detroit (Main, Skillman, Parkman), Detroit, MI, États-Unis du 17 juillet 2019 au 18 août 2019.

 

James Gregory Atkinson est un artiste germano-américain. Il détient un diplôme de photographie et de design du Lette-Verein, à Berlin (2010), a étudié à la Cooper Union School of Art à New York (2015) et a obtenu son diplôme de Meisterschüler de la Städelschule, Staatliche Hochschule für Bildende Künste, à Francfort (2016). Après sa résidence d’artiste à la Villa Aurora à Los Angeles (2016) et sa participation à la Jan Van Eyck Academie à Maastricht, aux Pays-Bas (2017), Atkinson vit et travaille actuellement à New York après avoir reçu une bourse de la Fondation pour la culture de la Hesse (Hessische Kulturstiftung, 2018-2019). Ses travaux ont été exposés dans diverses institutions, notamment par le MMK Museum für Moderne Kunst (Francfort-sur-le-Main), Ludlow 38 (New York), HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Kunsthalle Krems (Krems, Autriche), Kunstraum München e.V. (Munich) et au Nassauischer Kunstverein (Wiesbaden, Allemagne).

 

Par Will Furtado.

 

Ce texte a été commandé dans le cadre du projet « Show me your Shelves », financé par et faisant partie de la campagne d’une année « Wunderbar Together » (« Deutschlandjahr USA »/The Year of German-American Friendship) du ministère fédéral des Affaires étrangères.

 

 

Traduit de l’anglais par Myriam Ochoa-Suel.

 

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