Notre Auteur Dagara Dakin nous livre son analyse critique de la 45ème édition des rencontres de la photographie à Arles.
La 45e édition des Rencontres d’ Arles, titrée « Parade », nous a laissé une impression mitigée. On attendait peut-être un peu trop de cette dernière prestation placée sous la direction de François Hébel, lequel a notamment dirigé les éditions 1986 et 1987, puis celles de 2002 à 2014.
Quoi qu’il en soit, sur la cinquantaine d’expositions proposées, seule une petite dizaine ont su tirer leur épingle du jeu. Parmi celles-ci, l’exposition de la collection Walther se place largement en tête. Il serait toutefois injuste de ne pas mentionner le diaporama Identités, territoires de l’intime de Denis Rouvre, la rétrospective du prix Pictet ou encore la proposition du collectif MYOP présentée dans le cadre du off.
Toutefois, nous ne nous attarderons ici que sur la sélection de la collection Walther pour la clarté de ses intentions, ainsi que sur l’exposition proposée par la revue OFF the wall, culture photo dont le dynamisme des initiateurs doit être salué. Enfin, nous évoquerons en quelques lignes le « Prix Découverte » dans le cadre duquel le Nigérian Azu Nwagbogu – fondateur et directeur notamment de l’African Artists Foundation (AAF) – a choisi de présenter des œuvres de Kudzanai Chiurai et de Patrick Willocq.
La collection Walther, qui a ouvert ses portes en juin 2010 à Neu-Ulm/Berlafingen, dans le sud de l’Allemagne, fut très remarquée notamment pour son exposition inaugurale placée sous le commissariat de Okwui Enwezor. Intitulée Event of the self : Portraiture and social identity, cette dernière faisait dialoguer les travaux de trois générations d’artistes et de photographes africains avec une sélection de photographies modernes et contemporaines allemandes.
Dans la présentation faite sur deux niveaux dans l’Espace Van Gogh à Arles, on retrouve, au rez-de-chaussée, cette confrontation d’œuvres de photographes africains avec celles de leurs homologues allemands. Quant aux cimaises du deuxième étage, elles sont occupées par des photographies d’artistes asiatiques tels que Ai Weiwei ou encore Nobuyoshi Araki.
Placée sous le commissariat de Brian Wallis et coproduite par les Rencontres d’Arles, cette exposition constitue le premier volet d’un diptyque présentant la collection d’Artur Walther en France. Le second volet sera présenté à la Maison Rouge, à Paris, en octobre 2015.
La sélection présentée sous le titre Typologie, Taxinomie Et Classement Sériel, regroupe des œuvres modernes et contemporaines. On y retrouve ainsi des photographies de Karl Blossfeldt et August Sander, des travaux plus récents de Bernd et Hilla Becher, Richard Avedon, J.D. Okhai Ojeikere, Samuel Fosso, Zanele Muholi, ou encore ceux de Kohei Yoshiyuki, ainsi qu’une série documentant une performance du Chinois Zhang Huan et bien d’autres encore.
La présentation, à la fois chronologique et thématique, se veut aussi une réflexion sur le médium lui-même. Selon les propos du collectionneur Artur Walther, l’exposition « montre également que les performances conceptuelles, les portraits sériels et les œuvres temporaires se sont multipliées dans le monde entier. »
La thématique sociale et politique se révèle à nous progressivement, elle se fait toutefois plus évidente dans la salle où la scénographie met en vis à vis la série The Family, constituée de 69 portraits d’hommes de pouvoir de la société américaine, réalisée par Richard Avedon en 1976, avec les 42 portraits d’Accra Shepp montrant la diversité des revendications des manifestants dénonçant les inégalités sociales près de Wall Street en 2011.
Au premier niveau – à l’exception, notamment, de la série sur les sites industriels réalisée par Bernd (1931– 2007) et Hilla Becher (1934) à la fin des années 50 – les questions sociales et politiques sont abordées essentiellement au moyen du genre du portrait. Le deuxième niveau est quant à lui dédié aux photographes asiatiques et se conclut par la thématique de la sexualité avec les travaux de Nobuyoshi Araki et Kohei Yoshiyuki. La différence des thèmes traités n’empêche pas de trouver des récurrences sur le plan formel entre toutes les œuvres présentées.
Il est intéressant de voir réunis dans le même espace des portraits de August Sander (1876-1964), Seydou Keita (1921-2001), Malick Sidibé (1936) ou encore la série Hair Style réalisée par JD Okhei Ojeikere (1930-2014). Et ce, même si nous savons que ces photographies ont été prises à des périodes et dans des contextes différents avec des intentions tout aussi différentes. Cette confrontation nous révèle, par exemple, la dimension sociologique des portraits réalisés dans les années soixante par Seydou Keita ou encore Malick Sidibé. On constate ainsi que les portraitistes de Bamako ont photographié diverses couches de la société malienne sans nullement chercher à inventorier la population qui fréquentait leur studio. À l’inverse, August Sander, pour sa grande fresque sociologique Les Hommes du XXe siècle, procède de façon méthodique au recensement des différents métiers et classes sociales en Allemagne dans les années trente.
Cette approche rigoureuse qui dicte la démarche d’August Sander se retrouve dans la série Hair Style de JD Okhei Ojeikere commencée, elle, dans les années soixante.
L’une des réussites majeures de cette exposition est d’offrir une lecture différente des travaux des photographes africains en les faisant dialoguer avec les productions de quelques acteurs majeurs de l’histoire de la photographie en Europe. La présentation chronologique donne également à voir le changement qui se produit dans la pratique sur le continent au début des années 1990. Celui-ci fait suite notamment à l’intérêt que la scène internationale porte aux réalisations des photographes africains à cette période.
OFF the wall on the walls
Dans un tout autre registre, c’est dans le bâtiment flambant neuf du parc des ateliers que la jeune revue-livre OFF the wall, cultures photo, expose dix des photographes émergents et anciens, issus de ses quatre premiers volumes. « Les locaux ont gracieusement été prêtés par la fondation LUMA et l’exposition a été produite par Framology, un nouveau tireur et encadreur », tient à préciser Anna Alix Koffi – commissaire de l’exposition également à l’origine de la revue.
Intitulée « OFF the wall on the walls », l’exposition présente les photographies de Lara Tabet, Serge Najjar, Gustavo Jononovich, François-Xavier Gbré, Etienne Montès, Edouard Elias, Patrick Chauvel, Colin Delfosse, Lebohang Kganye et James Barnor, ce dernier étant soutenu par la structure londonienne Autograph ABP.
Le projet OFF the wall qui fut lancé le 27 avril 2013 est entièrement indépendant. Ses promoteurs souhaitent fonctionner avec le mécénat, l’achat d’espace de galerie et de marques intéressées par la photographie. La revue, précise l’édito du premier tome, prend le pari du « papier (le beau), en cet ère de dématérialisation parce qu’il n’y a pas de meilleur support pour la photographie». Il s’agit d’un projet en dix volumes uniquement, avec un tirage de 500 à 1000 exemplaires.
On ne cherchera pas ici à faire la critique d’une démarche dont le propos vise avant tout à la promotion du travail d’un certain nombre de photographes. Mais on soulignera le dynamisme de cette nouvelle revue photo qui proposera trois tomes par an jusqu’au dixième tome prévu en 2016.
La présence à Arles d’une sélection des travaux de photographes que la revue soutient, comme elle a pu le faire auparavant au cours de cette année, notamment à Paris, est une façon pour Anna Alix Koffi et ses partenaires de donner une lisibilité nouvelle à leur démarche. Cette initiative constitue, à n’en pas douter, une belle petite pierre supplémentaire ajoutée à l’édifice du marché de la photographie contemporaine. Gageons qu’elle contribuera activement à faire tomber le mur de l’invisibilité derrière lequel certaines belles propositions sont encore cantonnés.
Le prix « découverte »
Depuis 2002, le « Prix Découverte » a pour objet de désigner un photographe ou un artiste utilisant la photographie et dont « le travail a été récemment découvert ou mérite de l’être ».
Cinq personnalités du milieu de la photographie qui « interviennent sur cinq continents pour programmer des festivals ou des institutions » proposent chacun deux artistes pour ce prix. Cette année les cinq « spécialistes » chargés de faire des propositions étaient Quentin Bajac, Alexis Fabry, Bohnchang Koo, Wim Mélis et Azu Nwagbogu.
Le « Prix Découverte » 2014 a été attribué au photographe Kechun Zhang né en 1980 à Bazhong en Chine. Il remporte le prix avec sa série intitulée « Yellow River » soit un reportage à la fois, onirique et contemplatif sur la vie autour du Fleuve Jaune. Sa candidature a été proposée par le curateur coréen Bohnchang Koo.
Azu Nwagbogu, curateur désigné pour présenter des photographes africains a, quant à lui, choisi de montrer les travaux de Kudzanai Chiurai et de Patrick Willocq. On reste quelque peu dubitatif face à ce choix car, à notre sens, les réalisations de ces deux artistes misent trop sur leurs qualités techniques. Et, bien que leurs intentions soient louables leur mis en application se révèle approximative. Par exemple, que veut dire Patrick Willocq avec les mises en scène qui composent sa série « Je suis Walé Respecte Moi » ? Sa démarche qui tend à vouloir revisiter l’iconographie liée à l’anthropologie nous paraît inaboutie. Quant à Kudzanai Chiurai, on se demande si le traitement esthétique dont il use pour appréhender le thème de la récurrence de la violence sur le continent africain est le plus approprié. La qualité de la maîtrise technique de ces travaux est indéniable, mais elle ne suffit pas à rendre leurs intentions plus claires. Or, en art comme ailleurs, la clarté de l’intention compte elle aussi.
D’une façon générale, la présence de photographes issus du continent africain à Arles reste très timide. Toutefois, que celle-ci se fasse au travers de propositions du genre de celle faite par la collection Artur Walther est plutôt encourageant.
Espérons qu’elle soit plus manifeste lors de la prochaine édition des Rencontres qui sera placée sous la direction de l’ancien directeur du Musée de l’Elysée à Lausanne, à savoir Sam Stourdzé.
Basé à Paris, Dagara Dakin est diplômé en histoire de l’art, auteur, critique et commissaire d’exposition indépendant.
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