Our author Morgan Quaintance pays tribute to one of the world's leading intellectuals, the sociologist and cultural theorist Stuart Hall.
Lundi 10 février 2014, Stuart McPhail Hall, sociologue, théoricien de la culture, philosophe, enseignant, époux et père s’est éteint à l’âge de 82 ans. Au siècle dernier où il est né à Kingston, en Jamaïque, il a laissé une marque indélébile sur la vie intellectuelle britannique. Son accomplissement le plus remarquable fut de remettre en question durablement et avec succès les conceptions rétrogrades et enracinées de « britannicité », ancrées pour l’essentiel dans des modèles de hiérarchie dépassés et la préservation des privilèges de l’aristocratie. Aux côtés de compadres comme Raymond Williams et Richard Hoggart, Hall a dépecé à la fois la conception monoculturelle de l’identité britannique et l’édifice élitiste et patricien de la culture et de la société qui en était le fondement.
À première vue, le projet d’origine de Hall était de rétablir l’équilibre entre ladite « haute culture » et des formes plus populaires d’art et de divertissement, comme le cinéma, la musique et la télévision. Toutefois, une critique plus large de la division des classes, des attitudes colonialistes et de l’idéologie impérialiste sous-tendait implicitement cet objectif. Ces dernières étaient des systèmes de pensées qui, non contents de contribuer à l’intolérable système de castes caraïbe répandu dans son enfance, gagnaient d’autres régimes oppressifs de portée internationale. Bien qu’il ait semé les germes de son activité en Jamaïque, la relation critique de Hall avec une mythique identité nationale britannique date de 1951 lorsque – trois ans après que l’Empire Windrush eut débarqué sa cargaison de corps exploitables – il quitta la Jamaïque pour étudier à l’université d’Oxford. Il s’ensuivit une époustouflante carrière faite de succès universitaires, d’activisme politique et de théories novatrices extraordinaires.
J’entendis parler Hall pour la première fois le samedi 28 octobre 2000. Il intervenait en tant que membre des invités de « Black Futures », une conférence qui avait lieu à l’ICA (Institute of Contemporary Arts) de Londres, présentant entre autres, l’auteur Zadie Smith, l’architecte David Adjaye et le commentateur culturel Ekow Eshun. Je me souviens d’avoir été frappé par la sérénité de Hall et par ce qui semblait être une faculté remarquable d’exprimer de subtiles observations critiques avec un naturel des plus aimables et désarmants. J’avais ici clairement affaire à un homme riche d’une connaissance étendue mais qui ne possédait rien de la posture machiste et de la condescendance que je pouvais attendre de certains théoriciens tenant à affirmer leur supériorité intellectuelle. La connaissance, telle qu’elle passait de lui à moi, était présentée comme un champ ouvert, accessible à tous. À la suite de ce jour, je me mis à lire tous les écrits de Hall que je pus trouver, prêtant une attention toute particulière à ses travaux critiques sur l’identité noire.
Treize années s’écoulèrent avant que se présente l’occasion de m’entretenir avec lui. J’avais écrit un court essai sur l’amitié de Hall avec Williams pour l’INIVA (Institute of International Visual Arts) et, fait étonnant, il l’avait lu. Par l’intermédiaire d’un ami commun, il m’invita à me rendre chez lui pour discuter plus amplement de ce texte. J’étais à la fois terrifié et excité. Quel effet cela me ferait-il de rencontrer l’homme responsable pour une grande part de la structuration de ma pensée ? Peut-être aurais-je l’impression de vivre l’expérience séculaire de rencontrer mon créateur ? Au final, notre conversation fut brève, mais chaleureuse. Nous nous mîmes d’accord par téléphone sur une date provisoire de rencontre la semaine suivante. Je rentrais tout juste d’un voyage au Bénin où j’avais tourné un documentaire sur l’artiste Meschac Gaba qui allait être diffusé par la BBC en parallèle d’un sujet sur le peintre soudanais Ibrahim El Salahi, et j’étais impatient de partager mes réflexions sur cette expérience avec lui.
Malheureusement, quelques jours après notre conversation, je me cassais la cheville lors d’un accident de sport. Dans le bouleversement personnel qui s’ensuivit et le brouillard mental induit par les analgésiques, notre rendez-vous ne fut jamais confirmé. Au cours des six mois nécessaires à mon rétablissement, je pensais à l’appeler pour lui expliquer mon immobilité et fixer une future date de rencontre. Mais le sachant lui-même en mauvaise santé, je ne voulais pas le gêner. Ainsi le temps a passé et l’intervalle depuis notre première conversation s’est transformé en un gouffre d’éloignement qu’il semblait presque impossible de franchir.
Lorsque j’ai appris la nouvelle de son décès, j’ai ressenti le poids écrasant d’une formidable opportunité manquée. S’ajoutait à mon propre regret un sentiment de profonde tristesse qu’une présence si importante pour le monde ait disparu, tout particulièrement à un moment où il semblerait qu’il en ait le plus besoin. En lisant ses anciens essais et livres, il m’est venu à l’esprit que Hall continuait à vivre dans ses textes. J’ai réalisé que j’étais libre de m’entretenir avec lui à tout moment : pour cela, il me suffirait de choisir un de ses livres et d’entrer dans cet univers mental du discours, accessible à travers ses mots, ses phrases et ses paragraphes écrits. Il y avait autre chose aussi. Plus qu’un legs de connaissances, Hall, dans ses enregistrements de discours et débats publics, et dans mon souvenir personnel de lui ce jour-là, m’a laissé une façon d’être, un modèle de comportement auquel aspirer. En tant que tel, il est là, dans ma tentative d’ouverture d’esprit, de facilité d’abord et de perspicacité ; et il est toujours là dans ces yeux pétillants, ce petit rire séduisant et contagieux que je n’ai pas encore réussi à perfectionner.
Morgan Quaintance est auteur, journaliste radiophonique et curateur. Il est le producteur de Studio Visit, une émission de radio hebdomadaire sur Resonance 104.4 FM, qui invite des artistes internationaux. En tant que présentateur, il travaille pour le magazine artistique phare de la BBC, Culture Show.
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