Peinture murale à Asilah

La ville côtière marocaine qui transforme ses murs en tableaux

Depuis sa réhabilitation dans les années 1970, la ville marocaine d’Asilah sur la côte Atlantique est peu à peu devenue un pôle d’attraction pour les artistes et les amateurs d’art. Le Moussem culturel international d’Asilah, un festival créé en 1978, a joué un rôle majeur dans ce nouveau statut. À l’occasion de l’édition de l’année dernière dédiée à l’Afrique, le président sénégalais Macky Sall a présidé à l’ouverture d’un symposium. Elisa Pierandrei retrace l’évolution de ce joyau de l’art marocain.

Mural paintings by Farid Belkahia (center) and Mohammed Hamidi (right), Asilah, Morocco. Both 1978. As published in Asilah: Premier moussem culturel, juillet/août 1978, exh. cat. (Casablanca: Shoof, 1978). Reproduced by permission of the photographer, Mohammed Melehi.

Mural paintings by Farid Belkahia (center) and Mohammed Hamidi (right), Asilah, Morocco. Both 1978. As published in Asilah: Premier moussem culturel, juillet/août 1978, exh. cat. (Casablanca: Shoof, 1978). Reproduced by permission of the photographer, Mohammed Melehi.

D’immenses plages et un port pittoresque au nord-ouest du Maroc, à 42 km au sud-est de Tanger sur la côte Atlantique, font de cette petite ville marchande d’Asilah une destination touristique prisée des élites culturelles de la région et de l’Afrique du Nord plus largement. Les racines historiques de la ville sont profondes. Entourée de remparts érigés par les Portugais au XVe siècle, elle comprend une médina, ou vieille ville, sous la forme d’un labyrinthe immaculé de rues sinueuses bordées de bâtiments blancs dans le style méditerranéen. Malgré cela, elle est restée un bastion de la culture marocaine.

Peinture murale de Hussein Miloudi, Asilah, Maroc. 1978. Publié dans Asilah : Premier moussem culturel, juillet/août 1978, cat. d’exposition (Casablanca : Shoof, 1978). Photographie de Mohammed Melehi. Reproduit avec la permission de Mohammed Melehi et Hussein Miloudi.

Asilah n’a toutefois pas toujours été une destination de voyage élégante ou sélect. Dans les années 1970, l’ancienne médina se délabrait à l’abri de ses vieux murs, et la ville ne jouait aucun rôle notable au Maroc. Sa réhabilitation, amorcée en 1978, a été étroitement liée à la création d’un festival culturel : le Moussem culturel d’Asilah, dénommé d’après la forme française du mot arabe mawsim, ou saison festive. Cet été, la combinaison pétillante d’art et de musique ont fait d’Asilah un lieu où les artistes et les intellectuels ont pu se rencontrer et échanger leurs idées.

Certains artistes marocains se sont servis des murs de la ville comme de toiles. Le co-fondateur du festival Mohammed Melehi a déclaré qu’il s’agissait là du retour à l’« ’ancienne pratique qui combinait créativité et fonction, comme l’ornementation en architecture ». La réhabilitation a donc démarré par l’embellissement des murs de la ville sauvée du délabrement.

Calligraphie murale à Asilah, Maroc, 2014. Photographie de Rachid Idir Aadnani (via Archnet.org).

Aujourd’hui, Asilah est l’une des villes les mieux entretenues du pays. Certains joyaux architecturaux ont été restaurés, dont la partie des remparts de la ville et le palais Raïssouni, construit en 1909, qui fait désormais partie du Centre international Hassan II transformé en « palais de la culture » avec ses ateliers d’artistes et une salle pour les rencontres culturelles. Pourtant, la surprise fut de taille lorsque le prix Aga Khan d’architecture vint récompenser la réhabilitation de la belle médina blanche d’Asilah en 1989 menée par ses citoyens.

Généralement calme à la saison hivernale, en juin, la ville voit ses habitants, enfants inclus, prendre le pinceau pour repeindre les murs en blanc afin de fournir de nouvelles toiles aux prochains artistes en résidence. Hormis les peintures murales, de nombreuses expositions, concerts et performances de style marocain ont également lieu. Un symposium annuel est organisé par la Fondation du Forum d’Asilah.

Peinture murale à Asilah, Maroc, 2018. Photo : Yassine Balbzioui. Photo courtesy de la Fondation du Forum d’Asilah.

On doit les atouts du festival au rêve commun des deux fondateurs du festival – Mohammed Melehi et Mohammed Benaïssa – de faire revivre leur ville. Ancien ministre et maire d’Asilah, Mohammed Benaïssa avait commencé sa carrière à l’international. Après son diplôme en communication à l’université du Minnesota aux États-Unis, il a été commissaire à l’information au siège de l’ONU à New York et Addis Abeba au milieu des années 1960. Il a aussi occupé des postes de directeur de l’information à Rome et au Ghana pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). De retour à Asilah à l’issue de vingt ans d’absence, il a commencé à immortaliser la ville sur des photos noir et blanc pour ce qu’il a appelé une « autobiographie » de sa ville natale.

À cette période, Mohammed Melehi était un artiste renommé de la région : en compagnie de Farid Belkahia et de Mohamed Chebaa, il avait formé le Groupe de Casablanca connu pour sa pédagogie qui s’attachait à ancrer le modernisme dans la culture visuelle locale.

Asilah, Maroc, 2018. Photo courtesy de la Fondation du Forum d’Asilah.

Benaïssa et Melehi ont choisi Asilah comme terrain commun, en tant que citoyens tout d’abord, et membres de l’administration locale ensuite. Dans une déclaration publiée à l’occasion de la première édition de l’événement, Benaïssa a insisté sur l’objectif premier : il s’agissait de susciter, chez les citoyens, le besoin d’améliorer la qualité de leurs vies en embellissant l’environnement. Les administrations publiques sont alors mises sous pression afin de fournir à la ville un réseau d’eau, d’électricité et un système d’égouts convenable.

Mais l’idée d’utiliser les rues comme espace d’exposition existait depuis plusieurs années déjà. En 1969, un groupe de l’école des Beaux-Arts de Casablanca, dont Melehi, avait apporté ses peintures au Jemaa El-Fna à Marrakech – l’une des plus grandes places du Maroc – afin d’atteindre un public plus large en dehors des espaces d’exposition officiels. Le sentiment régnait qu’à travers l’art, la modernité pourrait débarrasser Asilah de son insalubrité et reconfigurer les relations sociales.

Asilah, Maroc, 2018. Photo courtesy de la Fondation du Forum d’Asilah.

La création du festival avait des implications économiques et sociales. Lorsque l’Aga Khan fut décerné, 150 000 visiteurs avaient été enregistrés sur le festival, qui constituait la première source de revenu annuel des habitants. Toutefois, l’afflux d’un grand nombre d’opérateurs culturels pendant deux mois chaque année avait été pointé du doigt comme élément perturbateur de la vie de ses habitants, qui aliénait ceux qui ne pouvaient s’impliquer dans les activités artistiques.

Néanmoins, le Moussem culturel d’Asilah persiste dans ses efforts. L’année dernière, Asilah a célébré le quarantième anniversaire de la fondation du festival avec, comme thème central, l’Afrique, et le président sénégalais Macky Sall a ouvert un symposium autour de l’« intégration africaine ». En préparation, Asilah s’est transformée en toile de fond pour une galerie d’art. Tandis que des études complexes de lettres arabes embellissent les murs de la ville, un mélange d’éléments géométriques évoque des lieux distants, avec des formes rappelant les vagues de la mer.

 

Le Moussem culturel d’Asilah se déroulera en juillet 2019.

 

Elisa Pierandrei est une journaliste basée à Milan.

 

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