Interviewé par Julie Abricot de C&, Thierry Oussou nous explique pourquoi son travail présenté à la Xe Biennale de l’art contemporain de Berlin est un fragment de mémoire contemporaine et pourquoi nous n’avons pas besoin de nouveaux héros.
Sa famille aurait voulu faire de lui un policier. À l’époque, il ne semblait pas y avoir de perspectives pour les jeunes artistes visionnaires au Bénin. C’est pourquoi Thierry Oussou a fondé sa propre école d’art à Cotonou, Yè art studio, d’où il organise aujourd’hui encore des workshops autour de l’art et de la culture visuelle. Ses travaux d’investigation sociale et ethnographique ont valu à Oussou d’être nominé pour le One Minute Africa Award. Il participe en ce moment même à la Xe Biennale de Berlin.
Contemporary And : Votre exposition à la galerie Stevenson de Johannesburg (du 10 février au 16 mars 2018) s’intitulait « Before It is Completely Gone ». Vous semblez très attaché à l’Afrique du Sud. À quel point ce pays nourrit-il votre travail artistique ?
Thierry Oussou : Mon œuvre est en relation avec l’environnement. Les lieux où je travaille m’inspirent et m’influencent. J’aime observer mon environnement lorsque je voyage. Les œuvres exposées à la galerie Stevenson ont un lien avec l’Afrique du Sud, mais aussi avec le continent africain en général, dans une perspective globalisée. J’entends par ce titre qu’il y a des témoins de ce que nous sommes en ce moment. C’est une manière de rappeler que ce que nous sommes en train de faire est documenté, enregistré. En tant qu’artiste contemporain, de ma génération, j’ai le droit d’en parler comme je peux et comme je le vois.
C& : Vos œuvres sur papier ont cette récurrence du masque et du fond noir. Qu’en est-il pour cette dernière exposition ?
TO : Mon travail sur papier vient d’une idée d’appropriation de ce support. J’ai d’abord commencé avec le concept des ardoises, par des petits dessins sur des papier noirs. Aujourd’hui, j’opte pour un format beaucoup plus grand. La braise rappelle la douleur humaine. Je sculpte la face des visages et l’acrylique représente la peau. Le papier, tout comme l’Homme, est fragile. Ce médium hautement symbolique accompagne tout au long de la vie, de l’acte de naissance jusqu’à l’acte de décès.
C& : Les procédés de votre travail semblent rejoindre votre intention de documentation archéologique. La notion de strates se retrouve aussi bien dans votre installation Ce que nous sommes que sur vos œuvres sur papier, faites de plusieurs couches de médiums différents. Par ailleurs, est-ce que le bois brut au sol et le bois transformé au mur, c’est-à-dire le papier, sont une référence à cette relation entre nature et culture ?
TO : Dans mon travail Ce que nous sommes, j’invite le public à s’approprier le bois, déplacé du parc à la galerie. Ainsi, dans ma performance, les visiteurs peuvent s’asseoir sur ce matériau et avoir un autre regard sur le bois. Ils font partie de l’œuvre. Au moment même où l’on entre dans l’espace d’exposition, nous faisons corps avec l’environnement.
C& : Quelles variations apportez-vous à vos installations in situ ? Est-ce qu’une constance réside de La Poésie (2015) à Ce que nous sommes (2018) ? Pourquoi ce besoin d’utiliser du bois des villes dans lesquelles vous êtes en résidence ?
TO : Oui il y a des variations. J’ai présenté ce travail, La Poésie, pour la première fois in situ au Bénin, en 2012/2013. Une installation avec des brindilles de bois, des dessins sur papier, des feuilles d’arbres, etc. À mon entrée à la Rijksakademie van beeldende kunsten, j’ai suivi une autre démarche. Je me suis exclusivement consacré au développement de mes installations, en n’utilisant plus que du bois, cette fois sans aucun dessin. L’installation évolue de jour en jour. À l’exposition de groupe « Gaia in the Anthropocene » (du 2 février au 31 mars 2018, Garage Rotterdam) à Rotterdam, elle avait été présentée différemment qu’en 2015.
Actuellement, je suis à Berlin. Si je dois y présenter ce travail, je suivrai une autre approche. Les rencontres avec l’architecture et avec la population locale sont importantes pour moi. Ce qui en résulte et la présentation de mon travail sont forcément différents selon les villes. Comme en poésie, j’utilise un même matériau mais je donne chaque fois un autre sens, en tenant compte des caractéristiques et des contraintes techniques du lieu où j’expose.
C& : Enfin, comment résonne pour vous le titre de la Xe Biennale de Berlin « We don’t need another hero » ? Quelle a été votre première impression à l’annonce de votre participation ? Pouvez-vous nous parler du projet que vous préparez pour cette occasion ?
TO : On n’a vraiment pas besoin d’un autre héros. Nous sommes déjà des héros. Pour moi, la compréhension est simple. Personne ne fera notre travail à notre place. C’est ma première participation officielle à une biennale, donc vous imaginez ! J’ai toujours eu envie d’exposer le projet Impossible Is Nothing dans d’autres villes après Amsterdam. J’espérais qu’un jour le trône soit exposé au Palais de Tokyo. À Amsterdam, sa présentation faisait partie d’un travail de recherche académique, alors que maintenant il s’agit d’une exposition de grande envergure. À cette occasion, je compte l’exposer avec les rapports des étudiants qui avaient travaillé avec moi et la vidéo de son excavation. Il est un symbole de la culture et du pouvoir. Dans sa présentation, nous ne pouvons pas le toucher. Notre richesse culturelle n’est visible qu’à partir d’une petite fenêtre. L’œuvre est un travail de mémoire contemporain.
Thierry Oussou fait partie des artistes participant à la Xe Biennale d’art contemporain de Berlin qui se tient du 9 juin au 9 septembre 2018.
Julie Abricot est Franco-guadeloupéenne et étudiante en histoire de l’art. Fondatrice de kunstfeld, webzine franco-allemand sur l’art contemporain, elle vit entre Paris et Berlin.
Cette interview a été publiée initialement dans la version papier no 9 de C&. Vous pouvez lire l’intégralité du magazine ici.
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