Un entretien avec les galeristes du nouvel espace Addis Fine Art.
Addis Fine Art est un nouvel espace de galerie situé dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba créé pour répondre à l’intérêt croissant du public pour les arts visuels dans le pays ainsi qu’à son implication grandissante dans ce domaine
C&: Félicitations pour le lancement de la galerie Addis Fine Art en janvier 2016. Comment décririez-vous la galerie AFA ?
Addis Fine Art : La galerie est l’aboutissement du travail que nous avons initié en 2013, consistant à fournir à nos clients un service de commissariat et de conseil dans le domaine de l’art moderne et contemporain éthiopien. La galerie AFA a vu le jour en réponse à la demande croissante d’engagement dans l’art de cette région et d’informations le concernant. La plupart des requêtes émanant de collectionneurs privés, d’institutions internationales et de galeries, nous avons rapidement réalisé que l’art éthiopien souffrait d’un manque de représentation locale et internationale malgré une augmentation du nombre d’institutions artistiques indépendantes dans toute l’Afrique. Motivés par cette mission, nous avons décidé d’ouvrir une galerie dans un espace situé au cœur de la capitale éthiopienne, qui exposerait de l’art moderne et contemporain d’Éthiopie et de sa diaspora et impliquerait à la fois des artistes éthiopiens et le marché de l’art international.
C& : Au cœur de votre projet se trouve le désir de rapprocher des pratiques et des perspectives artistiques originaires d’Éthiopie et de sa diaspora. Comment voyez-vous ces connexions, en particulier en termes de collaboration et d’accès ?
AFA : Notre objectif premier est de fournir un espace local et une plateforme internationale à l’expression artistique venant d’Ethiopie et de sa diaspora afin de défendre la meilleure et la plus critique de la production porteuse de réflexion. Toutefois, le fait que les artistes avec lesquels nous travaillons soient d’origine éthiopienne n’est qu’un point de départ, et ne fait pas tout. Certains artistes défient l’esthétique « africaine » supposée tandis que d’autres utilisent la richesse de leur héritage culturel en l’intégrant à leur travail. Indépendamment de leur forme d’expression artistique, les artistes avec lesquels nous travaillons sont déterminés à transmettre leurs récits personnels et à développer leurs pratiques créatives au sein d’un monde de plus en plus interconnecté.
Nous sommes particulièrement enthousiasmés par une nouvelle génération d’artistes de cette région, tels que Dawit Abebe, Emanuel Tegene, Leikun Nahusenay, Tamrat Gezahegne, Robel Temesgen, Aida Muluneh et bien d’autres qui sont influencés non seulement par leur environnement local, mais intègrent aussi par ailleurs l’échange d’informations internationales et d’idées à leur processus créatif. La galerie AFA vise à faire partie du réseau créatif local en aidant de nouveaux talents à accéder à une audience plus large tout en renforçant la présence de l’art éthiopien sur l’arène internationale.
C& : Dites-nous en un peu plus sur votre exposition inaugurale, « Addis Calling », qui présente de la peinture, de la photographie et des techniques mixtes. Qui sont les artistes exposants et quels sont les liens qui les unissent ?
AFA : « Addis Calling » célèbre l’ampleur et l’intensité de la pratique artistique en Éthiopie à travers la présentation d’œuvres de sept artistes contemporains qui vivent et travaillent à Addis-Abeba. Nous souhaitions par là même donner à voir la variété de l’expression artistique que l’on peut découvrir dans cette ville. L’exposition est un mélange plein de vitalité de peintures, de photographies et de techniques mixtes et reflète en cela les perspectives dynamiques de la ville.
« Addis Calling » présente quatre peintres : la nouvelle série de Dawit Abebe, Rank and Providence, qui explore la relation entre la société et ceux qui occupent des postes à responsabilité. Son travail s’intéresse aux déséquilibres visibles du pouvoir dans la vie moderne. Yosef Lule explore l’impact de l’urbanisation sur les traditions, les religions et les styles de vie à Addis-Abeba. Tamrat Gezahegne est connu pour son utilisation audacieuse de la couleur et la répétition de motifs, mais sa pratique comprend également l’installation et la performance. Emanuel Tegene est considéré comme un talent émergent qui a commencé sa carrière en tant que dessinateur humoristique au Saloon Ethiopia. Les œuvres de Tegene explorent les dynamiques culturelles fluctuantes de la société locale et sont profondément ancrées dans ses propres rencontres personnelles. Nous sommes également heureux de représenter Emanuel Tegene à l’Armory Focus à New York cette année.
L’artiste travaillant avec des techniques mixtes Workneh Bezu tire son inspiration de ses propres rêves pour nombre de ses compositions. Les nombres figurant sur les peintures de Bezu sont souvent immergés dans un univers surnaturel. La pratique de Bezu va du film d’animation à la réalisation de marionnettes en passant par la sculpture.
Des travaux expérimentaux dans le domaine de la photographie d’art complètent l’exposition collective. Leikun Nahusenay jouit d’une reconnaissance exponentielle constante comme photographe d’art. Ayant recours au procédé de surimpression en photographie, Nahusenay capture la vie quotidienne et répertorie les motifs culturels à Jijiga, la capitale de la région Somali d’Éthiopie. Le photographe d’art Michael Tsegaye immortalise son environnement : des séries telles que Future Memories témoignent de la connaissance de l’artiste du changement et de la topographie mouvante de la ville. Le travail de Tsegaye a été présenté dans l’exposition « Snap Judgments: New Directions in African Photography » en 2007 et dans The New York Times. Malgré la diversité des médiums, ces artistes sont reliés les uns aux autres par la ville d’Addis-Abeba.
C& : Addis-Abeba semble émerger lentement tel un centre prospère, créatif. Quelle est votre perception des réactions à ce phénomène et qui en est le public potentiel ?
AFA: L’avenir de la scène artistique semble très prometteur étant donné qu’Addis-Abeba vient juste après Genève pour ce qui est de la quantité de bureaux internationaux et d’ONG, ce qui confère à la ville un grand rôle politique. La présence de cette importante communauté fluctuante et expatriée apporte son soutien à la scène artistique locale.
Le nombre d’artistes locaux invités à participer à des foires d’art et à présenter leur travail dans des galeries et des musées de renom de par le monde est sans précédent. Les collectionneurs internationaux se rendent compte de la tendance et achètent, tandis que les collectionneurs locaux investissent aussi des sommes importantes dans des œuvres, ce qui aurait été inimaginable il y a dix ans de cela. La participation croissante du public à des événements autour de l’art est également très encourageante. La jeunesse de la ville, en particulier, constitue la partie la plus visible des participants et est la plus réceptive à de nouvelles formes d’expression qui mettent les normes traditionnelles au défi.
C& : Où voyez-vous la galerie AFA dans cinq ans ?
AFA : Maintenant qu’Addis-Abeba est devenue la capitale politique de l’Afrique, nous espérons que l’AFA contribuera de façon notable à en faire également un centre culturel d’influence. Afin d’atteindre cet objectif, nous prévoyons d’élaborer un programme novateur d’expositions, de rencontres et d’événements dans notre principal espace d’exposition local. Nous prévoyons d’enrichir notre programme en étant à l’initiative de collaborations et de dialogues avec des artistes, des curateurs et des praticiens du continent, tout en étoffant notre présence sur les salons d’art internationaux et en développant nos espaces pop-up à l’ international. En outre, nous prévoyons une expansion dans une ou plusieurs villes d’Afrique.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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