Dak'Art 2014

« La vie n’est rien d’autre qu’une prise de position par rapport à la société, à l’économie, à la culture … »

C& en conversation avec l'artiste Sidy Diallo, participant de la Dak'Art 2014

«  La vie n’est rien d’autre qu’une prise de position par rapport à la société, à l’économie, à la culture …  »

Sidy Diallo installationview of ‚the crossing’ , 2014, in Dakar in front of the gallery Atiss (Aissa Dione), courtesy of the artist

C&  : Vous avez terminé vos études aux Beaux-Arts à Dakar en juillet 2013, vous participez à Dak’Art dans l’exposition internationale et vous gagnez le prix de l’Organisation internationale de la Francophonie. Vous avez un parcours fulgurant  ! Par où commencer  ?

Sidy Diallo  : Après ma formation à l’École nationale des arts (ENA), la première chose qui m’est venue à l’esprit a été de déposer un dossier de candidature à la Biennale de Dak’Art, car je sentais la nécessité d’une prise de position au niveau de la création contemporaine africaine. Pour certains, ma sélection n’était pas évidente, vu que je venais juste de finir une formation, surtout que la sélection est habituellement rigoureuse. Elle a tout de même eu lieu, et de plus, elle s’est accompagnée du prix de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

C&  : Vos œuvres affichent une technique spécifique ayant recours à des points et des lignes. Comment avez-vous développé celle-ci  ? 

SD  : Tout est parti de mon travail à l’École des arts  : mon objectif était de sortir avec une démarche et un style personnels. De ce fait, au second cycle, j’ai développé un projet de mémoire, à savoir le berger peul dans les pâturages. Mais durant ma recherche, j’essayais plutôt de montrer l’aspect conceptuel et non visible du berger et de ses animaux que celui de nature figurative. Il fallait donc beaucoup creuser afin d’obtenir un résultat concret.

C’est très simple, mon travail se compose généralement de personnages, de points, de lignes et d’itinéraires. Mais tous ces éléments sont logés dans un décor de mouvement, de rencontre, de production et de dynamisme.

Le berger est un nomade, il se déplace pour nourrir son bétail, il n’a pas de demeure fixe, il se laisse guider par le temps et l’espace, et ses rencontres génèrent de nouveaux revenus par le biais du troc et du commerce. C’est ainsi que je suis parvenu à intégrer les lignes dans ma conception.

Par ailleurs, j’ai compris qu’il était fondamental de créer un lien entre la situation du berger et celle de l’Afrique, c’est?à?dire d’essayer d’adopter ce même processus qu’utilise le berger afin d’accroître et d’élargir son troupeau, de le loger dans notre propre contexte, en créant de nouveaux secteurs économiques qui n’ont jusque?là pas encore été interrogés, ou bien qui sont même inconnus.

Ainsi, je suis passé à l’ensemble, qui n’est rien d’autre qu’un groupe de ce que j’appelle «  point  ». Chaque point constitue un élément fondamental dans le groupe même, c’est?à?dire qu’il nécessite le dynamisme de chaque point pour que le moteur puisse fonctionner. C’est comme un mécanisme  : chaque constituant participe au bon fonctionnement de la machine. Le cas échéant, celle?ci risque d’être ralentie, ou pire  : de rendre l’âme  ; d’où points et itinéraires de développement.

Sidy Diallo ‘not for sale’, courtesy of the artist

C&  : Produire le commun est le thème de Dak’Art de cette année. De quelle manière vos œuvres exposées Not for Sale et Renaissance1 entrent dans ce concept  ?

SD  : Not for Sale et Renaissance1 constituent des éléments du moteur de recherche, à savoir Points et Itinéraires de Développement que je viens de développer. Cela résume donc absolument leur rapport avec le thème Produire le commun de Dak’Art 2014.

Avec Not for Sale par exemple, j’ai constaté que la majeure partie des jeunes des pays du Sud, après des années de recherches ou de formation, livrent leur savoir-faire, ou le fruit de leurs recherches aux plus offrants, qui sont bien sûr les pays du Nord.

Les États du Tiers-Monde sont plus dans le besoin que quiconque, et nous savons que c’est seulement dans la création qu’une économie pourrait prendre forme. C’est aussi dans ce contexte que notre esprit doit demeurer «  Not For Sale  », et plutôt au service de nous-mêmes. Dans cette composition picturale de Not For Sale, j’ai essayé de faire une cohabitation en conceptualisant l’idée d’affiche (pub) dans l’œuvre. On peut en déduire que l’ensemble comprend deux portées  : une affiche publicitaire et création artistique et, dans sa grandeur, une création contemporaine. Le choix de l’affiche m’est venu avec l’objectif de faire accéder tout le monde à cette réflexion qu’est Not For Sale, comme dans le cadre d’une propagande ou d’une sensibilisation.

Quant à Renaissance1, il était question de créer une comparaison entre ce que j’intitule «  l’étape primitive du développement  » et celle de l’être humain. Ainsi, j’ai essayé de valoriser cette image de l’Homme à l’étape primitive par le biais d’une couronne en or et d’une chaise royale, juste pour la transgresser au niveau de la base du développement économique, afin de montrer que c’est dans ce même contexte qu’une évolution économique est possible. Si nous prenons le cas de l’Afrique, nous pouvons en déduire qu’il est en train de se projeter à un niveau x sans pour autant tenir compte de la base qui constitue la source de toute économie  : l’agriculture par exemple, entre autres.

À mon avis, cette situation dont les pays sous-développés sont victimes est le fruit d’une mondialisation qui emporte tout sur son passage. De ce fait, on se laisse aller sans pour autant comprendre le contexte d’accès.

Il faut comprendre que ce qui est évident pour l’un ne l’est pas pour l’autre, c’est une question d’équilibre. C’est comme si nous essayons d’escalader un arbre sans nous informer de la profondeur de ses racines, ce qui peut entraîner de graves pertes.

C&  : Il y a donc une volonté politique dans votre travail. Comment la définir  ?

SD  : Je crois qu’une vie ne peut exister sans faire appel à la politique. À mon avis, faire de la politique, c’est être en mesure de prendre position à tous les niveaux du décor de vitalité. La vie n’est rien d’autre qu’une prise de position par rapport à la société, à l’économie, à la culture, etc. Enfin, c’est une question de choix, car vivre, c’est choisir et aussi comprendre sa part de responsabilité dans ce monde. J’en déduis que fuir sa volonté politique, c’est accepter de perdre sa propre liberté en faveur d’autrui.

Sidy Diallo 'Renaissance1' , Courtesy the artist

Sidy Diallo ‘Renaissance1’ , Courtesy the artist

C&  : Vous êtes présent aussi dans le cadre du OFF, présentant l’œuvre La Traversée chez la galeriste Aissa Dione de la Galerie ATISS. Dans quelle mesure ce travail touche-t-il à la même thématique que Not for Sale et Renaissance1 

SD  : Présentement, tous mes travaux partagent la même thématique. Les œuvres Traversées exposées à la Galerie ATISS sont une grande toile (polyptyque) et une installation gigantesque d’un pont de singe en lianes et en bois. Dans le même sillage, le développement sous-entend aussi une évolution progressive, une traversée… Donc au moment où l’on décide de quitter un point A pour rejoindre un point X, dont nous n’avons aucune compréhension de l’enjeu, c’est à cet instant même que notre esprit doit se permettre de prendre du recul, de ralentir, d’être en questionnement perpétuel, de prendre position, de trier, entre bien d’autres choses.

C&  : Pourquoi participez-vous aux deux cadres, le IN et le OFF  ?

SD  : Mon travail à été présenté pour la première fois par Aissa Dione (Galerie ATISS) à l’occasion d’une exposition collective durant le PartCours en décembre 2013. Sa galerie bénéficiant d’une ouverture à un réseau international, c’était pour moi l’opportunité de pouvoir diffuser mon travail et mes idées à un large public. C’est l’une des rares galeries à Dakar qui a pu garder son niveau de qualité à travers ses sélections et ses propositions.

C&  : Quels sont vos prochains projets  ?

SD  : Je rentre dans une nouvelle phase de recherche. Je suis conscient de ma jeunesse et je sais qu’il me reste un long chemin. À mon niveau, j’essayerai de pousser et d’accompagner le plus loin possible la création contemporaine qui ne cesse d’évoluer. Ainsi, j’utiliserai tous les moyens nécessaires pour faire grandir mon travail et faire en sorte de graver mon nom parmi ceux des plus grandes figures de l’art au niveau mondial. De plus, la résidence offerte par le prix de l’OIF est aussi une nouvelle perspective  !

.

Propos recueillis par Aïcha Diallo

 

Explorer

More Editorial