Biennale de Venise 2019

Amina Zoubir s’exprime sur l’annulation inattendue du pavillon algérien

Il y a quelques semaines, l’Algérie annonçait officiellement sa participation à la Biennale de Venise 2019. Puis, soudainement, son nom a été rayé de la liste officielle. C& s’est entretenu avec Amina Zoubir, l’une des artistes participant au projet, au sujet de l’incident et de son point de vue personnel sur l’importance de ce pavillon.

Amina Zoubir, Searching for the Algerian Pavilion, photograph of the performance made in June 3rd 2013 during The Venice Biennale, behind sculpture of Marc Quinn on the island San Giorgio Maggiore, 120x80 cm, 2013. © Amina ZOUBIR ADAGP Paris

Amina Zoubir, Searching for the Algerian Pavilion, photograph of the performance made in June 3rd 2013 during The Venice Biennale, behind sculpture of Marc Quinn on the island San Giorgio Maggiore, 120x80 cm, 2013. © Amina ZOUBIR ADAGP Paris

Contemporary And : Que représente pour vous la participation de l’Algérie à la Biennale de Venise ?

Amina Zoubir : Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie a été absente des principaux événements culturels internationaux. En tant que pays africain majeur, comme le Ghana ou Madagascar, l’Algérie mérite d’avoir son premier pavillon à la Biennale de Venise. C’est une responsabilité et un devoir civique que d’honorer le pays et son drapeau dans le cadre des biennales les plus notables. La Biennale de Venise est une compétition intellectuelle internationale d’artistes contemporains pour le Lion d’or. Les enjeux esthétiques, sociaux et politiques sont portés par des œuvres d’art avec gravité et ardeur dans l’optique de rendre compte de la temporalité de la contemporanéité.

Nous, artistes algériens choisis pour représenter le pavillon algérien, appartenons également à la nouvelle génération de l’Hirak [mouvement] et au peuple qui a manifesté dans les rues des villes d’Algérie, en exigeant un changement politique et démocratique. À travers mon travail d’artiste visuelle, j’ai vécu et expérimenté cette période et ce territoire. La conséquence positive de l’Hirak est que le président a démissionné le 2 avril, mais le nouveau ministre de la Culture chargé de la transition a retiré son support financier et, le 4 avril, a décidé de remettre à plus tard la participation officielle de l’Algérie à la Biennale, sans considération pour tout le travail que nous avions fourni pour l’organiser.

C& : Quel a été votre sentiment lorsque vous avez eu vent de ce « report » ? Prévoyez-vous de présenter l’exposition dans un autre espace ?

AZ : J’ai eu le sentiment que nous n’existions plus, comme si aucun effort n’avait été fait pour que le pavillon algérien soit officiellement inscrit. Nous considérons cette décision comme méprisante à l’égard de tout le travail mis en œuvre pour organiser le pavillon, car toutes les œuvres étaient produites, le catalogue d’exposition imprimé, les invitations envoyées.

Entretemps, la volonté des artistes algériens est de conserver notre pavillon du 11 mai au 24 novembre 2019 avec le soutien de sponsors privés. Par conséquent, nous présenterons l’exposition dans le même lieu, ainsi que le projet artistique intitulé Time to Shine Bright. Le nouveau ministre de la Culture a annulé le pavillon pour des questions d’organisation mises à mal en raison de l’instabilité politique, ce qui nous contraint à trouver des fonds privés.

C& : Pourriez-vous nous en dire plus sur l’exposition et le travail que vous avez produit à cette occasion ?

AZ : La proposition curatoriale du pavillon algérien défendue par Hellal Mahmoud Zoubir est la résistance et la présentation de nos artistes à travers nos perceptions de ce que représente l’art pour nous. Il s’agit aussi de lui donner une impulsion qui lui a si cruellement manqué toutes ces années, en montrant une avant-garde et un jeu avec son génial processus de résilience, en tant qu’êtres pouvant nous rendre notre éclat dans l’obscurité du vide existentiel. Il est grand temps que nous étincelions de nos feux.

Cette proposition souligne le choix du commissaire, Hellal Zoubir, de mettre l’accent sur des artistes contemporains, jeunes mais expérimentés, tous nés en Algérie et formés à l’École des beaux-arts d’Alger, dont le directeur Ahmed Asselah et son fils ont été assassinés le 5 mars 1994 pendant la guerre civile.

J’avais toujours interrogé le regard des autres à travers mes œuvres qui narrent des expériences du corps dans des espaces prédéterminés, en fonction des contextes socioculturels, ethnopsychiques et politiques. Mes œuvres questionnent les pensées sociales et historiques à partir des poétiques et des mythes au Maghreb, en Afrique du Nord. Il est crucial de savoir d’où l’on parle pour s’imaginer où vouloir aller et se donner le moyen d’exister. Mon projet n’est pas une œuvre matérielle ; mon projet consiste à soutenir la pensée critique concernant notre utilité et notre façon d’affronter le monde. Comment un artiste d’Afrique peut exister dans le champ de l’art contemporain.

Je voudrais aussi aborder les pensées critiques de mes mentors, Okwui Enwezor et Olabisi Silva, paix à leur âme. Ils nous ont quittés trop tôt et je souhaite leur rendre hommage et poursuivre leur combat pour la déconstruction du regard occidental dans son propre champ et contester les discours préconçus sur l’art, pas seulement en Afrique, mais au niveau international.

C& : Comment curateurs et artistes ont-ils exprimé leur déception au sujet du « report » ?

AZ: Nous sommes solidaires de notre peuple et nous soutenons leurs exigences légitimes. Nous souhaitons un changement démocratique à notre pays, nous n’appartenons à aucun vieux ou nouveau régime ou système politique, nous sommes seulement des artistes. Le projet du pavillon algérien est une action citoyenne autonome qui a eu le soutien du ministère de la Culture pour exister à la Biennale de Venise. Nous, les artistes algériens, soutenons tous les projets qui honorent l’Algérie et nous le prouvons sans cesse à travers nos œuvres, celles que nous produisons par nos propres moyens. Nous avons consacré notre temps et nos ressources – dont nos moyens financiers – pour permettre au pavillon algérien, au-delà de nos personnes, d’être présenté à l’un des événements artistiques internationaux les plus importants au monde.

 

 Amina Zoubir vit et travaille entre Paris (France) et Alger (Algérie). Elle est une artiste plasticienne, réalisatrice et commissaire d’exposition d’art vidéo. Elle est diplômée d’un Master en Théorie et pratique de l’art contemporain et des nouveaux médias en 2009 à l’Université Paris 8 et d’un diplôme d’études supérieures artistiques (DESA) en Design Graphique obtenu en 2006 à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger.

 

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