En conversation avec Igo Lassana Diarra

Comment se traduisent les activités culturelles engagées face à une crise?

Pour Igo Lassana Diarra, expert en culture à Bamako, les arts et la culture peuvent fonctionner comme champ de bataille dans le contexte de la crise malienne.

The Salon Urbain de Douala (SUD) is an exception among festivals of contemporary African art. Sponsored by the Cameroonian organization doual’art, SUD’s goal is not so much to give pride of place to African artists as it is to give art pride of place in the lives of the residents of Douala. The theme of the third edition of the triennial (December 3-10, 2013) was “Douala Métamorphoses.”

The Salon Urbain de Douala (SUD) is an exception among festivals of contemporary African art. Sponsored by the Cameroonian organization doual’art, SUD’s goal is not so much to give pride of place to African artists as it is to give art pride of place in the lives of the residents of Douala. The theme of the third edition of the triennial (December 3-10, 2013) was “Douala Métamorphoses.”

C&: Parlons d’abord de vos activités au sein de La Médina.

Diarra: La Médina Art& Culture est le bébé de l’association Balani’s. La matière grise, c’est Balani’s qui, depuis plus d’une décennie, opère sur la scène nationale et internationale de manière transversale dans la culture. La Médina commence à s’imposer depuis son ouverture en novembre 2011 dans le cadre des Rencontres africaines de la photographie de Bamako, avec l’exposition «Témoin».

C&: De quelle manière vos activités ont-elles été affectées par la crise actuelle au Mali?

Diarra: L’absurdité de cette crise a été un traumatisme pour le peuple malien, et le secteur de la culture a été lourdement affecté. Aimé Césaire disait: «Gardez-vous de croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas spectacle». Donc notre engagement actif a débuté le 4 mai 2012 par la campagne «Sauvons les manuscrits de Tombouctou» et la projection du film du réalisateur sud-africain Zola Maseko «Les Manuscrits de Tombouctou» au sein de la Médina. Donc cela a eu un grand retentissement au niveau des médias parce que le jour même de la diffusion du film, le 4 mai 2012, il y a eu la profanation des mausolées à Tombouctou, comme si cela avait été une sorte de prémonition…De plus, nous avons produit le manifeste des écrivains et activistes culturels du Mali pour la défense des patrimoines des zones sous occupation. J’ai également réalisé un film documentaire «Afrique avec le Mali» avec les personnalités de l’ensemble des régions de  l’Afrique et sa diaspora telles que Achille Mbembe, Simon Njami, Domunisani, la princesse Marilyn Douala-Bell, Aadel Essaadani, Narriman-Zerhor Sadouni, Oumar Sall, pour ne citer que ceux-là…

C&: Vous avez mentionné les manuscrits: quelle en est leur situation?

Diarra: On nous dit qu’il y a eu plus de peur que de mal. En effet, il y a un lot important de manuscrits sauvegardés à Bamako. Les auteurs de ce transfert ont été aidés par les autorités nationales mais aussi par les fondations DOEN, Prince Claus et Ford qui ont réagi de façon active.

C&: Et comment réagissez-vous face à cela?

Diarra: Actuellement,  après avoir organisé l’atelier international sur les manuscrits, et l’expo «Hier, Aujourd’hui, Demain», nous travaillons actuellement sur un monument autour de la problématique de la préservation des archives.

C&: Comment vous vous êtes concrètement organisé avec votre réseau?

Diarra: A travers Arterial Network, j’ai mis en place les représentations nationales au niveau de l’Afrique de l’Ouest.  Actualité oblige, j’ai également lancé la campagne pour la sauvegarde du patrimoine malien en danger. J’ai senti une grande solidarité des pays africains comme en Guinée, en Gambie, au Sénégal…De façon concrète,  avec Arterial Network au niveau de la CEDEAO, nous avons conçu avec leurs experts en culture au Niger un document «L’ Appel de Niamey»  qui condamne avec vigueur les actes barbares et criminels que constitue la destruction des patrimoines maliens. Au niveau du réseau Kya regroupant des acteurs et opérateurs culturels du Mali – les membres fondateurs en sont «Actes Sept», «Balani’s», «Centre Soleil d’Afrique», «Le Festival sur le Niger» -, nous avons contribué à la relance des activités culturelles au Mali par une myriade de conférences, d’expositions, de festivals etc.

C&: Quelles en sont les conséquences concrètes. Comment cela a été perçu? 

Diarra: Les conséquences se manifestent au niveau de la sensibilisation de la population. Nous avons déclaré dans la presse que cela était un crime contre l’humanité. A notre grand soulagement, cela a été repris par le Ministre de la culture et nous les avons félicités pour cette prise de position engagée par rapport à leur position officielle. L’UNESCO a fait aussi ce qu’elle peut en déclarant «patrimoine en péril». Certes, je pense qu’il faut aller à partir de cette grande déclaration de principe pour combattre ces destructions de manière plus radicale par la prévention. Du coup, nous sommes en train de structurer le concept de «Zones intouchables» dans cette même lignée. C’est Princesse Marilyn Douala-Bell, la directrice de doual’art, qui a lancé cette expression au cours de nos différents entretiens.

C&: Et comment faites-vous pour atteindre la population?

Diarra: C’est le challenge, on organise des débats, des rencontres, des interventions dans la presse, aussi par nos expos très engagées. Par exemple, on se sert de la presse pour permettre à la population de décoder de flux d’ informations contradictoires entres les différents medias. Chacun s’active sur son champ de bataille. Et pour nous, la culture a été extrêmement attaquée par cette guerre. Le nombre de bibliothèques qui ont été saccagés. Il faut parler de ça. Il y a énormément de centres de lecture qui ont été saccagés et pillés, des écoles brûlées. Des autodafés. C’est extrêmement grave.

C&: Comment détermineriez-vous le rôle de la culture en tant que «champ de bataille»?

Diarra: Vous savez, la culture est le socle de toute société. Les intellectuels et les artistes ne sont pas du tout restés en marge. Par exemple, il y a eu beaucoup de concerts pour la paix, des morceaux engagés qui décrivent la situation. Les artistes plasticiens ont été énormément actifs. Il y a eu de nombreuses expositions sur la thématique. Du côté de la Médina, nous avons aussi fait «Presse Crises» une expo d’articles du monde entier qui parlent du Mali. Et tout récemment, «Sacrifices Ultimes» avec l’artiste Ouolos a été la première exposition au Mali pendant le couvre-feu. C’était une période très chaude car elle coïncidait avec l’arrivée des troupes françaises. On a choisi la date du 17 janvier pour célébrer le massacre d’Aguelhok. J’avais même appelé le ministère pour avoir leur feu vert. En période de couvre-feu, la musique est interdite, les rassemblements, les concerts pendant le couvre-feu, le cinéma aussi. On est pratiquement l’un des seuls espaces à résister.

C&: Pour conclure, avez-vous un message à faire passer?

Diarra: Un message de paix, d’unité et d’espoir. Une de mes conclusions, c’est que le vrai champ de bataille ce sont les arts, la culture, l’éducation, la science, la technologie. C’est ça l’urgence. La résistance, c’est donc une obligation. A la fin de cette guerre, il faudrait que l’arc-en-ciel malien redevienne plus beau et plus fort.

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Propos recueillis par Aïcha Diallo 

 

 

 

 

 

 

 

 

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