SAVVY Contemporary

« Nous sommes arrivés »

Notre auteur Elisabeth Wellershaus rencontre Bonaventure Ndikung, directeur de Savvy Contemporary

Bonaventure S.B.Ndikung. © Paul Ruf

La première exposition dans les nouveaux locaux de Savvy Contemporary a été inaugurée dans le district de Neukölln à Berlin le 10 août. Dans l’interview de C&, le directeur du projet parle d’échange culturel entre les continents, du quartier de Rixdorf et des nouveaux locaux.

 

C&: Quelle est l’origine de la création de Savvy Contemporary?

BN: La procédure a été assez longue. En 2009, nous avons lancé notre projet, issu plus ou moins d’une nécessité. Car à mon avis, il manquait et il manque d’ailleurs toujours des lieux à Berlin et en Allemagne où les créateurs artistiques occidentaux et non-occidentaux puissent échanger ouvertement. La conséquence logique a donc été pour moi de créer mon propre lieu d’échanges. Auparavant, j’avais travaillé pendant plusieurs années en tant que curateur indépendant et j’avais l’impression qu’il y avait certes de fantastiques expositions à Berlin, mais qu’en général, seuls des artistes des Etats-Unis ou d’Europe y étaient représentés. Pourtant, le monde n’est pas seulement composé de ces deux continents.

 

C&: Comment vouliez-vous vous positionner?

BN: Je ne voulais pas me contenter d’ouvrir une galerie dans laquelle serait exclusivement montré de l’art en provenance de pays non-occidentaux. Nous ne souhaitions pas faire l’objet de connotations de migration ni recevoir l’étiquette multiculturelle. Je voulais simplement créer une plateforme sur laquelle l’équipe internationale de Savvy et moi-même pourrions travailler avec des artistes d’Occident et d’autres régions comme l’Afrique, l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine et l’Asie. Nous voulions créer un lieu où des artistes de renom tels que Bruce Naumann puissent rencontrer de jeunes talents non–occidentaux, et où l’espace serait surtout consacré à la présentation de positions plutôt que de confrontations.

 

C&: Quelles ont été les premières réactions à votre concept? L’enthousiasme des artistes, la curiosité du public, la réserve des médias ?

BN: Evidemment, les artistes se sont tout d’abord réjouis de l’existence d’un nouvel endroit expérimental. Un lieu où il ne fallait pas se vendre mais où il était possible d’expérimenter. Et pourtant, nombre d’artistes se posaient des questions au sujet du concept. Les problèmes liés au label – faut-il faire ici de l’art occidental ou pas – ont fait, et font d’ailleurs encore l’objet de nombreuses discussions. C’est justement pour cela que je tenais à communiquer que de jeunes artistes tels qu’Ato Malinda ou Soavina Ramaroson devaient avoir la possibilité de se définir dans les locaux de Savvy. C’est l’occasion pour eux de pouvoir se positionner par leur travail et de lutter ainsi subtilement contre la croyance, erronée mais répandue, selon laquelle l’art mondial est synonyme d’art occidental. Car notre objectif est en effet d’arriver à déconstruire de tels concepts.

 

C&: Des concepts auxquels sont encore attachés une grande partie du public et des médias sans doute?

 

Le public a toujours été curieux et ouvert. Pourtant, dès les premières expositions avec Ramaroson, des gens sont venus vers moi en demandant: « Où se trouve en fait l’art africain ici ? » Les attentes de ces personnes resteront toujours un mystère pour moi. Je suppose simplement qu’ils ont en tête es oeuvres de Salgado ou de Riefenstahl. Mais Ramaroson est un jeune artiste qui vient de Madagascar et dans ses œuvres, il montre l’intérêt qu’il porte évidemment au monde entier et pas seulement aux clichés ethnographiques. Certes, le hasard veut que ses motifs soient souvent des hommes africains. Cependant même cet état de fait ne semble pas suffire à une partie du public pour mériter le label d’art africain. Un artiste africain doit-il obligatoirement représenter des enfants affamés, malades ou encore des animaux de safari ? Je ne pense pas. Pourtant, la controverse au sein du public, des artistes et des curateurs ne tarit pas à ce sujet. Ce que je trouve formidable en fait.

 

C&: Vous ne voulez pas seulement toucher le public artistique classique et figurer dans les pages culturelles, mais aussi vous adresser au quartier de Rixdorf et à ses habitants.

 

BN: C’est bien cela. Quand nous avons commencé ici, j’ai distribué des flyers dans les boîtes aux lettres, invité des gens à dîner, mais personne ne réagissait. A l’époque, je suis redescendu sur terre et j’ai compris une chose: il va falloir du temps. Les gens sont sceptiques ici. Ils ne s’intéressent pas aux discussions relatives à l’art occidental et non-occidental. Mais lorsqu’à un moment – par manque d’espace – nous avons déplacé le premier projet de performance dans la rue, leur curiosité a été piquée au vif. Lorsque nous organisons quelque chose dans la rue, les voisins sortent leurs chaises et s’installent avec une bière pour regarder. Et ce même si le propriétaire du kiosque d’à côté ne comprend toujours pas comment je gagne mon argent.

 

C&: Comment le gagnes-tu au fait?

 

BN: La vérité, c’est que nous pouvons à peine nous financer. Je fais simplement ce que je dois faire. Au début, j’ai investi beaucoup de capital propre. A présent, nous déposons des demandes et recevons des petites donations d’autres institutions. Au début de l’année, nous avons reçu pour la première fois une aide financière plus importante. Nous avons décroché le prix du Sénat de Berlin et cela nous permet aussi de financer le déménagement dans de nouveaux locaux. Nous aurons davantage de marge de manœuvre pour les expositions et les programmes-cadres dans les nouveaux locaux, et les anciens seront utilisés pour les programmes en résidence déjà prévus.

 

C&: Est-ce que Savvy est bien arrivé dans les nouveaux locaux ?

Manifestement, le public et les médias nous perçoivent mieux si nous occupons un endroit plus grand. Mais comme je le disais, nous sommes déjà présents dans le quartier depuis un certain temps. Le père d’un voisin, un vieux migrant originaire du Kosovo qui vivait depuis longtemps à Rixdorf, est décédé il y a quelques temps. Lors de son enterrement, une splendide procession s’est formée dans les rues. Des chevaux tiraient son cercueil sur la Richardplatz, tous les voisins étaient présents. Son fils est ensuite venu me voir. Il m’a dit qu’il voulait rendre hommage au souvenir de son père – et qu’il souhaitait le faire chez nous, dans la galerie. Il ne l’a pas encore fait mais depuis je sais une chose : nous sommes arrivés.

 

Traduit de l’anglais par Isabelle Schreiber.

 

Ghostbusters II {Haunted by Heroes}, expos, conférences et performances. 

Artistes: kara lynch et Délio Jasse 

Commissaires d’exposition: Nadine Siegert et Storm Janse van Rensburg | Directeur artistique: Bonaventure S.B. Ndikung

11th Aug. – 11th Sept. 2013

SAVVY Contemporary

Richardstrasse 20, Berlin-Neukölln

 

 

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