L’historien d’art Paul-Henri S. Assako Assako, qui dirige l’école d’art de l’université de Yaoundé I, partage ses aspirations et ses frustrations avec C&
C& : Paul-Henri Assako Assako, comment décririez-vous votre parcours au regard de l’intérêt que vous portez à l’expression artistique ?
Paul-Henri S. Assako Assako : L’intérêt que je porte à l’art, et particulièrement aux arts visuels, est né d’une opportunité que feue sœur Anne Marie Hamon m’a offert en 1995 de m’exercer au dessin et à la peinture pendant les vacances et les week-ends. Cet intérêt s’est progressivement raffermi tout au long de mes études à partir de l’année 1997, lorsque j’ai décidé d’entrer à l’Institut de formation artistique (IFA) de Mbalmayo, école d’enseignement artistique secondaire unique au Cameroun à l’époque. Après l’obtention d’un baccalauréat Af2 (option peinture) dans cet institut, j’ai suivi des études d’arts plastiques et d’histoire de l’art à l’université de Yaoundé 1. C’est à la section Arts plastiques et histoire de l’art du département des Arts et archéologie de cette université que j’ai obtenu un doctorat/Ph.D en histoire de l’art.
Je retiens quelques éléments de motivation essentiels : premièrement, l’admiration pour une de mes enseignantes d’histoire de l’art, architecte italienne avec laquelle nous avons entrepris en classe de première un travail de recherche sur la production artistique au Cameroun ; deuxièmement, le regret de constater que notre programme à l’IFA ne prévoyait pas de cours sur le sujet de l’art en Afrique.
C& : En tant que professeur, chercheur en histoire de l’art et nouveau chef de la section Arts plastiques et histoire au département des Arts et archéologie de l’université de Yaoundé 1, comment envisagez-vous le programme éducatif ? Dans quelle mesure prévoyez-vous une révision de celui-ci ?
PHAA : Les contenus des programmes d’enseignement de la section sont assez ouverts et permettent d’appréhender l’art sous différents points de vues complémentaires : historique, anthropologique, philosophique, biographique, pratique, expérimental, des théories critiques, etc. Il prévoit la connaissance des arts du monde, des arts en Afrique et des arts au Cameroun (préhistorique et actuel). Toutefois, considérant que le champ de référence des arts visuels est en perpétuelle mutation, le programme de la section doit s’approprier ces transformations et en faire de nouvelles questions d’étude et de recherche. C’est dans cette perspective que j’envisage ce que l’on pourrait considérer comme une révision du programme. Il est davantage question d’encourager mes collègues et les étudiants à ne pas se cloisonner dans la réalité exclusivement universitaire et à suivre l’expression artistique dans une démarche transversale : apprendre à explorer et à intégrer dans le cadre didactique les différents programmes alternatifs de production et de diffusion, le marché, les biennales, les recherches universitaires. Il s’agit en bref d’élargir sa culture à l’actualité historique et quotidienne de l’expérience artistique en rapprochant réalité professionnelle et académique.
C& : Quels types d’approches et de systèmes (éducatif, théorique, artistique, etc.) projetez-vous pour vos étudiants en devenir ?
PHAA : L’idée qui m’anime est de faire de la section un véritable incubateur de professionnels des arts visuels à partir des recherches théoriques et des expériences créatives originales/audacieuses que les étudiants et les enseignants sont appelés à mettre en œuvre. C’est le moyen par lequel la section, les étudiants et les enseignants pourraient intégrer un réseau artistique professionnel local et global. Toutefois, dans un environnement sans moyens matériels et financiers et avec peu d’enseignants spécialisés, l’approche principale consiste à chercher à renforcer les capacités de nos étudiants et enseignants par le biais d’interventions dans le développement de nos programmes de professionnels du monde de l’art suivant leur expérience. Il s’agit d’ouvrir la section à des sortes de partenariats qui devraient permettre à nos collègues d’organiser leur enseignement en prévoyant des applications sous la forme de « projets » professionnels susceptibles d’introduire progressivement les étudiants dans le monde professionnel de l’art.
C& : Le monde de l’art contemporain connaît un grand engouement sur le continent africain et une visibilité accrue dans le monde occidental. Quand on parle de global art and education, qu’est-ce que cela vous inspire, en particulier pour la formation et la carrière des artistes ?
PHAA : La visibilité de l’art développé par les artistes d’origine africaine et son appréciation dans le monde occidental devrait se présenter sous forme d’opportunité non seulement pour les artistes mais aussi pour les gouvernements en Afrique. Elle témoigne de tout l’intérêt qu’il y aurait pour ces gouvernements de définir des politiques de soutien à l’activité culturelle dans son ensemble et aux différents acteurs de ce champ.
L’un des changements majeurs apporté par la réforme artistique de la deuxième moitié du XXe siècle en occident a été le fait de décomplexer les esthétiques étrangères par rapport à la culture occidentale et de révéler leur pertinence. La notion de global art pourtant ne semble pas décrire une telle lecture. Ce qui apparaît aujourd’hui comme « art africain contemporain » dans le « global » est pour la plupart ce qui est éligible directement ou indirectement en tant que tel par une certaine élite occidentale face à l’indifférence que bien des pays africains affichent vis-à-vis de l’art.
Le contexte global est ouvert aux échanges d’expériences et aux confrontations culturelles transversales. De ce fait, il présente plusieurs avantages en termes de références susceptibles de servir de bases critique, méthodologique, expérimentale pour l’éducation/la formation artistique, mais aussi en termes de profils professionnels et des possibles cursus académiques y afférents.
C& : Et comment voyez-vous le rôle des diasporas en tant que vecteurs de communication entre les réalités locales et globales ?
PHAA : Les diasporas portent, à mon sens, une grande responsabilité. La nature des positions qu’elles occupent par rapport aux différents pays dont elles sont originaires influence considérablement la perception que l’on peut avoir de la pratique artistique dans les pays africains. La pertinence de la question des diasporas est dans la nature des interventions dont elles sont les auteurs, leur capacité à mener des actions qui s’inspirent des nécessités locales et rejoignent celles d’envergure internationale. Le risque auquel s’exposent les diasporas me semble être celui de reporter littéralement la position occidentale sur leur contexte d’origine ou encore de circonscrire ce contexte à des références stéréotypées et qui font abstraction des nouvelles dynamiques qui s’y observent…
C& : Comment considérez-vous le rôle des espaces indépendants dans la formation informelle des artistes au Cameroun ? Est-ce que vous pourriez nous parler de certains cas, tels que Doual’art, Art Bakery, etc. ?
PHAA : Les espaces indépendants comme Doual’art, Art Bakery et bien d’autres ont joué et continuent de jouer un rôle très important dans la vie des arts au Cameroun, et plus encore dans la formation et l’éducation artistique. Ces espaces sont à l’origine des initiatives artistiques telles que des expositions, des résidences de création, des festivals (Salon urbain de Douala), des conférences, pour ne citer que ces exemples qui ont permis la découverte et la connaissance d’artistes camerounais et étrangers et des échanges pluriels entre les différents acteurs du monde de l’art camerounais et ceux de l’étranger. Ces espaces ont aussi été pendant longtemps les principaux canaux de médiation, de diffusion et de mobilité d’artistes camerounais et de leur travail.
Interview par Aïcha Diallo
.
This Interview was first published in the latest C& Print Issue #7. Read the full magazine here.
More Editorial