En vue de la biennale de Dakar, C& présente une petite série introduisant de jeunes talents, artistiques, curatoriales et leur projet. L'artiste photographe Mame-Diarra Niang donne un aperçu des changements du paysage urbain à Dakar.
La jeune artiste plasticienne et photographe Mame-Diarra Niang nous dévoile le paysage dakarois en mutation.
Ça, c’est à Ouakam, un quartier de Dakar. Il se trouve sur l’ancienne piste de l’aéroport de Dakar et tout le propos de cette série est de montrer un nouveau visage dakarois. Ce que l’on remarque au cours de ces dix dernières années, c’est qu’il y a de plus en plus de nouveaux immeubles et appartements construits ici et là dans la ville, des infrastructures d’habitations architecturalement bien limitées alors qu’on n’en avait pas du tout l’habitude auparavant car on vivait dans des maisons familiales ou bien entre nous. Là, on assiste vraiment à une recherche d’individualité et l’individualisme règne dans ces types d’habitats. On est dans la consommation, on veut absolument consommer seul et secrètement, se définir un cadre bien précis. Voilà, et donc nous reprenons un modèle occidental qui est en train de s’écraser parce qu’il ne marche pas en Europe et on le voit bien. Finalement, on commence à abandonner des choses qui marchaient chez nous jusqu’à présent parce qu’on envie ce qui se passe ailleurs. Je trouvais intéressant de travailler cette thématique parce que cela revient à un abandon du ciel.
En fin de compte, on décide de ne plus partir mais de se fixer ici. C’est une sorte de métaphore : on décide de se fixer dans un individualisme, et même le sable utilisé pour faire les briques est du sable qui provient du territoire. Donc, on assiste à ce type de choix, celui d’être dans une errance, une itinérance, de marcher, de fuir mais en même temps de se fixer. C’est une question de choix. Tu passes, tu foules le sol ou tu bâtis. Au fur et à mesure de cette réappropriation du territoire ou de cette réappropriation de soi – car ici le problème d’habiter dans des grandes maisons familiales est justement la perte de ton profil personnel – tu ne te sens plus, tu penses avec les autres, collectivement et tu ne sens plus où se trouve la limite de ton toi. Finalement, ce que les Sénégalais ou les Africains de la diaspora peuvent dire, c’est que leurs familles leur manquent bel et bien mais en même temps, quand ils reviennent au pays, ils ont besoin d’une certaine indépendance. Et tout ceci questionne cette problématique, le cadre que tu t’imposes… Quand on est en Europe, on idéalise l’Afrique ou cette communauté, mais même si elle présente des avantages, elle peut aussi avoir des inconvénients, chacun doit gérer cela à sa manière. Et la vie en France est aussi idéalisée ici.
Avant même que les maisons ne soient construites ici, on place ces boîtes pour le branchement électrique. Et en fait, cela explique qu’on trouve des terrains entiers de petites boîtes et là justement, je me promenais sur un terrain comme celui-ci. Et en fait, on dirait vraiment un cimetière. Cette réflexion m’est venue alors que j’étais justement en errance moi-même parce que je me trouvais vraiment en pleine errance lorsque j’ai pris cette série de photos sur le chemin. En définitive, on passe notre temps à vouloir s’imposer un cadre et à le resserrer. C’est presque comme si on s’habituait à notre propre temps de vie. Au final, à force de chercher la vie au dessus des autres, la vie à côté des autres ne sera plus comme elle l’était auparavant, elle se trouvera dans le cimetière, là où nous serons tous réunis les uns à côté des autres. En me baladant dans ce paysage, je réfléchissais vraiment à cette idée, cette perte d’identité, à tout ce que l’on a perdu. Et oui, on a aussi besoin d’être seul ici parce que la famille peut être un fardeau, la société est un fardeau. Donc, nous avons besoin de nous construire notre propre boîte, des petites boîtes, cachées les unes des autres, au-dessus, en dessous, mais cachées en tous les cas. Et cela revient alors à une petite mort. La réflexion que je mène à ce sujet est encore en cours. Voilà ce qui m’a amené à cette série photographique « Sahel gris ».
Dakar devient de plus en plus grise parce qu’on construit les briques sur place et on laisse le sable par la suite. Par effritement, le sable utilisé dans les bâtiments devient gris, le paysage est gris car on est constamment en construction et que l’on veut toujours s’élever. On cherche toujours à s’élever davantage. Par exemple, les plus hauts pics sont constamment élevés. C’est comme si la construction disait « Je n’ai pas dit mon dernier mot, peut-être que je vais encore m’agrandir, qui sait ?! » mais en même temps, les espaces de no man ‘s land où la ligne d’horizon était fort marquée sont tellement construits qu’elle disparaît complètement. On ne voit plus que son voisin. Alors même si on habite seul, on se regarde, on s’observe. Moi, cela me fascine et en même temps cela me fait assez peur ! J’adore le béton !
Cette photo montre une maison en ruine. Vous voyez le quartier où j’ai grandi, en pleine saison des pluies. Je suis arrivée au Sénégal quand j’étais petite. Mon père était très content de nous montrer notre nouvelle maison dans ce nouveau quartier de la banlieue dakaroise. Ce quartier-là est en ruine maintenant ! Par manque d’entretien, parce que les gens sont partis, cela a évolué, ce sont d’autres personnes aujourd’hui, les mœurs ont changé. J’entretiens un rapport très particulier avec ce quartier aujourd’hui. En fait, je travaille beaucoup au niveau personnel dans le cadre de ces photos. Quand je photographie, je suis très généralement dans cet état d’errance, je réfléchis aux chemins que j’emprunte. Et ici, sur ces photos, on peut voir les chemins que j’ai toujours empruntés, le chemin de l’école, le chemin pour rentrer à la maison, le chemin de la boutique, des endroits que je passe en revue, comme un inventaire, on en est là !
Il y a aussi une espèce de mélancolie parce que je ne reconnais plus mon endroit. Mais en même temps, c’est le Sénégal que mon père n’a jamais connu que je photographie aujourd’hui, il s’agit justement de cette réappropriation du territoire.
Voici la série WESTERN_AFRICA, c’est un peu comme un état des lieux ! Des photos prises quand j’étais en voiture, de l’extérieur. Il fallait parfois que je repasse plusieurs fois devant le même truc pour avoir la bonne photo. J’étais beaucoup en taxi à cette période car je devais faire de longues distances et mes journées étaient très chargées. J’étais donc tout le temps en voiture ou assise dans les bureaux, c’était mon seul échappatoire, de photographier et de devoir produire quelque chose. J’avais constamment mon appareil photo sur moi pour viser au travers de la vitre et j’attendais le moment juste pour que ça se déclenche. Je n’ai observé ce trajet qu’à travers un objectif, c’était une paire de lunette, ma vision, mon œuvre. En fin de compte, je trouve que ces paysages sont extrêmement contemporains en fait, ce sont presque des installations, des mise-en-scènes, une vraie scénographie urbaine où chaque objet a une vie, une utilité.
Donc, on peut dire que mon travail photographique a été une occasion de ré-explorer tous ces endroits, d’associer ces différents territoires entre eux : Paris, Abidjan, Dakar, ces villes dans lesquelles je me suis construite. Cela me permet de trouver un équilibre et je ne veux pas faire de choix entre ces territoires, ils m’appartiennent tous.
J’ai toujours été attirée par l’image, la photographie mais je n’avais tout simplement pas encore pris de décision, fait de choix, je voulais m’exprimer. La photographie me permettait alors de rester très pudique sur ce que je pouvais ressentir, sans y mettre de mots et de laisser les gens déduire par eux même. Entre temps, j’ai fait aussi des illustrations. Il y a toujours un temps comme ça où je réalise beaucoup de clichés et puis je fais des illustrations à un autre moment ou bien encore des collages. Cela me permet ainsi de me renouveler.
http://www.mamediarraniang.com
Propos recueillis par Aïcha Diallo
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