L’artiste nous éclaire sur son utilisation contextuelle des médias et nous explique l’importance des thèmes sociopolitiques dans son travail.
C& : Vous avez travaillé avec divers médiums par le passé, tels que la peinture, la performance ou l’installation vidéo. Comment caractériseriez-vous votre approche artistique ?
Admire Kamudzengerere : J’aime penser à mon approche comme à une utilisation contextuelle des médiums, centrée sur la situation que je subis à un moment particulier. Les ressources immédiates qui se trouvent dans mon environnement exercent une influence sur ce que je crée. Ce qui me fascine, c’est l’urgence du matériau, la façon dont il peut être manipulé ou dont je peux improviser, trouver des alternatives pour expérimenter à partir de lui, et explorer. Un bon exemple en est mon utilisation d’une pierre lithographique pour réaliser des autoportraits rapides, presque instinctifs, en me regardant dans le miroir. On n’a pas affaire ici à une approche traditionnelle, mais à une approche certainement plus immédiate que ce qui est généralement possible avec la pierre.
C’est un processus à forte teneur émotionnelle, et si ce que je tente de créer trouve une résonance profonde dans ce qui se trouve à ma portée, le résultat donne quelque chose qui échappe à mon contrôle. Que cela résulte de la colère, du bonheur ou d’une multitude de sentiments, j’ai toujours conscience de ma capacité à détruire et créer de la même manière, en réaction à la tension de l’atmosphère alentour.
C& : Dans votre travail, les thèmes tels que la justice sociale, la violence politique et l’identité sont inévitablement liés. Pourriez-vous nous parler un peu plus de cet aspect ?
AK : Il me semble inconcevable de ne pas traiter des contextes socio-politiques dans ma pratique. J’aborde autant les problématiques macroéconomiques que micro-économiques de mon milieu que les circonstances actuelles, à la fois en tant qu’individu migrant et qu’artiste. Mon sens de la nature humaine est une partie intégrante de mon travail : qu’est-ce qu’être un Africain aujourd’hui et comment concilier ce statut avec celui de citoyen du monde ? Même si les frontières nous sont présentées comme essentiellement cartographiques, sans tendances politico-religieuses, je suis convaincu qu’elles restent perméables à la culture.
L’invention du papier a joué un rôle fondamental car elle a fait bouger les attentes que la société avait d’elle-même. Le papier a ouvert la voie à l’identification de l’individu, qu’il s’agisse du philosophe, du poète, du politicien ou du paroissien. Avec le papier, il existait un moyen de dessiner les individus tels qu’ils étaient, et une manière de s’inscrire dans les annales de l’histoire. Les actes officiels, les contrats, les titres de propriété et les cartes comptent parmi les documents qui ont vu le jour, comme une saignée d’encre sur la fibre. De tels accords sont devenus la marque des temps modernes, le passage vers un mode d’esclavage plus formel. En fin de compte, on constatera sans doute que, soumis à ces influences extérieures, un individu ou un sujet peut être marqué et finalement considéré comme une statistique et non pas comme un être humain… l’entité indivisible.
C& : Que peut-on attendre de votre contribution au pavillon du Zimbabwe ?
AK : Je vais présenter trois types de travaux dans le pavillon du Zimbabwe, chacun d’eux me représentant à la fois comme un Zimbabwéen et comme un artiste international. Je suis le plus jeune participant au Pavillon et mon accès aux nouveaux médias insuffle une nouvelle dimension à l’ensemble. Outre mes dessins et mes estampes, je vais présenter une performance en collaboration avec Rachel Monosov, une artiste israélienne avec laquelle je travaille très régulièrement depuis deux ans. Je suis arrivé à la conclusion que les divergences d’opinion, de corps et de techniques trouvent un écho dans la nature humaine et, je l’espère, en défient sa pulsion ségrégative. Le mélange du choc culturel des temps modernes et de ma nature migrante donne lieu à un déferlement d’influences, qui infiltrent consciemment ou inconsciemment mon travail. J’entends en projeter autant que possible dans mes créations, afin d’interpeller les observateurs sur le plan sensible. Si mon travail pouvait servir de miroir du monde, je souhaiterais que les visiteurs puissent se voir eux-mêmes à travers mon objectif.
Interview par Jessica Aimufua.
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