Où la politique et les arts se marient ...

Steve Bandoma : esthétique de politicien ou politique d’esthéticien ?

Le peintre Steve Bandoma a construit sa carrière autour du thème de la politique de son pays natal, la République démocratique du Congo. Mêlant art et politique de manière indissociable, une grande partie de son travail traite du combat permanent pour l’identité sur le continent, une lutte menée par des personnalités majeures de la politique africaine. Mais comment lire le travail de Bandoma ? Costa Tshinzam s’intéresse à la portée et aux nuances de ce type particulier d’« art politique ».

Steve Bandoma. Courtesy the artist.

Steve Bandoma. Courtesy the artist.

By Costa Tshinzam

C’est lors de son passage à Lubumbashi, passage motivé par des raisons politiques, que Steve Bandoma s’offre une carte blanche au Centre d’art Waza. Dans son artist talk, un moment lui est accordé pour parler de son œuvre à travers son parcours, devant un auditoire fait d’artistes de toutes disciplines, curateurs et autres opérateurs culturels. Il ne cache pas son incapacité à dissocier l’art de la politique. Et montre bien son envie de les mener de front ! Comment peut-on donc considérer son œuvre ? Une esthétique de politicien ou une politique d’esthéticien ?

Né d’un père politicien, ancien ministre et diplomate, et d’une mère amoureuse de la peinture, Bandoma est le produit de l’hybridation des passions de ses parents. Formé à l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa, Bandoma poursuit sa vie et peaufine sa formation au Cap, en Afrique du Sud. Le succès ne tarde pas à venir et le jeune-homme remporte plusieurs prix et, dès son retour au pays, fonde Quoi de Neuf, un Centre d’art contemporain à Kinshasa. Pour lui, art et politique vont de pair, comme coulent le sang et l’oxygène dans des veines qui se veulent vivantes. S’il se sert de son goût pour le beau afin d’aiguiser son idéologie politique, l’inverse – ou le fait de puiser dans la politique pour nourrir son esthétique – est aussi vrai.

En effet, par son travail marqué par la récupération d’images et de textes tirés de différents magazines auxquels il offre une seconde vie en les insérant dans ses toiles pour créer des œuvres d’art, il permet aux amoureux de l’art de questionner et d’appréhender les questions politiques soulevées par cette mixture – autrement qu’en feuilletant ces magazines. L’exemple de Colonized (2012, technique mixte sur papier, 100 x 70 cm) est une vision de l’artiste sur les bouleversements survenus suite aux relations établies sur de mauvaises bases entre l’Afrique et l’Occident, qui en a fait sa « propriété » au XIXe siècle. Cette vision est montrée par Nkisi Nkondi, une statuette qui, malgré son pouvoir d’éloigner malfaiteurs et sorciers, se retrouve elle-même envahie par les puissances occidentales symbolisées par certains de leurs drapeaux, qu’elle accueille avec des mains de diverses couleurs, qui la percent et la transpercent.

Steve Bandoma at Centre d’art Waza, Lubumbashi, August 2018.

La thématique exploitée dans son œuvre est multiple. Mais elle est notamment marquée par une lutte identitaire, une lutte menée par les grands hommes politiques africains, à l’instar du maréchal Mobutu. La question sur l’apport de l’Occident est posée dans sa série Lost tribe où l’on peut voir un Père Noël « très aimable » emportant les statuettes africaines. La même Afrique dont les hommes ne sont pas « assez entrés dans l’histoire », d’après Nicolas Sarkozy.

Avec ses nombreuses interventions et ses prises de position politiques sur différentes chaînes de radio et télévision du monde, Bandoma reste un artiste multidimensionnel prêt à collaborer avec les autres à un développement durable par la culture et les arts. C’est ainsi que, depuis 2006, il ne cesse de multiplier des expositions collectives au pays comme à l’étranger. On l’a vu entre autre dans « Demain Kinshasa », exposition dans le cadre des Journées Utopiques, programme culturel franco-allemand, à l’Institut français de Kinshasa (République démocratique du Congo) en 2016, « Towards Intersection », au !Kauru Contemporary Art from Africa à Pretoria (Afrique du Sud) en 2015, et « Kongo across the waters », au New Orleans Museum of Art (États-Unis), la même année.

Au regard de son idéologie et de la thématique exploitée dans son travail, on peut comprendre que Steve Bandoma se serve de la politique et de l’art comme de leviers pour montrer ou dénoncer les égarements, les peines, les souffrances et les frustrations, nés du choc des civilisations. On voit par exemple dans Mobutu 3 et Mobutu 7 (technique mixte sur papier 35 x 50 cm, 2015), la face en décomposition d’un maréchal dont l’œil droit sort de son orbite alors que l’autre est attaqué par une mouche ; un maréchal ne gardant de sa fierté que sa traditionnelle toque en peau de léopard. Corps en souffrance (technique mixte sur papier 100 x 150 cm, 2015 : série « Lost tribe ») et Pirate (technique mixte sur papier 75 x 140 cm, 2015 : série « Costume ») montrent de la manière la plus parfaite la dénaturation des identités qui surviendrait du choc de civilisations originellement différentes. Si la première montre un corps noir à tête blanche dont le thorax est percé de clous, la seconde, quant à elle, montre un homme habillé à l’occidentale, tenant dans sa main une brochette de crânes humains !

Bandoma a posé sa candidature pour être député sur la liste d’un parti politique de l’opposition. Qu’il s’agisse de la politique d’un esthéticien ou de l’esthétique d’un politicien, l’œuvre de Steve est et restera prisonnière de l’hybridation des passions de ses parents en ce sens qu’il ne peut dissocier l’art de la politique. Ce qui me semble être une bonne chose, car c’est par la recherche du beau que son œuvre interroge nos identités perdues !

 

Steve Bandoma est un peintre originaire de la République Démocratique du Congo. Il est né en 1981 à Kinshasa, ville qu’il habite toujours aujourd’hui. Bandoma emploie une multitudes de techniques – dessins, projections, collage – et crée une véritable esthétique de l’implosion, avec en arrière plan une réflexion sur le chaos et la souffrance. 

 

Costa Tshinzam est un écrivain, bloggeur et auteur de la communauté Habari-RDC. Il a participé à l’atelier d’écriture critique C& à Lubumbashi. Il vit et travaille à Lubumbashi en RDC.

 

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