Olufemi Terry, winner of the 2010 Caine Prize for for African writing takes a closer look at the revival of interest in masquerades and folk traditions celebrated in several coffee table books.
Dans la préface au livre du photographe Charles Freger Wilder Mann ou la figure du sauvage, l’écrivain d’Irlande du Nord Robert Mcliam Wilson se demande pourquoi « nous avons abandonné la religion pour ça » ? Ça étant « l’insondable grand-guignolesque de l’idiosyncrasie des mass média ». « Branchés, connectés à la wifi et à nos G3 de manière obsessionnelle comme nous le sommes, nous aspirons à rétablir le contact avec le réel, le primitif, l’ancien. »
Des preuves d’un large renouveau d’intérêt pour les mascarades et les traditions populaires peuvent être trouvées dans plusieurs beaux livres publiés récemment, destinés à la scène de l’art et du design, comme Wilder Mann ou la figure du sauvage, Once a year d’ Axel Hoedt et Maske de Phyllis Galembo, une étude des mascarades qui ont encore lieu aujourd’hui à Haïti et dans l’Afrique subsaharienne.
L’Europe et l’Afrique se situent à des pôles plus ou moins opposés du « ça » de Wilson, malgré les parallèles saisissants et non équivoques entre les images et motifs de Maske d’une part et de Wilder Mann d’autre part. Cela n’a rien d’étonnant. Le passé préchrétien de l’Europe n’est pas mort, il est juste profondément enfoui.
Les non-occidentaux sont tentés de tourner en dérision les efforts de ce continent de se reconnecter à ses racines païennes en braquant un type de regard anthropologique exoticisant sur les Européens, ce même regard si souvent porté sur les coutumes africaines et asiatiques. Du déjà-vu.
Mais il est aussi fascinant de constater les distinctions subtiles qui démarquent les mascarades européennes réactivées de leurs pendants africains.
Dans les costumes de Wilder Mann, je perçois ce que j’appellerai un animisme postmoderne, un animisme soucieux tant de la conservation que des représentations des mondes matériels et spirituels. Nombre des mascarades de Wilder Mann semblent, peut-être inconsciemment – et, dans un certain sens, après coup – critiquer la modernité et la dégradation environnementale qui l’accompagne. Le décor champêtre des portraits de Wilder Mann et l’animalité frappante des costumes représentent la nature, mais ils la glorifient aussi, la plaçant dans un contraste évident avec le monde contemporain de l’industrialisation, des gadgets et des commodités. Toutefois cette opposition est formulée par un vocabulaire visuel largement dérivé des fortes dichotomies monothéistes : bien et mal, noir et blanc, riche et pauvre, spirituel et matériel.
En revanche, dans les masques africains, on perçoit des représentations plus désintéressées et unitaires. Dans les croyances polythéistes des Yoruba, voire même des Grecs anciens, les dieux étaient capricieux et exigeaient d’être apaisés, et il existait un grand nombre d’esprits (malicieux et même malveillants). La vie était pleine de mésaventures et d’événements imprévisibles, mais il n’y avait ni dieu ni diable.
Bien sûr, dans un sens, les mascarades africaines, comme les costumes de Wilder Mann, sont des cérémonies marquant l’engagement et la résistance aux pressions de la conformité à l’impact homogénéisant de la globalisation. Mais les masques africains évoquent un milieu plus ancien, qui n’a pas perdu tout son pouvoir, et qui, dans ce contexte, ne sont en opposition avec rien ; ils se contentent de représenter et de signifier.
Avec son titre évoquant un lycanthrope – la progéniture d’un ours et d’une femme – Wilder Mann conjure l’atavisme et le primitivisme d’une époque où la spiritualité humaine était fluctuante et naissante. Mais Wilder Mann se réfère aussi à la dualité de l’homme, sa bestialité, qui a été un atout indispensable au fondement de la civilisation.
Même si les contours de cosmologies en déclin sont évidents dans les portraits de Freger, dans son œuvre, la complexité du paganisme européen dans son intégralité semble élidée et grandement simplifiée, peut-être au nom du « marketing ». Outre au Wilder Mann en personne, Freger fait allusion à la chèvre, à l’ours et au diable. Il n’est pas difficile de deviner le symbolisme rattaché à chacune de ces figures, ou qu’elles ont sans doute été sélectionnées parmi divers archétypes historiques pour la raison même de leur symbolisme transparent.
La chèvre représente le foyer, la domestication et même le progrès d’une certaine façon, en tant que compagne apportant pour preuve de son utilité le sacrifice de sa viande, son lait, sa laine.
L’ours incarne le bête sauvage qui peut être maîtrisée ou soumise mais jamais totalement apprivoisée ; enchaîné et dansant, l’ours est une valeur, une preuve difficile du pouvoir de l’homme sur le monde naturel, sur les bêtes stupides. Pourtant, l’ours est aussi l’ancêtre du Wilder Mann et partage la même relation tendue (aussi œdipienne) avec lui que Promethée avec Zeus : l’ancêtre éclipsé et persécuté par son descendant.
Parmi les quatre archétypes du Wilder Mann, seul le diable se rapproche de l’ambiguïté et de la fluidité des esprits de la mascarade africaine. Il est décrit dans les textes de Freger comme « l’intercesseur entre le monde des vivants et des morts qui, paradoxalement, génère plus de rires que de peur ». Bien que le Lucifer chrétien ait été superposé au diable primitif, des traces de son personnage original et de ses attributs persistent dans le caractère du fou ou du bouffon médiéval.
Dans la préface de Maske, Chika Okeke-Agulu se demande « pourquoi […] la tradition du masque perdure sous cette forme si dynamique dans certaines régions d’Afrique et de sa diaspora […] malgré les menaces que représentent les forces combinées – bien qu’antithétiques – de la laïcisation, du christianisme intégriste et de l’islam radical » ?
En réponse à cette question, il propose une anecdote saisissante de jeunes d’un village résolvant un conflit non pas via la bureaucratie moderne et légale, mais en ayant recours à des figures masquées et des masques « comme agents de coercition chargés de faire respecter la loi ». L’anecdote met le doigt sur une différence importante entre les cultures africaine et européenne. Le monothéisme est moins ancré dans la première, les anciennes croyances – bien que confrontées à une certaine érosion – persistent de manière imprévisible et subtile. La preuve en est dans l’ambiguïté des personnages et figures dans nombres de mascarades africaines et caribéennes.
Les essais et œuvres de fiction d’Olufemi Terry ont été publiés dans American Scholar, Guernica et Chimurenga. Il a été écrivain en résidence à Georgetown et Cove Park. Sa nouvelle Stickfighting Days a remporté le prix Caine pour la littérature anglophone d’Afrique en 2010.
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