En tant que scrutateur de la situation actuelle en Afrique du Sud, Bogosi Sekhukhuni sectionne des tranches d’identité nationale et les reflète sous forme de mythes digitaux.
Dans sa performance publique intitulée Fukin’ Ridiculous qui a lieu dans une taverne du centre-ville de Johannesbourg, il mangeait des sushis sur une poupée gonflable pour dénoncer les excès de la classe moyenne noire. Sekhukhuni a même réussi à figurer sur la liste du journal Mail & Guardian reprenant des 200 meilleurs jeunes Sud-Africains issus du milieu artistique et culturel. Il a exposé à la Faculty of Art, Design and Architecture (FADA) de la University of Johannesburg ainsi que dans la Galerie Stevenson avec le groupe CUSS. Il nous fait rentrer dans les œuvres et récits hautement esthétisés qu’il a explorés lors de ses derniers travaux.
Kagiso Mnisi : Quand on observe ton oeuvre depuis Fukin’ Ridiculous et les oeuvres du groupe CUSS, la moindre tentative d’en parler sans information préalable se terminerait par un pur affront. Pourtant, pourriez-vous dire quelles idées vous explorez au travers de votre œuvre ?
Bogosi Sekhukhuni : Les oeuvres et les idées artistiques que je développe traduisent des questions et des débats que j’ai menés avec moi-même sur l’essence de la vie et mes expériences directes. Le contenu en est influencé et suit un récit à fin ouverte et souvent cyclique. La plupart du temps je pense à l’avenir du monde parce que c’est une réalité indéfinie dont on peut saisir des bribes. Dans le présent, on retrouve beaucoup de choses issues du passé, ce sont des pièges physiques qui peuvent distraire de l’objectif – à savoir – trouver des solutions. Je pense que des solutions intéressantes peuvent survenir de perspectives qui se basent sur l’avenir. Ce sont ces idées que j’analyse actuellement dans mon oeuvre, et que je relie au travers de différentes matières. D’un point de vue esthétique, mon travail s’inspire par ce que fait le groupe collectif CUSS en explorant la direction future des arts visuels et en se penchant sur une esthétique post-moderne.
KM : En qualité d’artiste dont l’oeuvre a parfois touché le nerf du temps, que pouvez-vous dire de l’opinion de votre génération sur la politique actuelle en Afrique du Sud ?
BS : Je pense que personne – pas seulement les jeunes gens – ne prend la politique assez au sérieux. Mais je reconnais entre-temps qu’il s’agit d’une attitude saine qui peut être utilisée pour développer des idées visant à une structure alternative de la vie sociale. Par exemple, le caractère informel que l’on retrouve en marge du réseau social devient de plus en plus une force avec laquelle il faut compter. Je pense cependant que pour la jeunesse noire, la technologie est la façon de s’en sortir, et pas nécessairement la politique.
KM : Que pensez-vous de l’interaction de l’Afrique du Sud avec le reste du continent, tant au niveau social qu’artistique?
BS : Je pense qu’il faut nous libérer des prisons géo-psychologiques que des forces impérialistes avaient établies sur le continent au début du 19ème siècle. Non pas pour revenir vers une utopie africaine imaginaire, mais je pense qu’une augmentation de l’échange culturel mutuel présentera des solutions et ouvrira des possibilités. Bien évidemment, il faudra plusieurs générations avant que cela ne se produise.
KM : Vous vous préparez depuis un certain temps à votre dernière exposition au FADA. Quel domaine allez-vous explorer ?
BS : Lors de mon exposition finale obligatoire, je présenterai un dessin, quelques vidéos et un environnement sculptural que j’espère développer davantage en me concentrant principalement sur la vidéo et la sculpture. Une conversation que j’ai eue avec moi-même est révélée par un marquage non représentatif. Il s’agit de l’exploration du phénomène selon lequel le réseau internet peut être assimilé à un processus de pensée étant donné que tous deux sont reliés par les pensées et les idées. Pour représenter des interfaces digitales en 3D, j’ai utilisé de l’emballage à bulles. Il en est ressorti un sujet, à savoir la façon dont l’information peut créer quelque chose d’organique et de malléable. Cela provient aussi de mes recherches en nanotechnologie et de l’idée que l’ADN est un code numérique.
KM : Votre installation vidéo est une téléportation viscérale dans la genèse d’une Afrique du Sud démocratique. Dans quelle mesure l’avez-vous utilisée comme point de départ pour saisir les idéologies qui ont émergé depuis ?
BS : Au travers de la vidéo, j’essaie de recréer la scène de la grotte issue de la célèbre musique vidéo de Vicky Sampson, My African Dream. La reproduction de nuances médiévales dans la vidéo de Sampson me permet d’introduire des épisodes de rêves sur lesquels j’ai déjà travaillé. Cette œuvre est une réflexion sur l’idée de la conscience nationale au milieu des années 1990. Depuis 1994, on peut quasiment superposer les intérêts des présidents sud-africains et la conscience nationale. L’héritage de Nelson Mandela est bien enraciné dans l’idée d’un rêve africain. Comme dans la chanson de Sampson, la culture pop s’en est inspirée. Pendant le mandat de Thabo Mbeki, le discours d’une renaissance africaine a assisté à l’émergence d’un afro-centrisme au travers de la musique, des rencontres culturelles en centre-ville, des vêtements et des magazines. Bongo Maffin, Horror Cafe, Sun Goddess et Y Mag en constituent quelques exemples. Si vous avancez jusqu’à la présidence actuelle de Jacob Zuma, vous constaterez une atmosphère de pessimisme moins euphorique à la suite des restrictions liées à la mobilité sociale au travers du péage routier et de l’utilisation de l’argent des contribuables pour construire une résidence luxueuse pour le chef de l’Etat. C’est là que nous en sommes arrivés aujourd’hui.
Si vous voulez en savoir plus sur Bogosi Sekhukhuni : http://bogosisekhukhuni.tumblr.com/ & http://www.cussgroup.com/blog/
Kagiso Mnisi est auteur et producteur culturel à Johannesbourg, Afrique du Sud. Il est aussi co-fondateur de la fondation “Unity Creative Development Foundation“ qui organise des cours dans le domaine médiatique et numérique dans les zones péri-urbaines de Johannesbourg.
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