La première AFiRIperFOMA Biénnale a lieu à Harare: C& s'entretient avec le directeur artistique et performance artiste Jelili Atiku.
C& : Parlez-nous un peu de votre voyage artistique. Quand et comment a-t-il commencé ?
Jelili Atiku : J’ai suivi une formation dans la splendide école des beaux-arts Zaria Art School – Ahmadu Bello University, dans le nord du Nigeria. J’y ai suivi des cours de sculpture et j’ai obtenu ma maîtrise en Arts visuels à l’Université du Lagos. C’est pendant mes études que j’ai ressenti le besoin de me servir de mon corps comme moyen d’expression. C’est à cette époque que j’ai commencé à faire des performances. C’était en 2005.
C& : Quelle a été votre première performance ?
JA : C’était à l’Université de Lagos. La performance était intitulée Ewawo – The Prisoner (ewawo signifie en yoruba viens et vois). A ce moment-là, je faisais des recherches sur l’état des prisons au Nigeria et sur le système pénal. Pendant ma performance, j’ai essayé de reproduire la situation des prisons au Nigeria en utilisant des matériaux de l’université tels que des cadres de lit en métal avec lesquels j’ai construit une sorte de cellule. En 1998, j’ai visité une prison nigérienne pendant mon service. Cette expérience a nourri en moi un sentiment de protestation qui a abouti à une campagne en faveur de réformes dans les prisons du Nigeria.
C& : Pourquoi pensez-vous que la performance joue un rôle important dans l’art africain ?
JA : Si vous considérez l’histoire de l’Afrique, la culture artistique est une culture de la performance. Toutes les sculptures et autres productions culturelles… la plupart d’entre elles ont été créées pour la performance. Cette approche a été abandonnée quand les Européens sont arrivés pendant la colonisation; ainsi, les œuvres matérielles ont été séparées de la performance. Ensuite, les Africains ont, en quelque sorte, perdu la confiance nécessaire pour les réunir. Les artistes modernes n’ont pas eu et n’ont toujours pas cette confiance; ils ne considèrent pas la performance comme une forme d’art, comme une forme dont ils se sont en fait écartés. Nous sommes donc en train d’essayer de la réactiver en accueillant la Biennale!
C& : Comment décrivez-vous votre approche de la performance ?
JA : Dans la plupart de mes performances, j’utilise la méthode Egungun. Généralement, Egungun est traduit par mascarade, mais ce terme ne saisit pas toute la signification d’Egungun. Dans cette méthode, le corps est essentiel. De nombreux autres objets sont portés ou emballés autour du corps; il y a beaucoup d’action; cela peut se produire sur fond théâtral ou musical, dans les contextes les plus divers. En fait, la performance Egungun ne connaît aucune limite; elle peut s’étendre à la littérature, au théâtre ou à tout autre domaine. Il s’agit d’une performance de type africain qui a pris naissance chez les Yoruba et dans d’autres tribus d’Afrique.
C& : Donc vous souhaitez la raviver, la réactiver, comme vous dites ?
JA : Elle est encore largement pratiquée ! J’essaie juste de dire que l’art de la performance en tant que tel est profondément enraciné dans notre culture. Et pourtant, de nombreux artistes africains ne l’exercent pas.
C& : Quand avez-vous décidé de réactiver l’art de la performance dans le cadre d’une biennale ?
JA : L’année passée, j’ai beaucoup voyagé sur le continent; j’essaie de présenter mes performances dans la plupart des endroits où je me rends, dans les villes africaines. J’observe les réactions des gens : « Tu travailles comme un Européen; c’est une pratique européenne ! ». Cela m’a surpris. Je leur ai expliqué que ce genre de travail existe dans leur propre culture. C’est juste une façon de ré-interpréter notre propre langage visuel comme cela se fait en Europe ! Il n’y a donc pas de différence. J’ai décidé que maintenant, le moment idéal était venu pour mettre sur pied une rencontre de, disons, cinquante artistes performeurs qui se retrouveraient en Afrique au même moment. Cela nous permettra d’avoir une influence sur la scène artistique. J’espère que les gens comprendront bientôt que l’art de la performance fait partie de nous.
C& : Quand en avez-vous eu l’idée ?
JA : J’ai eu l’idée de la biennale avant les Rencontres des Arts Visuels de Yaoundé (RAVY 2011), au Cameroun, mais c’est pendant cet événement que nous avons vraiment commencé à en discuter. J’ai fait une performance lors de ces rencontres; d’autres artistes africains étaient également présents. Après ma performance, certains d’entre eux ont commencé à poser des questions et une véritable discussion a eu lieu. Quelqu’un a dit, par exemple, que ma performance ressemblait à un rituel et que c’était le genre de choses contre lesquelles ils faisaient campagne. Ma réponse a été : « Quel est l’élément ritualisé dans l’art ? ». Il ne savait pas quoi répondre. Et c’est ainsi que l’idée d’une biennale est née, une biennale où des artistes performeurs auraient l’occasion de mettre au défi les idées reçues et le statu quo.
C& : Et pourquoi avez-vous opté pour une biennale plutôt que pour un festival par exemple ?
JA : Nous avons créé une biennale parce que nous voulions organiser l’événement de façon régulière, tous les deux ans. Elle ne va pas se produire toujours au même endroit. L’événement va se déplacer selon un système de tournante. Cette fois, la biennale aura lieu à Harare, au Zimbabwe; la prochaine sera organisée dans un autre pays. Nous aurons besoin d’un intervalle de deux ans pour nous préparer. Il faudra aussi consacrer beaucoup de temps à la documentation étant donné que l’art de la performance est éphémère et empreint dans la mémoire.
C& : Vous avez dit que vous alliez filmer les performances? Il est terriblement important de constituer des archives, n’est-ce pas ?
JA : Oui, en effet. Nous avons une équipe de documentation chargée des vidéos et de la rédaction. Tout sera documenté. Il y a peu de documentation en Afrique. Afin de préserver et de montrer l’histoire de l’art sur le continent africain, nous voulons éviter de faire cette erreur.
C& : Vous allez organiser la biennale sans aucun financement, ce qui est vraiment surprenant et courageux. Comment allez-vous assurer le travail d’organisation dans ces conditions ?
JA : Mettre sur pied une biennale sans financement est complètement fou. C’est là un avantage de l’Afrique : il y existe ce qu’on appelle un effort communautaire, c’est-à-dire que tout le monde aide tout le monde. Nous essayons d’adopter cette méthode. Nous avons demandé aux participants de chercher à se financer eux-mêmes. La plupart des orateurs seront, par exemple, financés par leurs propres institutions ou associations. Et puis il y a aussi la galerie First Floor Gallery Harare qui met son espace à notre disposition et il en va de même pour la University of Zimbabwe. En outre, le Goethe Institut soutient le segment d’exposition de vidéos. Certaines personnes sont d’accord pour payer leurs frais de déplacement et de voyage. La seule chose que nous devons faire en fait, c’est fournir des boissons lors de l’ouverture, imprimer le programme et couvrir les frais administratifs. Certains d’entre nous, en qualité de volontaires, ont donné leur accord pour contribuer à ces frais.
Comme vous le savez, le système financier hyper-capitaliste dans lequel nous vivons ne reconnaît pas le débutant. Après cette biennale pionnière, nous chercherons des opportunités de sponsoring. Lors de la prochaine biennale, je suis certain que nous aurons de nombreux sponsors.
C& : Partagez-vous les idées des artistes à l’affiche ?
JA : Je me suis complètement fié à mes relations. Tout le monde est enthousiaste au sujet de l’Afrique. En dépit du manque de financement, ils veulent quand même venir. J’en suis vraiment très heureux. J’ai reçu des courriels de personnes qui voulaient participer sans même avoir été invitées. Nous restons ouverts et ne procédons à aucune sélection. Nous avons décidé de proposer aux artistes qui n’ont pas pu financer leur participation de filmer leur travail et de le montrer pendant la biennale en support visuel ou encore de leur donner l’occasion de présenter leur oeuvre via skype.
C& : Avez-vous choisi un thème principal pour cette biennale ?
JA : Nous n’avons donné aucune directive aux artistes performeurs. Ils sont libres de travailler en fonction des perspectives les plus diverses : la mémoire, l’identité, etc. Ma propre performance traitera, par exemple, de la législation sur l’immigration en Afrique, des procédures qu’il faut suivre en tant qu’Africain pour obtenir un visa afin de voyager en Afrique et ce en dépit de l’existence de l’Union africaine. Mon objectif est donc de discuter de cela. Cependant, le titre général de la biennale sera “Mnemonic”. Une mnémonique est un procédé utilisé pour aider la mémorisation d’idées et de sujets – une aide à la mémoire humaine. Le titre doit être compris comme une allégorie de la dimension puissante et multiple de l’histoire ancienne et contemporaine du continent.
C& : Quels sont vos espoirs quand au changement que pourra apporter la biennale sur la scène artistique africaine ?
JA : Le rêve est de faire comprendre aux gens que la pratique de l’art performatif fait réellement partie de leur propre héritage et qu’ils doivent en être fiers. Dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur en Afrique par exemple, à l’exception de l’Afrique du Sud, l’art contemporain de la performance ne fait pas partie du cursus. En réalité, cette forme artistique vient d’Afrique, elle est née ici, nous devrions essayer de l’apprécier et de la reconstruire.
La 1ère Biennale AFiRIperFOMA : Contemporary Performance/Live Art Festival in Africa
08 NOVEMBRE 2013 – 22 NOVEMBRE 2013, Harare et Bulawayo, au Zimbabwe.
Le programme:
La Biennale est comprise d’un programme in et off offrant des ateliers pour artistes performeurs futurs. Ce programme présente également des expos qui documentent les travaux ultérieurs d’artistes performeurs sélectionnés, lors d’ateliers, de symposium/projection sur la pratique de la performance en Afrique et d’un festival de performance artistique. Découvrez le programme complet ici.
.
Propos recueillis par Aïcha Diallo
More Editorial