En conversation avec Ibrahima Thiam

«  Une façon de remettre cette mémoire collective en marche  »

Le jeune photographe Ibrahima Thiam s'entretient avec C& sur sa Collection Photo Souvenir.

«  Une façon de remettre cette mémoire collective en marche  »

Collection Photo Souvenir © Ibrahima Thiam

C&  : Vous vous désignez comme autodidacte. Comment avez-vous entamé ce parcours  ?

Ibrahima Thiam  : Je suis autodidacte dans ce domaine d’expression. J’ai commencé à pratiquer la photo de manière artistique et professionnelle suite à un atelier organisé par le Goethe Institut durant le Mois de la Photo à Dakar. C’est de là que date la naissance de mon intérêt pour la photographie dans ce domaine.

C&  : Parlez-nous en quelques mots de votre démarche artistique  : quels en sont ses fondements, son style et sa vision  ?

IT : Motivée par ma passion de la photo, ma démarche artistique inclut, d’une part, une approche documentaire incarnée par une écriture photographique sur la vie de l’Homme et, d’autre part, une approche artistique qui consiste à dessiner et peindre avec la lumière. La photographie me permet d’exprimer un point de vue, une perspective visuelle, de partager mon intuition et ma sensibilité.

Meïssa Gaye StudioTropical Photo Saint Louis, courtesy: Ibrahima Thiam

Meïssa Gaye, Studio: Tropical Photo Saint-Louis, courtesy: Ibrahima Thiam

C&  : Votre travail actuel se focalise sur les archives photographiques provenant de votre collection privée, familiale. Comment s’est faite cette découverte  ?

IT : Développant une curiosité pour les choses du passé, je suis très tôt plongé dans les albums de famille. J’ai cherché à cerner les émotions de ces êtres figés sur le papier jauni qui font partie de ma famille.La photo a toujours été pour moi une passion de jeunesse. Ce n’est qu’avec le temps que j’ai découvert que c’est de l’art, le plus grand des arts. Cela fait 18  ans que je collectionne des photos familiales, avant même de pratiquer la photographie. Ma grand-mère teinturière a toujours collectionné des portraits  : vu que je m’intéressais à la collecte de tirages de photos, elle m’en a offert certains et j’en ai acheté d’autres par des connaissances.

C&  : Dans votre collection s’intitulant Collection Photo Souvenir, vous avez des tirages de photos précieuses, allant de Mama Casset à Meïssa Gaye jusqu’à Oumar Ka et bien d’autres. Comment décririez-vous ces œuvres, comme patrimoine esthétique, historique et social  ?

IT : Ces œuvres, par les informations qu’elles transmettent sur les modes de vie et les goûts qui avaient cours durant les années concernées, par leur qualité artistique aussi, constituent un véritable patrimoine artistique, social et historique. Elles constituent aussi un témoignage irremplaçable de cette période clé de l’histoire de la photographie africaine qui a vu, entre la fin de la seconde guerre mondiale et le milieu des années  1980, le triomphe et le déclin d’un art du portrait en noir et blanc. Ces artistes étaient les photographes de leur peuple et de leur milieu, ils avaient des approches très intéressantes du portrait. Ils apportaient une esthétique lors de leurs séances de pose, ils allaient au terme de leurs désirs et de leurs expériences. Leurs œuvres sont les témoins d’un peuple, de sa diversité, de sa créativité, de son imagination  : en un mot de sa modernité.

Mama Casset Studio African Photo Gnias M.Casset DakarMedina, courtesy: Ibrahima Thiam

Mama Casset, Studio: African Photo Gnias M.Casset Dakar Médina, courtesy: Ibrahima Thiam

C&  : Dans quelle mesure cette photographie légendaire traduisait une forme émancipatrice d’autoreprésentation africaine de cette période  ? Que dit le passé sur le présent  ?

IT : Parmi tous les médiums de création, des arts scéniques aux arts plastiques, de la mode à la littérature, du cinéma à la danse, la photographie s’est très vite révélée un des premiers éléments visibles de cet engagement à ouvrir le mouvement des formes africaines contemporaines au monde entier.  En Afrique de l’ouest, la profession s’est d’abord développé dans les villes côtières. A Lagos, dés les années 1880, apparaissent les premiers studios professionnels tenus par des Sierra Léonais, des Libériens et ensuite des Ghanéens. La réglementation de la photographie sous les différentes colonisations a certes limité le champ d’action des photographes africains. Ce que dit le passé sur le présent, lorsque l’on étudie certains aspects de l’histoire de la photographie, j’essaie de m’en servir pour mettre en lumière l’histoire de la société contemporaine, afin de démontrer par un exemple concret, les relations qui rendent les expressions artistiques et la société dépendantes l’une de l’autre, et comment les techniques de l’image photographique ont transformé notre vision du monde. La tradition ne doit pas être oubliée, elle doit avoir existé pour redonner vie à la contemporanéité.

C&  : La focalisation sur les archives trouve un grand écho dans le domaine artistique. Comment définissez-vous l’archive comme approche, concept  ? 

IT : L’archive est une composante essentielle de toute forme de travail. Si l’archive n’est pas activée, on peut légitimement se demander à quoi elle sert. Le but de l’archive est double  : collecter et conserver, mais aussi instruire et éveiller. Les archives privées ou publiques sont très peu nombreuses voire inexistantes, souvent dispersées, et surtout très mal conservées. La préservation et la conservation de la collection africaine permet d’éclairer le rôle historique, social et spirituel de la photographie en Afrique.

Salla Casset Studio Senegal SN Casset Dakar Médina, courtesy: Ibrahima Thiam

Salla Casset, Studio: Senegal SN Casset Dakar Médina, courtesy: Ibrahima Thiam

C&  : Concernant votre collection, que comptez-vous faire  : l’élargir, en faire don à une fondation, etc., ou même en fonder une (une structure, pour l’abriter)  ?

IT : Pour le moment, je veux élargir la collection, qui est un moteur de recherche pour les artistes, critiques et historiens;mon travail sur la préservation et la conservation de cette collection pallient l’absence de lieux référentiels de l’art (musées, photothèques) et permettent aux étudiants en art, aux chercheurs d’accéder à une connaissance sur l’histoire de la photographie au Sénégal. Cette collection est une passion et une méthode pour moi, visant à faire connaître le travail de ces précurseurs de la photographie puisque j’ai la chance de conserver leur travail. J’aurais trouvé injuste vis-à-vis d’eux de pouvoir acquérir leurs travaux et de les conserver dans des tiroirs. Pour de nombreuses générations, ces photos existeront  : c’est une façon de remettre cette mémoire collective en marche.

C&  : Qu’est-ce-que vous allez présenter dans le cadre de Dak’Art OFF  ?

IT : Dans le cadre de Dak’Art OFF, je compte présenter à la librairie Athena la série  L’Usure du temps et la série Reflet, montrer et partager la réalité invisible.

Oumar Ka Studio Oumar Ka Touba, courtesy: Ibrahima Thiam

Oumar Ka, Studio: Oumar Ka Touba, courtesy: Ibrahima Thiam

Ibrahima Thiam, photographe autodidacte, est né à Saint-Louis du Sénégal en 1976. Thiam a une approche journalistique incarnée par une écriture photographique sur la vie de l’Homme.

Du 9 mai á 8 Juin 2014 Ibrahima Thiam montre ses série Reflet et L’Usure du temps à la librairie Athéna dans le cadre de Dak’Art OFF.

Librairie Athéna
33, Rue Jules Ferry
Dakar, Sénégal

www.librairesfrancophones.org

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Propos recueillis par Aïcha Diallo

 

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