Louise Thurin discute avec le cofondateur et photographe pour revenir sur l'histoire et l'importance de l'initiative lancée en 2018.
À l’aube de sa troisième édition prévue pour octobre 2023, la première biennale dédiée à la sculpture contemporaine sur le continent africain fête sa pérennité. Celle qui fît face aux aléas des premières fois, à ceux d’une pandémie et d’un coup d’État annonce son prochain thème, le Feu des Origines, emprunté au titre du livre du congolais Emmanuel Dongala. Ainsi, BISO réitère son objectif de réunir au cœur de la capitale burkinabée, pour une résidence suivie d’une exposition, un groupe d’une vingtaine d’artistes de tout le pays, de la région et d’ailleurs. Une affirmation renouvelée que les capitales africaines sont, elles aussi, des « xenopolis » (Simon Njami), des zones franches, réceptacles du Monde et émettrices d’un universel propre et partagé.
Contemporary And : Pourquoi fonder une biennale de sculpture au Burkina Faso et soutenir particulièrement ce médium au sein de la création contemporaine d’Afrique ?
Nyaba Léon Ouédraogo : La genèse de BISO s’est initiée au fil de conversations avec mon ami Christophe Person, spécialiste du marché de l’art moderne et contemporain d’Afrique, de retour des Rencontres africaines de la photographie de Bamako 2018. Nous voulions créer à notre tour un événement distinct de ceux existants sur le Continent. Mettre en avant la sculpture a été pour nous une évidence : les initiatives spécifiques à ce médium sont très peu nombreuses, alors même que la sculpture (lithique, textile, performée…) est fondamentale et emblématique des africanités, de leurs esthétiques et rituels. Elle a été le premier passeport artistique des espaces subsahariens dans le monde – et nous faisons l’amer constat que ses contemporanéités et ses futurs sont moins visibles aujourd’hui.
Nous avons choisi d’implanter cet événement à Ouagadougou où les sculpteur·rices sur bronze, bois et granit sont nombreux. Mon souhait premier était de créer un dialogue entre la pratique contemporaine des artistes en résidence et celle ancestrale, bien qu’actualisée, des bronziers du quartier de Dapoya où je vis. Nous nous situons au cœur d’une capitale culturelle africaine, brillante par son Fespaco et ses quartiers d’artisan:es, mais pâtissant de l’absence actuelle d’une école d’art dans le pays. Pour les personnes burkinabées et africaines qui participent à la Biennale, BISO est parfois leur première résidence de création. Notre travail prend alors une dimension formative et nous apportons des réponses directes à leurs interrogations : comment renforcer un dossier de candidature, comment appréhender les mécanismes de l’écosystème globalisé de l’art, que mettre – de soi et de son œuvre – en avant auprès des journalistes, des galeristes et des commissaires…
C& : Quel est le contact qu’ont les artistes en résidence avec les artistes, artisan·es et ateliers de la métropole ouagalaise ?
NLO : C’est une ébullition. La sélection des artistes de Ouagadougou pour la Biennale travaillent jour et nuit dans leurs ateliers pour montrer le meilleur de leur création, tout en gardant leur porte ouverte à tout artiste international·e curieux d’échanger. Je me rappelle lors de la dernière édition du sculpteur mauritanien Oumar Ball sauter à l’arrière d’un taxi-moto pour aller négocier ses tôles, accompagné de Wakirou Sienou, sculpteur du Centre d’artisanat d’art de Ouagadougou… BISO n’est pas un événement exogène à la ville. La Biennale maille Ouaga, se déroule dans et avec son cœur : la population et ses centres névralgiques de production, de commerce et de création.
C& : Tenir une biennale d’art dans un pays et une région en guerre contre le terrorisme, subissant des coups d’État militaires successifs, est un accomplissement significatif. Quel est le message envoyé ?
NLO : Quand nous cherchons avec Christophe des mécènes pour la Biennale, nous nous heurtons invariablement à de vives résistances. Nous martelons : « C’est maintenant que le Burkina a besoin de ses partenaires artistiques et culturels ! » Nous tâchons d’être présents par notre sensibilité dans la lutte contre l’obscurantisme et d’occuper ainsi le terrain, de le rendre fertile. N’est-ce pas cela la noblesse de l’art ? Nous sommes, nous aussi, au combat – différemment. BISO se fait l’appui de l’ensemble des sculpteur·rices, qu’elles :ils soient artisan·es de la région ou artistes du Sahel précarisé·es par les conflits, personnes afrodescendantes ou issues ou non des diasporas souhaitant approcher de près les savoir-faire du Continent mis en péril. La Biennale s’efforce d’être un espace où les dialogues interculturels sont possibles et où la production de la pensée artistique est vitalisée. Notre objectif est de questionner une Afrique en mutation : jeune, nationaliste, urbanisée, néocoloniale, religieuse, hybride, en conflit… Nous souhaitons explorer, interroger, déconstruire et enfin, donner forme. Nous sommes des tresseur·ses de cordes, des faiseur·ses de lien, ni passéistes, ni fondamentalistes·: nous créons de l’inconfort – et tant mieux !
C& : BISO 2019 et 2021 ont joui d’un prestigieux jury panafricain composé de Soly Cissé (Sénégal), Abdoulaye Konaté (Mali), Barthélémy Toguo (Cameroun), Jean Servais Somian (Côte d’Ivoire) et Ky Siriki (Burkina Faso). Quel est le rôle de celui-ci ?
NLO : Le jury joue un rôle d’inspiration, d’appui et de transmission intergénérationnelle auprès des artistes en résidence. Il est composé d’amis artistes qui partagent tous comme moi l’envie de réinvestir et de réinventer l’avenir du Continent : Barthélémy avec Bandjoun Station, Konaté avec Ségou’Art, Ky Siriki avec le Symposium de sculpture de Laongo… Ils sont présents une à deux semaines sur place en fin de résidence pour donner en partage leur temps, leur vision et leur expérience – et, presque anecdotiquement, décerner les différents prix de la Biennale.
C& : En 2021, BISO choisissait de mettre en avant l’Aventure ambiguë (1961) de l’auteur sénégalais Cheikh Hamidou Kane et en 2023, cela sera au tour du livre du congolais Emmanuel Dongala Le Feu des origines(1987). Pourquoi choisir de mettre en avant pour la seconde fois une œuvre du corpus africain ?
NLO : Avec Christophe, Louise et Florence Conan, nous ne voulions pas formuler pour BISO de thématiques creuses. Nous poursuivons une complexité, une densité, une profondeur et pour ce faire, nous puisons communément notre inspiration dans la littérature. Centrale dans la diffusion des pensées continentales, la littérature africaine a beaucoup à apporter aux arts d’Afrique. Ces deux recherches connexes se nourrissent – et j’ai la plus grande joie d’inviter les artistes-candidat.e.s à plonger dans la profondeur de l’énigme du livre d’Emmanuel Dongala et à formuler des propositions fortes pour notre troisième édition. Qu’elle soit la plus belle !
Pour plus d’informations, notamment à propos de l’appel à candidature pour BISO 2023, consultez l’Instagram de la Biennale.
Nyaba Léon Ouédraogo est né à Bouyounou au Burkina Faso en 1978. Photographe, il partage sa vie entre Paris et Ouagadougou. Récompensé par le prix de l’Union européenne aux Rencontres africaines de la photographie de Bamako, Nyaba Ouédraogo est finaliste du Prix Pictet 2010 et lauréat des Résidences Photoquai Musée du Quai Branly 2013. Avec Christophe Person, il a cofondé en 2018 la Biennale Internationale de Sculpture de Ouagadougou (BISO).
Louise Thurin est une auteure, conférencière et professionnelle du marché de l’art basée à Paris.
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