Our author Magnus Rosengarten met organizer and curator Ezra Wube and artist Martha Haile for a conversation about the Addis Video Arts Festival.
Au début de cette année, la seconde édition de l’Addis Video Arts Festival (AVAF, Festival d’arts vidéo d’Addis-Abeba) s’est ouverte avec un programme éclectique riche de sept cents œuvres au total. Les créations sélectionnées ont répandu une atmosphère cosmopolite sur l’ensemble de la capitale éthiopienne. Les vidéos étaient projetées dans toute la ville, dans des galeries, sur des panneaux commerciaux et dans des petits kiosques. En devenir perpétuel, le paysage urbain d’Addis-Abeba a servi d’inspiration à l’AVAF de cette année, et lui a donné son titre : NEW HOME.
J’ai rencontré l’organisateur et curateur Ezra Wube et l’artiste Martha Haile pour nous entretenir sur les origines du festival, ses objectifs futurs et le rôle de l’artiste dans cette ville soumise à des changements si rapides.
Magnus Rosengarten : Quelle œuvre avez-vous choisi de présenter à l’Addis Video Arts Festival ?
Martha Haile : C’est une collaboration entre un artiste allemand et moi-même, intitulée « You cannot eat money » (L’argent ne se mange pas), faisant référence à l’idée amérindienne qui veut que l’on honore nos ressources naturelles. Vous savez, le poème « Until the last river has been polluted… » (Quand ils auront pollué la dernière rivière…).
Dans la vidéo, nous mangeons effectivement de l’argent, illustrant par là même le combat de la vie quotidienne. C’est une critique de l’ordre du monde capitaliste dans lequel nous vivons.
MR : Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec la vidéo ?
MH : Tout d’abord, la vidéo me permet de recueillir des informations ; parfois, je l’utilise pour des installations. Elle me donne aussi la possibilité de montrer des travaux à divers publics, de communiquer avec la communauté internationale plus large. Par exemple, un travail qui n’a pas été retenu pour le festival traite de la démolition de mon quartier, ici à Addis-Abeba. Je l’ai tourné pendant cette période de xénophobie dévastatrice qu’a connue l’Afrique du Sud en 2014, au cours de laquelle plusieurs immigrés africains ont été tués. Mais je souhaitais aborder les tueries brutales de l’EI, ainsi que les innombrables réfugiés qui se noient dans la mer Rouge. J’étais effrayée par le monde qui m’entourait à ce moment-là et j’ai choisi le pipi comme la métaphore à partir de laquelle travailler dans cette vidéo. Comment vais-je agir dans ce monde ? Comme une femme, une femme noire ? Telles étaient les questions qui me préoccupaient. J’ai décidé de faire pipi dans les rues. Si vous regardez autour de vous à Addis-Abeba, c’est généralement plus facile pour les gars d’uriner dans les rues. Je portais un caleçon blanc et une chemise blanche. Je me tenais simplement debout dans les rues et j’ai attendu une heure. Pendant ce temps, j’ai bu de la bière et de l’eau. C’était très difficile de contrôler mon corps puis, plus tard, de me laisser aller et de faire pipi. Je voulais montrer comment le corps lutte contre divers processus et événements.
MR : Pourquoi pensez-vous que l’Addis Video Arts Festival est important par les temps qui courent ? Pourquoi est-il particulièrement important pour les artistes éthiopiens ?
MH : Je pense qu’avec ce médium, les artistes éthiopiens en particulier ont l’opportunité de communiquer avec le monde de l’art. Actuellement, nous essayons de trouver des médias avec lesquels nous pouvons illustrer nos idées de façon adéquate.
MR : Ezra, comment l’idée de l’Addis Video Art Festival est-elle née ?
Ezra Wube : Cela s’est fait naturellement. J’ai toujours voulu faire quelque chose en Éthiopie parce que je vis aux États-Unis. J’ai essayé divers projets, des résidences, par exemple. Mais pour cela, il me fallait passer beaucoup de temps à Addis-Abeba. Puis l’idée d’un festival de vidéo est venue parce que j’avais déjà participé à plusieurs festivals de ce type. J’aime la générosité de ce médium, l’idée globale de partage et sa relation au public.
MR : Quelle est la pertinence de ce festival à Addis-Abeba ?
EW : Je pense que les médias numériques sont une très grande source d’inspiration, et il existe des quantités de festivals de par le monde. Mais il n’en existait aucun ici. Et il y avait un réel besoin. En tant qu’artistes, c’est tellement formidable de pouvoir être à un endroit tout en montrant nos travaux simultanément en divers lieux. Les médias numériques sont devenus si accessibles qu’il est possible de faire des films à partir d’un téléphone et de les partager librement. Je suis aussi passé à la vidéo, alors que, à l’origine, je viens de la peinture. Finalement, je me suis dit : « Pourquoi faire des objets tout le temps ? » Le festival s’est monté et j’ai demandé à des amis s’ils voulaient y participer et nous avons mis en place notre premier appel d’offres.
MR : Comment avez-vous décidé du thème de cette édition ?
EW : Au départ, je ne voulais pas imposer de thème. Mais un de mes amis m’a incité à en donner un au festival. Nous avons opté pour « New Home », en relation avec Addis-Abeba, et parce qu’il y a tant de chantiers ici. Cela faisait écho à l’idée de mobilité. En ce moment même, un quart de ses habitants sont en train d’être replacés. On assiste à un mouvement et un ajustement à la nouveauté. Chaque artiste pouvait l’interpréter comme il le voulait, bien entendu, que ce soit de façon littérale, poétique, scientifique, au choix. Sans oublier le monde numérique que peut également recouvrir l’intitulé « New Home ».
MR : Comment situez-vous le rôle de l’« art vidéo éthiopien » actuellement ? Aussi en rapport avec les critères occidentaux ?
EW : Je pense que les choses sont amenées à changer en permanence. Plus vous êtes cohérent, plus il existe un potentiel pour le marketing. Les exigences du marketing. Même pour moi, par exemple, ce qu’Addis-Abeba représente est très complexe, très déroutant. Car il existe l’Éthiopie et l’Afrique en tant que lieux géographiques ou tout simplement imaginaires. Personnellement, je pense que chaque individu a une relation à un lieu, une culture ou des objets personnels. Cela fait partie de notre constitution. C’est ce que l’Afrique représente pour moi. Il n’y a pas de ligne de démarcation nette. Si c’était un objet, cela serait logique, mais nous sommes des êtres vivants, nous changeons. Nous oublions les choses. Nous accumulons des choses en permanence. Mais une fois encore, le marché exige et les artistes sont obligés de rester cohérents ou de s’adapter aux exigences du marché ou à ses manipulations.
MR : Je pense à l’instant que la narration est un aspect aussi très puissant de l’art vidéo. Qu’elle soit abstraite, fragmentaire ou cohérente. Depuis votre perspective, quelles histoires racontez-vous avec ce médium ?
EW : Mon travail s’inscrit beaucoup dans le passé. Je trouve l’inspiration à partir du quotidien mêlé à des éléments autobiographiques, des choses que j’ai vécues. En ce moment, je travaille sur un projet traitant de l’Éthiopie des années 1980, relié à mes souvenirs personnels, la culture dans laquelle j’ai grandi, les émissions de télé que nous regardions. Je n’aspire pas à la représentation mais manifestement, il existe un mysticisme autour de l’exotique, de nos conceptions d’autres cultures, il existe toujours une curiosité, un intérêt. J’essaie d’être aussi honnête que possible et de montrer des choses vraies à mon sujet. Mais là encore, c’est une expérience limite, car ce qui est personnel est politique et le politique, personnel.
MR : Pour terminer, je souhaiterais que vous nous donniez votre point de vue sur les sujets ou les conflits qui touchent les artistes éthiopiens en ce moment à Addis–Abeba ? Que constatez-vous ?
EW : Une ouverture d’esprit envers les idées et les échanges, la communication aussi. C’est ce que je souhaite atteindre avec l’Addis Video Art Festival, entre les mondes et les cultures dans lesquels nous vivons. Nous avons fermement l’intention de créer ce type de plateforme. Imaginez une personne en Sibérie avec les mêmes questions ou frustrations. Je veux refléter la condition humaine, et ce, à 360 degrés.
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Magnus Rosengarten est réalisateur de films, écrivain et journaliste venant d’Allemagne. Il vit à New York où il fait son Master en études performatives à la NYU.
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