Dominic Muwanguzi s'entretient avec l'équipe du festival d'art contemporain KLA ART 014: Violet Nantume, manager de projet at 32⁰ East; Phillip Balimunsi, artiste; Moses Serubiri, critic d'art; Robinah Nansubuga, manager de projet 32⁰ East; et Hasifah Mukyala, la galerie Makerere Art.
Dominic Muwanguzi : Comment vous est venu le thème « Unmapped » pour cette édition du KLAR ART ?
Violet Natume : Parmi les jeunes villes africaines en développement, nombreuses sont celles qui s’intéressent à la modernisation et à l’urbanisation. Ces questions ont insufflé une vague de changements sociaux faisant suite à certaines décisions politiques prises dans des centres urbains. Intuitivement, les habitants d’une ville, ou de tout lieu affecté, n’ont d’autre choix que de s’adapter à ces métamorphoses rapides, afin de pouvoir survivre dans un environnement qui ne reconnaît pas leur participation. Cela peut se traduire par l’application d’une nouvelle méthode de travail au système, soit un « relookage ».
Philip Balimunsi : Avant de développer la thématique, nous avons commencé par examiner les réalisations de KLA ART 012. Nous avons également tenu compte du rôle de l’artiste dans la ville en développement. Du reste, il existe un certain nombre d’artistes « unmapped », non répertoriés sur la carte – des artistes émergents et autodidactes. Les artistes qui participent à l’édition 2014 viennent de Kampala et d’autres villes africaines comme Nairobi, Addis Ababa, Kigali, Dar es Salaam et Kinshasa. KLA ART 014 leur offre une plate-forme pour s’exprimer.
Dominic Muwanguzi : Maintenant que le festival est reconnu comme la nouvelle voix de la scène contemporaine ougandaise, de quelle manière apporte-t-il sa contribution ?
Violet Nantume : Ici, le festival contribue principalement à documenter les œuvres. Car cette même documentation était, autrefois, bien maigre. Il n’est pas facile de transmettre l’histoire des expositions ou des festivals en Ouganda.
Robinah Nansubuga : Nous apportons une certaine pertinence à l’industrie qui tranche avec ce qui a été entrepris jusqu’à présent. Le curateur occupe un rôle qui n’est pas très apprécié des artistes. Notre présence sur la scène artistique locale convaincra peut-être d’autres jeunes artistes, d’autres critiques et directeurs artistiques de rejoindre le mouvement, ce qui encouragera davantage d’expositions et d’ateliers artistiques à refléter fidèlement et à développer l’industrie.
Dominic Muwanguzi : Pouvez-vous nous parler rapidement des lieux qui accueilleront le festival ?
Robinah Nansubuga : La gare de Kampala accueillera l’exposition du festival. Le bâtiment ré-ouvrira pour la première fois ses portes au public depuis l’arrêt du transport de passagers en 1992. Le projet « Boda Boda », consacré aux taxis motos boda boda – une des icônes de la vie de Kampala –, fera 28 escales autour de Kampala, y compris dans des lieux publics et dynamiques tels que Monument Square et Owino Market.
Violet Nantume : Les endroits sélectionnés sont des lieux de rencontre pour le public et des lieux que l’on pourrait qualifier de « neutres » puisqu’ils attirent des visiteurs du pays tout entier. En plus, la gare de Kampala et le Owino Market sont vraiment au cœur de l’économie ougandaise, même s’ils ne sont pas une priorité pour le gouvernement. Si la ligne de chemin de fer n’a, par exemple, pas été entièrement exploitée depuis plus de 20 ans, c’est sans doute parce que le gouvernement n’a pas reconnu son importance. Aujourd’hui il est en projet de ré-ouvrir cette ligne pour améliorer le réseau de transport dans Kampala. Ce nouvel intérêt pour la ligne de chemin de fer symbolise bien la carte qui se dessine devant nous. Présenter une exposition dans la gare rappellera au public la nécessité d’apprécier le développement et la maintenance des infrastructures de la ville. C’est précisément le rôle qu’occupent ici les artistes dans la ville.
Dominic Muwanguzi : D’où vient la nécessité de voir le festival organisé par des curateurs ?
Moses Serubri : S’il existe, aujourd’hui en Ouganda, un certain nombre de festivals artistiques, rares sont ceux qui sont organisés sous le patronat de commissaires d’exposition. La question est donc de savoir si la nécessité de confier un festival à un curateur n’est pas conditionnée par le fait que ce même commissaire d’exposition manque à l’appel. Il s’agit donc d’aider délibérément les gens à comprendre et à tisser un lien plus profond avec l’art. Nous voulons inscrire les œuvres dans un contexte.
Dominic Muwanguzi : La scène artistique contemporaine ougandaise tend actuellement à s’adresser aux expatriés et aux touristes. Pensez-vous que cette approche soit la bonne pour encourager l’industrie à se développer ?
Robinah Nansubuga : La meilleure façon d’encourager le développement de l’industrie est de ne pas compter sur un marché extérieur. Comme évoqué préalablement, la raison qui a motivé cette thématique, « Unmapped », est de pousser la communauté locale à s’engager dans le travail des artistes et non à acheter.
Violet Nantume : Dans le contexte du festival, nous cherchons précisément à faire évoluer la notion de production de masse et de production pour touristes. Pour répondre à cette tendance et trouver des réponses, le festival organisera un atelier destiné aux artistes et préparé par la Global Crit Clinic qui leur offrira un cadre pour questionner la création artistique, telle qu’elle mérite d’être questionnée. On pourra notamment y poser les questions de ce type : « Produire, oui, mais pour qui ? », « Ce matériau est-il celui dont j’ai véritablement besoin pour transmettre mon message ? » « Où puis-je exposer mon travail ?
Dominic Muwanguzi : Comment louer, sur le continent africain, les services de commissaires d’expositions plus professionnels, alors que les études menant à cette profession sont si dispendieuses ?
Violet Nantume : Je pense que la première chose à faire est de reconnaître ceux qui sont déjà en place, ceux comme nous, et de les inviter à des projets offrant l’espace nécessaire dont ils auront besoin. Mais il existe également certains programmes conçus à cette attention. Le Centre for Contemporary Art de Lagos propose chaque année un programme complet d’enseignement artistique appelé Àsìkò et destiné aux curateurs en herbe du continent. J’ai participé à l’un d’entre eux en mai 2013 et cela m’a encouragé à suivre un cours pour devenir commissaire d’exposition professionnelle. Ce type de plates-formes fournit un certain niveau d’apprentissage aux jeunes qui souhaitent apprendre la discipline.
Robinah Nansubuga : Je pense que nous devons tout d’abord comprendre le parcours emprunté par les curateurs qui ont choisi de quitter le continent pour rejoindre la diaspora. Ils sont partis représenter l’Afrique dans la diaspora, ce qui, au fond, n’est pas une mauvaise chose. En conservant des liens forts avec leurs origines, les curateurs pourront accroître leur représentation. La question se pose également d’adapter le programme aux universités du continent, comme Makerere, ce qui coûtera moins cher. L’institution pourrait développer un programme spécialement réservé aux jeunes commissaires d’exposition locaux qui se trouvent sur place.
Hasifah Mukyala : Je suis sûre qu’avec nos cinq voix nous pouvons influer sur la manière dont le programme de Makerere est enseigné. Il est en effet intéressant de constater que, bien que le cours s’oriente ouvertement vers le travail du commissaire d’exposition et l’histoire de l’art, celui-ci ne bénéficie pas de l’enseignement qu’il devrait recevoir. Peut-être qu’une réunion avec le doyen de la faculté pourrait aider à renverser la situation dans le bon sens. Peut-être pas dans le futur immédiat, mais plus tard.
Journaliste ougandais spécialisé dans les arts, Dominic Muwanguzi écrit pour New Vision, Daily Monitor, The Independent et Startjournal.org
KLA ART 014 – KAMPALA’S CONTEMPORARY ART FESTIVAL: 04 – 31 OCTOBER 2014, Kampala, Uganda.
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