Contemporary And : Vous avez récemment participé à la 59e biennale de Venise, où vous avez exposé dans le pavillon ghanéen. Quelle a été votre expérience et qu’est-ce qui a changé pour vous depuis ?

Na Chainkua Reindorf : Être parmi les artistes qui ont représenté le Ghana à la biennale de Venise est un honneur incroyable. Compte tenu du prestige de l’événement, c’était aussi une mission assez intimidante. Ma pratique fait appel à un large éventail de médiums et, en préparant ma proposition, je savais que si elle était approuvée, je souhaitais y intégrer des éléments immersifs ou interactifs. Réfléchir à la manière dont je pourrais adapter mon travail d’installation à un espace plus grand a représenté un défi créatif stimulant.

L’une des opportunités importantes de la biennale est de pouvoir rencontrer de multiples artistes d’Afrique et d’ailleurs, de discuter avec des commissaires d’exposition que j’admirais de loin. Ce degré d’accès est assez rare. Parler de mon travail et établir des contacts a été une partie inestimable de l’expérience. Depuis l’ouverture de la biennale, de plus en plus de personnes s’intéressent à mon travail et à ma pratique, et j’en suis extrêmement reconnaissante. Le corpus d’œuvres présenté fait partie d’un plus grand projet artistique à long terme sur lequel je travaillais depuis 2019, donc l’exposition a été formidable également pour permettre ce momentum.

Installation View Na Chainkua Reindorf: Up To No Good at Nubuke Foundation from 18 Nov 22 – 18 Feb 2023. Photo: Isaac Gyamfi. Courtesy of Nubuke Foundation.

C& : Votre exposition personnelle à la Nubuke Foundation d’Accra s’intitule Up To No Good. À quoi ce titre fait-il référence et quel est son rapport avec les œuvres exposées ?

NCR : Mon exposition à Nubuke s’inscrit dans la continuité de ce long projet. Ces œuvres racontent l’histoire d’une société secrète fictive de mascarade constituée de femmes, inspirée en partie par des figures féminines courageuses et intrépides issues de l’histoire d’Afrique occidentale. Je suis fascinée par la culture de la mascarade en Afrique occidentale et centrale et je réfléchis constamment aux moyens de l’utiliser comme une forme d’évasion. J’ai imaginé sept personnages fictifs de mascarade basés sur des idées de libération et de non-conformité. Les sept grandes peintures symbolisent chaque personnage, et les petites qui les accompagnent mettent en scène les différentes parties du corps qui représentent le mieux ledit personnage et forment un diptyque asymétrique. Le titre de l’exposition fait référence au fait que ces personnages ne sont pas nécessairement bienveillants ou sains. Ils sont en fait particulièrement indisciplinés et incarnent des manières d’être qui défient les idées stéréotypées liées à la féminité.

Installation View Na Chainkua Reindorf: Up To No Good at Nubuke Foundation from 18 Nov 22 – 18 Feb 2023. Photo: Isaac Gyamfi. Courtesy of Nubuke Foundation.

C& : Il est particulièrement intéressant d’observer le lien entre vos œuvres et les différents médiums. Dans vos peintures, vous faites référence à certains motifs textiles, comme les tissus kente. Vos sculptures évoquent les performances traditionnelles de mascarade ghanéennes. On trouve une certaine stratification qui se produit en termes de médiums, mais aussi de messages. Dans quelle mesure votre narration dépend-elle des médiums que vous utilisez ?

NCR : La culture visuelle ghanéenne historique et contemporaine, avec un accent particulier sur les textiles, m’inspire beaucoup. Je m’intéresse aussi à la richesse des mythes et des pratiques de narration qui ont vu le jour au Ghana. Je passe beaucoup de temps à examiner la manière dont des éléments tels que la communication et la narration sont mis en œuvre efficacement à travers l’utilisation des textiles au Ghana. J’essaie d’appliquer ces méthodes à ma pratique, en utilisant des techniques similaires. Les textiles comme le kente véhiculent des messages directement tissés dans les bandes, grâce à des éléments comme l’iconographie, la couleur et les motifs. Les drapeaux asafo, auxquels mon travail fait par ailleurs référence, sont résolument graphiques et leur surface est ornée d’histoires — il est possible d’y lire la scène et de comprendre l’histoire racontée.

Installation View Na Chainkua Reindorf: Up To No Good at Nubuke Foundation from 18 Nov 22 – 18 Feb 2023. Photo: Isaac Gyamfi. Courtesy of Nubuke Foundation.

Comme vous l’avez mentionné, je travaille également sur plusieurs médiums, j’expérimente, j’emprunte et j’applique des techniques pour les mettre en œuvre ailleurs. Par exemple, j’adapte la narration graphique des drapeaux asafo sous forme de peinture. J’inclus des éléments de collage de tissu et j’ajoute de la dimension aux peintures, en utilisant un médium de coulée pour des effets plus réalistes. Les idées seraient plus difficiles à réaliser en recourant simplement à la technique de l’appliqué.

C& : En incluant des tissus traditionnels et la culture ou les techniques de la mascarade, vous les traduisez dans un contexte contemporain et parfois même personnel. Pourriez-vous nous parler de votre processus de création ? Qui ou quoi vous permet de matérialiser vos idées dans les œuvres que vous imaginez ?

NCR : Comme je suis une personne très visuelle, je consomme principalement à travers mes yeux et je retiens aussi beaucoup de choses, donc j’accumule de nombreuses informations visuelles qui tourbillonnent dans ma tête. De temps en temps, ces choses s’alignent et se mettent en place, et tout ce qui n’était qu’un germe d’idée prend de l’ampleur et se concrétise pour finalement donner naissance à des idées plus solides. Mon travail combine fréquemment différents médiums et divers concepts puisque j’ai tendance à trouver des moyens de relier des idées apparemment disparates au sein d’un projet suffisamment ouvert pour que je puisse explorer la façon dont celles-ci se chevauchent et se croisent d’une manière qui me semble logique. Le reste n’est que la traduction de ces idées dans les œuvres d’art que je crée au cours du processus. Je lis également beaucoup sur la photographie contemporaine et historique. Très souvent, je m’appuie sur mes propres observations et expériences. Dans le cadre de ce projet, je me plais à penser que mon processus de création artistique s’apparente à celui d’une autrice écrivant un livre, sauf que je le fais en temps réel et que le public peut le voir, dans une certaine mesure, à travers les œuvres que je réalise. En présentant le projet au public dès les premières étapes, je l’invite essentiellement à me suivre dans la réalisation des œuvres qui peupleront le monde que je construis. J’espère que ce projet maintiendra l’intérêt que j’essaie de cultiver, et que chacun des personnages finira par mener sa propre vie.

Installation View Na Chainkua Reindorf: Up To No Good at Nubuke Foundation from 18 Nov 22 – 18 Feb 2023. Photo: Isaac Gyamfi. Courtesy of Nubuke Foundation.

Comme je considère ma pratique comme un exercice de construction d’un univers, je me demande constamment : quelle est l’idée générale que je cherche à communiquer ? Et plus précisément : quel travail ai-je l’intention de faire pour atteindre cet objectif et quel serait le meilleur médium pour y parvenir ? J’ai créé certains paramètres — notamment des indices visuels tels que la couleur, la matière et l’imagerie — qui couvrent un large éventail de médiums et qui appartiennent à chaque personnage de fiction et le distinguent. Dans le cadre de ces paramètres, je peux être un peu plus souple dans l’exploration des moyens de donner vie à chaque personnage, en fonction du médium avec lequel je travaille. J’aime l’idée que ce projet ne puisse jamais être achevé, puisqu’il s’agit vraiment d’un travail en cours, susceptible de prendre de multiples directions.

Na Chainkua Reindorf: Up to No Good est à l’affiche à la Nubuke Foundation, Accra, Ghana du 18 novembre 2022 au 18 février 2023.

Interview by Mearg Negusse.