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Laila Hida : Promouvoir la création au Maroc

Louise Thurin a rencontré Laila Hida, cofondatrice de l’espace Le 18 à Marrakech, pour parler de la genèse et des visions de ce centre de création.

Original tiles of the riad stairs. Courtesy of LE 18.

Original tiles of the riad stairs. Courtesy of LE 18.

By Louise Thurin

C’est par la volonté commune de la photographe Laila Hida et du curateur Hicham Bouzid que s’est ouvert en 2013 au cœur de la médina de Marrakech Le 18, Derb el Ferrane – un espace de création où se mêlent organiquement des artistes résidents, des professionnels de la culture et un panel hétéroclite de visiteurs.

Louise Thurin : Le 18 est un très bel espace. Pourrions-nous évoquer la nature singulière du lieu ?

Laila Hida : Le 18 est situé dans un riad typique de la médina de Marrakech. Ce n’était pourtant pas une volonté inscrite et préméditée d’ouvrir un lieu ici : le projet est né d’un concours de circonstances entre ma trajectoire d’artiste et ma vie personnelle. Au fond, je n’ai pas choisi grand-chose : cela fait partie de ma manière de travailler. Que ce soit pour Le 18 ou dans mes recherches, je me nourris de l’observation de mon environnement.

Je suis née et ai grandi à Casablanca ; puis j’ai passé mes études et la première partie de ma carrière en France. Au début des années 2010, je suis revenue au Maroc et j’ai choisi de m’installer à Marrakech. La ville était devenue un carrefour artistique, avec la tenue de l’une des premières foires de la région (Marrakech Art Fair 2010-2011-2013) et celle des Marrakech Biennale (2007-2009-2012). À mon installation, j’ai eu l’opportunité de disposer de cette maison qui appartenait à des amis, au 18 d’une ruelle étroite de la médina. C’était une sorte de maison communautaire où ils accueillaient leurs connaissances de passage en ville. Plus tard, quand je récupère ce riad dans l’idée de l’ouvrir à des artistes en résidence, il me semble crucial de garder l’esprit d’hospitalité du lieu. Que les gens entrent dans Le 18comme s’ils avaient été accueillis chez quelqu’un. Je n’avais cependant encore aucune perspective concrète d’une éventuelle programmation, ni une idée précise du format de ces résidences : j’avais déjà été porteuse de projet, mais je n’avais jamais géré de lieu. J’ai donc pris contact avec mon ami Hicham Bouzid, le fondateur de Think Tanger, qui à l’époque travaillait à la librairie Les Insolites, pour m’aider à penser cet espace. Et en 2013, nous avons ouvert Le 18.

On the first floor are located a cutting-edge bookshop curated by Meryem Fekhari, a mobile library (booKaroussa) for neighborhood’s children and a open production workshop that Louisa Aarrass, Inès Yahiaoui and Aliosha Tazi are currently investing with their ongoing project, Le 18 Chemaa Football Club. © Louise Thurin.

Nous étions et sommes toujours conscients que, dans l’absolu, Le 18 est un projet qui participe à la gentrification d’un quartier historique et populaire de la ville. C’est un phénomène extrêmement rapide ici à Marrakech, et l’industrie du tourisme avait déjà partiellement transformé la médina avant nous. Notre présence et notre action se doivent donc d’être hyper-conscientes pour mitiger ce fait : à chaque moment de vie du lieu et de sa programmation, nous nous imposons de nous questionner et de nous aligner sur la vie simultanée du quartier. Comment impliquer sa communauté ? Quelles langues vont être parlées pendant l’événement ? Ce sont des préoccupations transversales au sein du lieu, auxquelles nous n’avons d’ailleurs pas forcément de réponses, mais elles animent de vives discussions.

LT : Comment vous êtes-vous inscrits dans l’archipel culturel de la ville ?

LH : Nous avons très rapidement été soutenus par notre écosystème artistique. Citons notamment notre collaboration avec l’auteur Omar Berrada et son projet du Dar al-Ma’mûn. Celui-ci a proposé au 18 d’accueillir entre 2013 et 2014 un cycle de programmation multidisciplinaire autour du cinéaste et poète marocain Ahmed Bouanani (1938-2011). Renouvelé entre 2021 et 2022, ce travail commun a pris la forme d’une exposition commissariée par le collectif Bouanani et le projet AWAL porté par Soumeya Ait Ahmed et Nadir Bouhmouch.

A view of Le 18’s central space from the first floor an evening of short-films’ screening © Louise Thurin.

Ici, les choses se construisent invariablement à partir de rencontres et nous œuvrons constamment à tisser des relations entre la nébuleuse du 18 et des programmes, projets et collectifs qui lui sont extérieurs. À partir de nous peuvent émerger des initiatives qui ensuite s’émancipent, puis reviennent le temps de résidences ou de programmations. Nous accompagnons les différentes propositions dans leur écriture et dans leur développement pour qu’elles puissent s’épanouir. Le 18 ne se proclame pas propriétaire des projets des individus ou entités qui nous les proposent. Cela leur permet une plus grande fluidité et même parfois une meilleure autonomie de financement et de fonctionnement. Le 18 les abrite, mais ne les bride pas.

Cette organisation est évidemment appelée par un contexte de précarité structurelle auquel nous n’avons pour l’instant pas trouvé de solution de long terme. Les problèmes financiers sont communs à tous les tiers-lieux culturels – et pas seulement au Maroc et au Maghreb. Nous avons dû trouver d’autres moyens de subsistance et repenser nos modèles de production : le système collaboratif est aujourd’hui clairement inscrit dans l’ADN du 18 – et il émerge d’une nécessité, notamment dans le contexte du Sud global. Notre équipe, depuis 10 ans, s’est agrandie, s’est enrichie et fluctue en permanence. C’est notre singularité, notre liberté : notre évolution est rhizomatique dans un écosystème marocain, qui émerge et tire aujourd’hui sa force de ce genre de collaboration. Nous n’avons rien acté. À chaque fois qu’un projet a intégré Le 18, il a réécrit à sa façon notre fonctionnement. Il creuse notre oued.

Mohanad Yaqubi from Subversive Films presenting during People’s Stories – Past & Present: Bridging the silenced and liminal spaces of African Imagery’s programme (2022). Courtesy of LE 18.

LT : Quelle est votre vision de l’écosystème culturel marocain ? Quelles sont ses difficultés structurelles ?

LH : Nous observons une volonté politique de changement, mais qui peine à trouver le bon format. Il nous manque des maillons de la chaîne – comme un système dense d’éducation artistique et de formation aux métiers des arts et de la culture. Les Beaux-Arts de Tétouan, seule école nationale d’art du pays, vont à terme essaimer à Agadir, Oujda, Rabat et Marrakech – ce qui est très bien, mais quid des débouchés pour leurs futur·e·s diplômé·e·s ?

Nous souffrons également d’un manque cruel d’espaces de création et d’ateliers d’artistes pouvant être occupés sur un temps long, de 6 mois à 3 ans. Le Maroc bénéficie d’un réseau de résidences très intéressant – on peut citer Le Cube – independent art room et L’appartement 22 à Rabat, Caravane Tighmert… – mais les durées d’accueil sont toujours relativement courtes et structurées autour d’une production. Le seul contre-exemple notable serait le nouveau projet de résidence d’artistes et de recherches Daret initié par l’artiste Ymane Fakhir qui offre un an de résidence à ses lauréats.

Salah Bouade’s archive project for Dabaphoto 6 (2021). Courtesy of LE 18.

Pour moi, une ville comme Marrakech ne peut pas continuer sur une programmation uniquement centrée autour de grands rendez-vous comme les foires et les biennales : que font les artistes quand ils n’y participent pas ? Le mécénat privé et l’État marocain doivent soutenir les projets existants et l’ouverture de lieux de programmation tiers qui vont permettre l’émergence de nouvelles formes et discours. La ville regorge d’espaces fermés appartenant à la municipalité, à des ministères comme celui des Habous et des Affaires islamiques, ou encore à des banques privées. On peut citer également le site du Théâtre Royal, dont la construction a pris trois décennies et qui n’a jamais vraiment offert au public une proposition curatée. C’est un gâchis quand on imagine le potentiel d’un tel lieu en centre-ville.

Nous savons qu’il est long et difficile de faire advenir les choses, mais je crois que les espaces tels que Le 18 sont propices à l’éclosion d’intuitions pour l’avenir.

 

Pour plus d’informations sur Le 18 :

https://le18marrakech.com/

https://www.instagram.com/le18marrakech/

 

Interview par Louise Thurin.

 

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