Communautés artistiques

L’appel de Kampala : les artistes africains et de la diaspora affluent en Ouganda

Anna Adima médite sur l’accueil de la communauté et l’ingéniosité de la scène artistique de Kampala en pleine expansion en dépit des défis posés par les infrastructures.

Performance by Seyi Adelekun, Healing Forest - An Ecology of Spiritual Herbalism, KLA ART 2024 (Photo credit: Ethel Aanyu)

Performance by Seyi Adelekun, Healing Forest - An Ecology of Spiritual Herbalism, KLA ART 2024 (Photo credit: Ethel Aanyu)

By Anna Adima

Le public pousse des exclamations à la vue de Seyi Adelekun se faufilant à travers son imposante installation – un arbre tissé à partir de fibres colorées – et s’exprimant à travers une série de gestes envoûtants. Le silence se fait alors que l’artiste traverse le public, une torche enflammée dans chaque main, avant un déluge assourdissant d’applaudissements.

Installation by Seyi Adelekun, Healing Forest – An Ecology of Spiritual Herbalism, KLA ART 2024. Photo credit: Ethel Aanyu.

L’installation et la performance d’Adelekun s’inscrivaient dans l’édition 2024 de KLA ART, un festival d’art public à Kampala, la capitale de l’Ouganda. Ce festival fait partie des nombreuses manifestations artistiques qui animent de nouveau la ville suite à la pandémie. Les expositions visibles en différents lieux, tels qu’au Xenson Art Space, à l’Afriart Gallery et l’Afropocene Capsule gallery, comptent désormais parmi les événements attendus de la programmation culturelle de Kampala. À titre d’exemple, Afriart présente actuellement les œuvres d’Henry Mzili Mujunga pour célébrer les quinze ans de sa pratique artistique. Les arts visuels ont le vent en poupe et la ville palpite d’une nouvelle énergie.

Sentant cette énergie, les communautés de la diaspora ne cessent d’affluer à Kampala pour des résidences d’artistes et d’autres rendez-vous axés autour de la création. Venant d’Allemagne, du Royaume-Uni, du Nigeria, de la Jamaïque, du Ghana, de l’Afrique du Sud, du Soudan et d’au-delà, elles contribuent à la scène culturelle de Kampala, la nourrissent de leurs échanges et bénéficient de son dynamisme en retour.

Adelekun fait partie des artistes ayant temporairement élu domicile à Kampala à l’occasion d’une résidence de l’association artistique 32° East et participe au festival KLA ART. Artiste multidisciplinaire riche de ses origines nigérianes, Adelekun vit à Londres et crée des sites mettant l’écologie à l’honneur, où les liens ancestraux sont valorisés, comme l’illustre son installation et performance à KLA ART. Lors de son arrivée à Kampala, Adelekun a bénéficié de l’accueil d’une communauté d’artistes partageant la même sensibilité et découvert avec surprise la générosité et le soutien de la scène culturelle ougandaise en général.

Installation by Birungi Kawooya and Rebecca Khamala, Cultivating Rhythms of Care, KLA ART 2024 (Photo credit: Ethel Aanyu)

L’artiste britannique-ougandaise Birungi Kawooya, chercheuse en bien-être mental et facilitatrice en créativité, est retournée en Ouganda une fois adulte à l’occasion d’un résidence à 32° East pour le KLA ART après avoir passé la majeure partie de sa vie au Royaume-Uni. La pratique de Kawooya s’inscrit dans la guérison des traumatismes raciaux causés par le capitalisme. En venant à Kampala, elle a travaillé dans des espaces dédiés à l’art en bas de la rue où se trouve la maison de sa tante, ce qui lui a immédiatement donné l’impression d’être chez elle. « Il m’est difficile d’expliquer à quel point ces espaces ont été importants pour moi, explique Birungi en parlant de sa période en résidence, en termes de santé mentale, de développement, de libération de ma pratique et de mon développement en tant qu’artiste. »

Mais l’énergie actuelle dont bénéficie Kampala porte ses contradictions en elle-même. Alors que la scène des arts visuels vit une renaissance postpandémie, le secteur culturel dans son ensemble continue à lutter pour sa survie. Il ne reçoit quasi aucun soutien des pouvoirs publics et, par conséquent, il existe peu d’infrastructures pour épauler les artistes en Ouganda et leur permettre de développer leur pratique. Nombre d’artistes de la diaspora à Kampala détiennent des passeports de pays du Nord global, un privilège qui leur donne l’opportunité d’aller et venir facilement, sans être affecté·es par les barrières structurelles auxquelles sont confronté·es les artistes ougandais·es vivant dans le pays.

Photography by Henry Robinson, ‘Lela Pit’ exhibition, Afropocene The Capsule Gallery, Kampala. Photo credit: Josh Dago.

Henry Robinson, un photographe et réalisateur jamaïcain de Kampala, est très conscient du carcan qui pèse sur le travail artistique en Ouganda, et explique qu’en Jamaïque, les artistes sont confronté·es à des problèmes similaires. « Il est stimulant de voir que le manque de ressources en Ouganda n’empêche pas les gens de créer et je pense que ce sont là les véritables artistes », ajoute-t-il. Inspiré par cette ingéniosité, Robinson a créé son propre studio mobile de photographie qui lui a donné l’opportunité de voyager à travers l’Ouganda pour réaliser des portraits. Son projet le plus récent l’a emmené dans la ville du Nord de Gulu où il a réalisé une série de photos de femmes à vélo, exposées à la Capsule dans le cadre de l’exposition Lela Pit.

La carence en infrastructures et en ressources en Ouganda trouve son pendant dans la vitalité du secteur informel qui donne toute latitude aux artistes de développer leur savoir-faire et d’expérimenter d’une manière qui serait difficile à mettre en œuvre ailleurs. De ce point de vue, Adelekun a eu grand plaisir à travailler à Kampala, et a appris l’art du crochet de femmes tisserandes pour réaliser son installation. L’artiste a également collaboré avec l’herboriste Adoch Juliet à une œuvre audio. Ces deux façons de procéder étaient nouvelles pour Adelekun. Kawooya a eu une expérience similaire : « En Ouganda, il est possible de rêver et de concrétiser les choses très rapidement, d’une manière qui ne semble ni possible ni accessible à Londres. »

« Cela a été incroyable, médite Robinson. Ce pays me manquera lorsque je le quitterai. » À la question de la date de son départ, il répond : « Au départ, je devais rester trois mois. Cela fait maintenant deux ans. Alors on verra. »
Pour la communauté artistique présente en Ouganda, l’afflux d’artistes est une bouffée d’air frais bienvenue sur une scène relativement petite. Kampala est devenue un foyer pour les artistes noir·es et africain·es du monde entier, chez qui l’énergie et la créativité de la ville trouvent un écho – et dont tout le monde semble bénéficier.

 

Anna Adima, autrice et chercheuse basée à Kampala, est titulaire d’un doctorat en histoire et littérature de l’Afrique de l’Est.

Traduit par Myriam Ochoa-Suel.

 

STEDELIJK X C& EDITORIAL FELLOWSHIP: WANINI KIMEMIAH

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C&’s second book "All that it holds. Tout ce qu’elle renferme. Tudo o que ela abarca. Todo lo que ella alberga." is a curated selection of texts representing a plurality of voices on contemporary art from Africa and the global diaspora.

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