“Auf Deutsch”

James Bantone : Mimétisme, performance et communauté

On discute avec l'artiste suisse de la culture Internet comme moyen de renouer avec les communautés queer Noires et Brown.

James Bantone, He Said, They Said, 2020, exhibition view, Coalmine, Zurich

James Bantone, He Said, They Said, 2020, exhibition view, Coalmine, Zurich

By Will Furtado

Depuis des siècles, les pays germanophones forment un espace où s’origine une riche production culturelle Noire, aussi hétéroclite que ces différentes régions. Dans cette série, nous présentons des artistes de générations diverses qui entretiennent des liens étroits avec ces territoires géoculturels. Dans cet entretien, l’artiste zurichois James Bantone raconte pourquoi il revisite la culture pop de son enfance, comment il travaille les matières textiles pour exprimer ses idées et l’importance de trouver une communauté Noire et Brown en Suisse.

James Bantone, Demon Tingz (boots and gloves in collaboration with Jazil Santschi I S E), Plattform20, Fri Art, 2020. Photo©Guillaume Python

Contemporary And : Vous avez fait de la photographie de mode, comment avez-vous transposé (ou non) cette expérience au sein de votre pratique artistique actuelle sur le plan visuel, matériel et conceptuel ?

 James Bantone : La photographie est plutôt un réceptacle qu’une véritable affirmation dans ma démarche aujourd’hui. C’est le premier médium qui m’ait permis de m’exprimer sous une forme artistique. Pendant mes études de photographie, j’ai compris que j’étais surtout intéressé par la collaboration avec les autres. D’abord à travers un style documentaire, en abordant des problématiques sociales, puis en prenant conscience que ce qui m’attirait vraiment, c’était de captiver les individus et leur façon de s’exprimer à travers différents moyens, la mode étant l’un d’entre eux.

La photographie est toujours très présente dans ma pratique comme un outil de fabrication de l’image, que j’applique à différentes situations. J’ai réalisé il y a un moment que ma pensée se traduit par des images plutôt que par des mots. Je les assemble ensuite pour former une sorte de patchwork, qui donne naissance à une nouvelle image.

James Bantone, Wha Ha Happened Was…, 2018
3:58 min., HD video, no sound, featuring Basile Lusandu and Karim Manneh. Courtesy of the artist

C& : Certaines de vos œuvres évoquent les notions d’appropriation et de mimétisme comme des aspects de la culture Internet. Pouvez-vous me parler de votre intérêt pour Love & Hip Hop, en particulier en ce qui concerne les personnes Noires queer en Europe occidentale ?

JB : Au moment où j’ai réalisé Wha Ha Happened Was (2019), je consommais beaucoup de télé-réalité en provenance des États-Unis et particulièrement la série Love & Hip Hop Atlanta, que je venais de découvrir, à la fois atténuer mon stress et m’anesthésier le cerveau. La façon dont les personnages se comportent et communiquent dans ce programme me rappelait beaucoup certaines personnes, notamment des ami·es recontré·es à New York, où j’ai découvert pour la première fois à quoi pouvait ressembler une communauté queer Noire et Brown. Avec le recul, l’acte d’appropriation du langage et des comportements de ces émissions par mon cercle amical ici en Suisse semble être une tentative désespérée de recréer ce qui me manquait dans notre contexte. Je trouvais qu’il y avait un manque de personnes queer Noires et Brown autour de moi. Pendant longtemps, ce manque de représentation m’a empêché d’affirmer qui j’étais. En effet, j’ai l’impression que cela a contribué à accélérer mon intégration dans ce paysage. Aujourd’hui, je suis heureux de voir que les choses changent. Les personnes Noires et Brown s’organisent et se rassemblent, en créant et en prenant de l’espace pour elles-mêmes. Les différences sont célébrées et les représentations inondent les fils d’actualité de nos réseaux sociaux. Tout cela ne se fait pas sans mal, bien sûr, mais au moins j’ai maintenant le sentiment d’appartenance à une communauté en Suisse.

Lemananiana, 2021, exhibition view, Centre d’Art Contemporain de Genève, Photo©Mathilda Olmi

C& : Vos œuvres Say No More, Demon Tingz, et Smell My Feelings interrogent l’aspect performatif de l’identité. Pourriez-vous nous en dire plus sur certaines de vos décisions formelles ?

JB : J’ai eu l’idée de travailler avec du néoprène alors que j’effectuais des recherches pour Demon Tingz. Comme c’était la première fois que je faisais de la sculpture, je cherchais des solutions dans les limites de mon temps et de mes compétences, qui étaient absolument au niveau zéro dans ce domaine. Ayant opté pour le ruban adhésif et le papier pour fabriquer les corps, je cherchais une matière textile qui puisse être proche du corps pour en accentuer les contours, tout en étant suffisamment épais pour laisser passer l’aberration de la base du ruban. L’idée du néoprène m’est venue en pensant aux combinaisons de plongée, J’aimais le fait que cette matière agisse comme un équipement de protection qui permet de s’immerger dans un environnement hostile/froid tout en conservant la chaleur de son corps. Conceptuellement, ça correspondait parfaitement à mon travail.

C& : Pourquoi est-il significatif pour vous de revisiter des phénomènes culturels de votre enfance tels que la série télévisée animée Les Super Nanas ?

JB : Tout simplement pour mieux les comprendre. Je crois qu’un niveau de lecture différent accompagne l’acte de renouveler son regard sur ces phénomènes consommés, qui nous ont façonnés, que nous le voulions ou non. Ce que je trouve le plus intéressant, c’est qu’enfant, nous pouvions déjà sentir la différence dans la représentation des personnages maléfiques comme LUI et d’autres, sans avoir les mots ou les connaissances pour en décrire le pourquoi.

 

Par Will Furtado.

 

Traduit par Gauthier Lesturgie. 

 

"AUF DEUTSCH"

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