Jimmy Robert

DANS LA BOUCLE

Jan Kedves discute avec Jimmy Robe

DANS LA BOUCLE

Untitled (wall), 2015 Archival inkjet print, beech wood rod and masking tape 4.1×1.5m Installation view Tanya Leighton Gallery Berlin

JAN KEDVES : Vous utilisez différents types de médias dans votre travail – chorégraphie, danse, performance, poésie, écriture, film, collage – en combinant souvent plusieurs d’entre eux dans une même œuvre. A première vue, votre travail semble être à la fois fascinant et déroutant. Les gens vous demandent-ils souvent ce qui s’est manifesté en premier  ? Où cela a commencé  ? 

JIMMY ROBERT : Je perçois cette réaction en effet mais cela a-t-il vraiment de l’importance de savoir où les choses ont commencé  ? Récemment, lors de mon exposition «  It’s not lame … it’s Lamé » (2015) dans la galerie Tanya Leighton à Berlin, j’ai fait une présentation pour mes étudiants – j’ai donné des cours à la Universität der Künste de Berlin (UdK, Université des Arts) en tant que professeur invité au cours des deux derniers semestres. J’ai par exemple expliqué mon oeuvre Reprise  (2010) aux étudiants en leur montrant la façon dont j’avais réalisé les images du danseur de Butoh japonais qui sont tissées dans le tableau. Tout a commencé par une lithographie de Hokusai que Jeff Wall a aussi adaptée dans un caisson lumineux A Sudden Gust of Wind (inspiré par Hokusai) (1993). Créer mon oeuvre constituait une sorte de troisième étape, la transformation de l’impression de Hokusai en une sculpture. Un étudiant a déclaré : «  Je ne pense pas que j’ai besoin de savoir tout ceci. Pour moi, c’est comme si je recevais le travail sans connaître l’histoire en arrière fond.  » Et je lui ai répondu : «  Il ne s’agit pas de définir l’origine d’une oeuvre mais j’ai parfois besoin de la recherche en amont, de la généalogie.  » C’est ma façon de traiter des idées et de me plonger dans ce que je vais faire. Je constitue ainsi une archive de connaissances qui sous-tendent le travail.

JK :  Vanishing Point (2013), l’installation que vous avez présentée l’année passée dans le cadre de la 8e biennale de Berlin était constituée de structures en forme de tableau séparées par un rouleau de papier blanc. Vous avez projeté sur le papier blanc deux versions d’un film tourné à Rio dans lequel une artiste de rue secouait farouchement sa chevelure, un peu dans le style de Bate Cabelo.  Une voix off lit un poème – en portugais et en version anglaise.

JR : Ce travail a vu le jour quand je faisais une résidence à Rio. Dans un premier temps, je lisais avec grand intérêt le Théâtre des opprimés d’Augusto Boal mais rien n’en est jamais vraiment ressorti. Ensuite, je me suis rendu à ce club de plongée et j’ai assisté à une performance impressionnante de ce travesti – si forte  ! Si puissante  ! J’ai su immédiatement que je souhaitais travailler avec cet artiste mais je voulais également élaborer et construire quelque chose à partir de la performance – pas seulement me l’approprier et la placer dans un contexte artistique. J’avais aussi beaucoup observé l’architecture moderniste si omniprésente à Rio que vous ne pouvez pas l’éviter. Par exemple, j’étais complètement fasciné par le palais Gustavo Capanema qui a été élaboré par une équipe d’architectes dans les années 1930, parmi lesquels se trouvait Lucio Costa chez qui Oscar Niemeyer faisait un stage à cette époque. Toutes ces lignes, toute cette rigidité. Je trouvais qu’il était logique d’aller à l’encontre de cela et d’intégrer le travesti dans la construction – son nom de scène est Erika Vogue –et de placer sa performance dans ce contexte et de le combiner avec un poème. A mes yeux, cela semblait très naturel.

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JK : Le poème semble traiter le sujet du lyrisme en tant que tel. Il débute par cette ligne : « Le lyrisme est la traduction d’un sentiment personnel subjectif, sincère ».

JR : C’est grâce au poète Ana Cristina César que j’ai découverte quand j’étais au Brésil. Elle est morte vraiment jeune, à l’âge de 31 ans seulement. Elle s’est suicidée en 1983. Elle a laissé une voix très caractéristique au Brésil. Dans ce poème, Primeira Lição (1979), ou Première Leçon, elle essaie d’abord de définir le lyrisme de manière rationnelle avec cette description très didactique. Mais par la suite, dans le dernier paragraphe, le poème devient complètement physique, presque violent : « Je regarde pendant longtemps le corps d’un poème / jusqu’à ce que je perde de vue tout ce qui n’est pas corps / et sente se séparer entre mes dents / un filament de sang sur mes gencives » (adaptation libre du poème). Ainsi, tout à coup, vous êtes ramenés à l’aspect physique de la personne qui écrit le poème et c’est presque comme si le langage était coincé à l’intérieur de sa bouche, blessé à sang. Cela m’a vraiment frappé. C’est comme si le poème résistait à être défini et artificiellement placé dans un cadre. Ce sont peut-être les mêmes choses auxquelles j’essaie de résister dans mon travail – le même genre de cadres. C’est peut-être la raison pour laquelle dans Vanishing Point, les projections ne sont pas au centre, et peut-être la raison pour laquelle le papier est déroulé jusqu’au sol. Ils ne veulent pas rester là où on les a posés.

JK : Les boucles sont partout dans votre oeuvre. Le travesti secoue ses cheveux en faisant des boucles dans les airs. Les films sont projetés en boucles. Vous utilisez souvent des rouleaux de papier. La performance Metallica, qui faisait partie de votre exposition à la galerie Tanya Leighton Gallery, commence et se termine de la même manière : elle pourrait être montrée comme une boucle. En outre, la performance Abolibibelo que vous avez jouée vous-même à la mi-avril au musée Migros de Zurich et qui faisait partie du grand Xanti Schawinsky, consistait pour vous à circuler en cercle, vêtu d’un costume blanc recouvrant tout votre corps et à réciter un poème que vous aviez écrit et qui, encore une fois, commence et se termine de la même façon.

JR : J’utilise la boucle comme un dispositif formel. Il y a quelque chose de très mélodieux autour d’une boucle. Et dans les textes que je rédige, je trouve que la répétition est très utile en tant que structure, en utilisant aussi le point de départ comme point final. C’est presqu’une forme d’argumentation au cours de laquelle vous partez d’une position et essayez de faire la démonstration du pour et du contre mais vous terminez au point de départ. Cela ne veut pas dire que rien ne change. Mais plutôt que de dire « ceci est la solution » ou « c’est la réponse », vous arrivez à quelque chose qui ressemble à une question : quel est votre point de vue au final ? Qu’est-ce qui a changé entre les deux, tant sur le plan de votre perception par rapport à ce que vous pensiez des choses et à ce qu’elles sont maintenant ?

It’s not lame ... it’s Lamé 2015 Archival inkjet print 30×21cm

It’s not lame … it’s Lamé 2015 Archival inkjet print 30×21cm

JK : Cela me rappelle Living in the Loop de Diedrich Diederichsen qui est tout d’abord paru en allemand dans son livre Eigenblutdoping (Auto-dopage sanguin – 2008), dans lequel il écrit : « N’avons-nous pas appris – notamment grâce au minimalisme et à la techno – que ce que nous entendons dans une boucle n’est jamais la même chose ? Grâce à leur consistance souple et fiable, nos minuscules changements deviennent tout à coup plus larges, et le monde autour de la boucle commence à croître. Nous nous voyons nous-mêmes à maintes reprises dans les mêmes conditions, mais l’apparence est légèrement différente à chaque fois. »

JR : Cela me rappelle Marguerite Duras, une autre écrivaine que j’aime beaucoup et que je cite souvent. Elle déclara un jour : « Vous ne pouvez jamais vraiment changer l’opinion des gens à moins qu’ils ne soient confrontés au changement eux-mêmes. » Vous ne pouvez pas forcer le changement. Il doit provenir d’une lente confrontation au changement en tant que tel. Si vous forcez quelqu’un à voir quelque chose d’autre, il n’aura pas vécu cette progression naturelle. Je pense aussi que l’idée de répétition est intéressante dans le contexte de la citation de travaux historiques. Par exemple, j’ai fait une performance en 2008 qui se basait sur la fameuse performance de Yoko Ono, Cut Piece en 1965. La mienne ressemblait davantage à un Tear Piece (Morceau déchiré) car j’ai demandé aux gens de déchirer des morceaux de bandes collés sur ma peau. Bien évidemment, cela rappelait cette performance mais c’était un corps différent, une époque différente.

JK : Le performateur était aussi de sexe différent.

JR : Exactement. Et donc, même si certains pourraient dire « Oh, on a déjà vu cela quelque part ! », beaucoup d’éléments de la performance étaient très différents. Il ne s’agissait définitivement pas d’une reconstitution. Nous déclarons que beaucoup de choses se répètent dans l’art mais qu’en est-il de la répétition en tant que telle ? Est-ce que la peinture abstraite aujourd’hui est véritablement la même peinture abstraite qu’il y a 20 ans ? Qu’est-ce qui a changé si ce n’est pas le contexte et la personne qui la fait réellement ? Peut-être qu’il s’agit d’un aspect générationnel. Je me rappelle avoir discuté récemment à l’Université des Arts (UdK) avec un collègue, un professeur, au sujet de certains étudiants actuels et de la façon dont ils semblent ne pas avoir de références à l’histoire de l’art – ils n’en sont pas conscients. Pour eux, tout tourne autour du présent. Je me demande comment ils voient les oeuvres qui font référence au passé, ce que cela veut dire pour eux. Tout tourne autour du programme Instagram et tout se concentre vraiment sur le présent.

JIMMY ROBERT_It’s not lame...it’s Lamé_Installation, courtesy of TANYA LEIGHTON Gallery

JIMMY ROBERT_It’s not lame…it’s Lamé_Installation, courtesy of TANYA LEIGHTON Gallery

JK : C’est intéressant que vous mentionniez Instagram. Je voulais aussi aborder le sujet de la numérisation. Cela peut paraitre bizarre mais je me demandais si votre travail pouvait être décrit d’une certaine façon comme de l’art « pré-internet » ?

JR : Ah, ah ! C’est marrant.

JK : Votre utilisation du papier par exemple. Dans notre esprit, le papier évoque encore l’écriture, les livres et les idées. Mais avec la multiplication des écrans numériques, cette association pourrait se perdre à un certain moment.

JR : A mes yeux, la notion d’écran n’est pas limitée à l’écran numérique parce que le papier pourrait servir de support à la projection et être utilisé comme un écran – comme dans Vanishing Point. Beaucoup de choses peuvent servir d’écran. J’aime travailler avec le papier parce que pour moi, l’idée de papier est proche de celle de la peau. Le papier est plus proche de la peau qu’un écran numérique ne pourra jamais l’être en raison de sa porosité. Il s’agit presque d’une relation fétichiste par rapport au papier, au format du livre et à sa surface. C’est comparable à la lecture de Julia Kristeva quand elle évoque le parfum dans la poésie de Baudelaire et la manière dont le parfum émane quasiment du poème en tant que tel. Peut-être qu’il s’agit de l’aire « pré-internet » comme vous l’avez dit, dans le sens où j’ai développé cette relation fétichiste avec les livres au départ, mais avec les écrans numériques, je ressens une certaine dépravation sensorielle. Quoi qu’il en soit, pour moi, il est question de cette relation centrale et particulière au texte et au papier et de la tentative de sublimer cette relation dans des objets.

Vanishing Point, 2013 Two birch wood structures, paper and two Super 8 films transferred to HD video Installation view 8th Berlin Biennale, 2014

Vanishing Point, 2013 Two birch wood structures, paper and two Super 8 films transferred to HD video Installation view 8th Berlin Biennale, 2014

JK : Presque chaque texte relatif à votre oeuvre mentionne que vous vous intéressez à la qualité performatrice de vos matériaux. Et en fait, votre travail sur papier montre une compréhension très détaillée des propriétés du papier. En réalité, le papier n’est pas un matériau solide mais en fonction de la façon dont vous le pliez et le froissez, il peut le devenir.

JR : Pour être honnête , je n’ai jamais été suffisamment spécialisé pour vraiment tester et faire des recherches sur toutes les techniques qui peuvent être utilisées pour travailler le papier. Je préfère garder une certaine spontanéité, une naïveté peut-être, par rapport à mon approche des matériaux qui me permet de dire « Oh ! Vraiment, je peux faire cela ?! » Mais c’est vrai, le papier est un matériau extrêmement difficile à utiliser car il est si fragile. Pensez au nombre d’œuvres produites sur la base de papier qui ont été endommagées ou déchirées dans le cadre d’expositions. Le papier est ennuyeux ; il est stressant ! Mais la fragilité du medium est finalement ce qui m’intéresse le plus : cet aspect éphémère, qui est très similaire au caractère éphémère de la performance. Combien de temps cette impression ou ce papier pourra-t-il résister à la « performance » ? N’est-il conçu que pour le moment pendant lequel il est présenté ou existe-t-il aussi lorsqu’il périclite ou quand il est déchiré ? Quand cesse-t-il d’être valable ?

JK : Pour Abolibibelo à Zurich, vous portiez un costume qui recouvrait l’entièreté de votre corps et qui donnait l’impression d’être fait en bandes de papier. Il s’agit d’une recréation d’un des costumes de Xanti Schawinsky – le professeur de Bauhaus qui a ensuite été responsable du département de théâtre de l’université Black Mountain College – costume qu’il avait utilisé dans ses mises en scène multimédia Spectodrama, n’est-ce pas ?

JR : Oui, le créateur de costumes Claudia Gedoe l’a recréé pour moi. En fait, le costume original n’avait pas été réalisé par Xanti Schawinsky, mais par sa femme Irène. Apparemment, elle était créatrice de mode et réalisait tous ses costumes. Comme c’est souvent le cas, la femme demeure dans l’ombre… Un peu comme dans le cas de Franz Erhard Walther. Sa femme coud toutes ses pièces et quasiment personne ne connaît son nom. J’ai seulement découvert l’existence d’Irène Schawinsky quand je faisais des recherches pour ma performance. J’étais surpris mais en même temps, pas si surpris que cela. Si vous vous replacez à cette époque, le machisme était vraiment courant – dans le cadre du Bauhaus mais aussi à l’université Black Mountain College. La figure de l’artiste héroïque masculin est celle qui prévaut le plus dans la tradition moderniste.

Abolibibelo 2015 Paper handout with poem

Abolibibelo 2015 Paper handout with poem

JK : Pour Abolibibelo à Zurich, vous portiez un costume qui recouvrait l’entièreté de votre corps et qui donnait l’impression d’être fait en bandes de papier. Il s’agit d’une recréation d’un des costumes de Xanti Schawinsky – le professeur de Bauhaus qui a ensuite été responsable du département de théâtre de l’université Black Mountain College – costume qu’il avait utilisé dans ses mises en scène multimédia Spectodrama, n’est-ce pas ?

JR : Oui, le créateur de costumes Claudia Gedoe l’a recréé pour moi. En fait, le costume original n’avait pas été réalisé par Xanti Schawinsky, mais par sa femme Irène. Apparemment, elle était créatrice de mode et réalisait tous ses costumes. Comme c’est souvent le cas, la femme demeure dans l’ombre… Un peu comme dans le cas de Franz Erhard Walther. Sa femme coud toutes ses pièces et quasiment personne ne connaît son nom. J’ai seulement découvert l’existence d’Irène Schawinsky quand je faisais des recherches pour ma performance. J’étais surpris mais en même temps, pas si surpris que cela. Si vous vous replacez à cette époque, le machisme était vraiment courant – dans le cadre du Bauhaus mais aussi à l’université Black Mountain College. La figure de l’artiste héroïque masculin est celle qui prévaut le plus dans la tradition moderniste.

Abolibibelo 2015 Performance documentation Migros Museum Zürich

Abolibibelo 2015 Performance documentation Migros Museum Zürich

JK : La performance m’a rappelé une sorte de cérémonie Candomblé – la façon dont vous avez récité ce poème faisait presque penser à une incantation et la manière dont vous avez simultanément fait la performance de chorégraphie des mouvements des mains, certains d’entre eux me rappelaient une danse postmoderne, d’autres un mouvement de vogue.

JR : Quand j’ai vu le costume de Schawinsky, il m’a rappelé des choses que j’avais vues lors de carnavals sur l’île de Guadeloupe où je suis né. C’est peut-être la raison pour laquelle cela m’a attiré. J’ai quitté l’île quand j’avais quatre ou cinq ans et j’ai grandi en France mais j’ai gardé en mémoire ces figures fascinantes et effrayantes en costumes de carnaval – comme les vaudous en train de courir après les gens avec des perruques ; des histoires de personnes jetant un sort à quelqu’un, pour essayer de les faire divorcer, etc. La magie noire est une partie intégrante de ma culture mais encore une fois, cet héritage a été réprimé par le colonialisme et le catholicisme. Au sein de ma famille, tout ceci est tabou. Et donc pour moi, faire la performance Schawinsky était aussi une tentative de reprendre contact avec cette histoire et cette tradition, une façon de leur rendre hommage tout en y intégrant parallèlement les connaissances que j’ai accumulées au sujet de différentes choses. Et donc je me suis dit : que se passe-t-il si je prends des éléments du Trio A d’Yvonne Rainer (1966), une pièce sonore bourdonnante de mon ami, l’artiste sonore Ain Bailey, des éléments du style de danse vogue, un costume Bauhaus et que j’essaie de composer quelque chose sur la base de tout ceci ? 

JK : Pourquoi avez-vous incorporé la vogue?

JR : Dans le film Paris Is Burning (1990), ils disent que certains éléments vogue remontent aussi loin que les ancêtres africains, qu’ils remontent aux rites tribaux. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai inclus ces éléments manuels dans la performance, parce que je sentais qu’il serait intéressant d’y intégrer certains mouvements qui pouvaient être mal interprétés comme si quelqu’un jetait un sort. D’une certaine manière, je posais la question de savoir : d’où est-ce que cela venait ? Comme avec le costume de Schawinsky : c’est du Bauhaus mais cela pourrait être un costume tribal d’Afrique. Le livre de Fred Moten, In the Break (2003), dans lequel il écrit au sujet du jazz et de la performance noire en tant qu’avant-garde noire a été une grande source d’influence pendant la procédure de développement de la performance et de l’écriture de ce poème. Il s’agissait de ce genre de généalogie qui essaie de trouver une place dans toute cette histoire tout en étant capable d’articuler quelque chose au travers de cela.

JK : La première strophe du poème que vous avez récité pendant la performance– « a / a a a / aboli bo / aboli bi / bibelot bibeli » – est-elle en créole guadeloupéen ?

JR : Non, en fait il s’agit de quelques lignes issues d’un poème de Stéphane Mallarmé dont le titre est Sonnet en X (1899). C’est vraiment un splendide poème, considéré comme étant à l’origine de la poésie moderne. J’en ai juste repris ces quatre termes, « Aboli bibelot d’inanité sonore », qui signifient, littéralement, « silence sonore d’objet sans importance ». Ce qui est frappant dans ce poème, c’est qu’il est purement sonore. Je voulais l’utiliser comme point de départ pour la performance, de manière abstraite de façon à ce qu’il devienne presqu’une sorte d’incantation. J’ai considéré cette poésie moderniste française et je me suis demandé : dans quelle mesure pouvait-elle se rapprocher d’une idée de primitivisme ? Et j’ai vraiment joué avec la question : qu’est-ce qui est arrivé en premier lieu, la modernité ou le primitivisme ? Je parle aussi de papier dans le poème, l’idée d’écriture en ressort également. Je répète plusieurs fois la phrase « son du texte / sur la page » et : « Pieds / mains/ écriture / partition » (adaptation libre du poème). En fin de compte, vous pourriez dire que la performance traite de mouvement mais constitue aussi une sorte d’inscription : mouvement en guise d’écriture, performance en guise de dessin – à l’exception du fait que rien n’avait été enregistré. Il ne reste rien, rien n’a été imprimé. Sauf peut-être une image qui demeure sur l’œil.

L’interview a été publiée pour la première fois dans le numéro actuel 20 de frieze d/e.

?Jimmy Robert est un artiste français qui vit et travaille actuellement à Berlin.

?Jan Kedves est un auteur et un éditeur associé et rédacteur adjoint de frieze d/e. Il vit à Berlin.

 

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