Wura-Natasha Ogunji est photographe, performer, professeur et anthropologue. Nous lui avons posé des questions au sujet de ses débuts, de sa relation avec Lagos et de son corps.
C&: Dans votre pratique de l’art, vous utilisez la performance, l’art vidéo, la photographie… Qu’est-ce qui vous a véritablement amenée vers les arts ?
Wura-Natasha Ogunj: J’ai commencé en tant que photographe et je faisais de nombreux autoportraits. J’ai étudié la photographie dans les années 90 et à cette époque, l’absence de gens de couleur était frappante dans le domaine de cette histoire de la création d’image. Je me posais cette question : « S’ils nous disent qu’il n’y a pas de photos, verrons-nous arriver les histoires quand elles viendront ? » Pour répondre à cette question, j’ai dû me tourner vers mon propre corps, pour dessiner à partir de cette connaissance – cette mémoire ancestrale, cellulaire, génétique et peut-être même spirituelle. J’ai développé un intérêt pour la photographie de personnes qui avaient existé avant l’invention de la photographie. J’ai créé des masques et des robes d’ancêtres qui pouvaient invoquer ces personnes, ces photos. L’ensemble du processus était de type performatif. Je prenais des photos que je transformais en négatifs sur verre et j’ai aussi enregistré les actions sur un film de 16mm. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de dessiner sur la base de la connaissance de mon corps et de créer une image photographique.
C&: Vous avez aussi fait des études d’anthropologie. Dans quelle mesure cela s’est-il traduit dans votre pratique artistique ?
WNO: Les études d’anthropologie m’ont permis d’étudier l’histoire africaine, américano-africaine, latino-américaine et l’art. C’était pour moi la façon dont ces domaines d’intérêt ont été réunis. L’anthropologie en tant que sujet d’études est un secteur qui comporte de sérieuses lacunes dans son positionnement traditionnel sur les peuples occidentaux non-européens mais elle a aussi permis de procéder à un type d’observation et de recherche qui était important pour moi à ce moment-là, en particulier en tant qu’artiste et professeur travaillant dans le domaine de la photographie.
C&: La performance semble être votre moyen d’expression de prédilection. Grâce à elle, vous entrez aussi en contact avec des espaces publics urbains tels que Lagos. Pouvez-vous parler de votre motivation sous-jacente et de vos expériences ?
WNO: J’aime tout autant la performance que le dessin. Le sens de l’engagement dans l’espace est similaire, bien que d’un côté, cela se produit sur le papier alors que de l’autre, cela se produit sur vidéo, ou plus récemment dans l’espace de la ville.
Jusqu’à ce que je commence à faire des performances au Nigeria en 2011, la plupart de mes performances se déroulaient en privé. Elles avaient lieu avec l’aide de peut-être un ou deux amis et étaient enregistrées avec un appareil photo ou une caméra vidéo. Cela avait du sens dans le cadre des questions que je me posais à cette époque-là. Les vidéos m’ont permis de répondre à ces questions.
Voyager au Nigeria a provoqué une nouvelle série de questions qui devaient être posées en public. Ma première performance est partie de la question que je me posais sur le travail des femmes : « Est-ce que je continuerai à porter de l’eau quand je serai morte ? » Cette interrogation provenait d’une véritable frustration que j’éprouvais face à la quantité de travail des femmes par rapport aux loisirs que je considère comme du temps passé à discuter, penser, rêver et philosopher au sujet du monde – autant de choses nécessaires pour promouvoir la créativité, l’innovation et la joie pure et simple. Dans cette performance, je rampe par terre et transporte des tonneaux d’eau. Cette action devait se dérouler dans la rue. Poser la question de cette façon crée une plus grande base de discussion. La réponse ne provient pas seulement des actions physiques de mon propre corps mais viennent aussi de la présence du public – ce qu’il a à dire est essentiel. Et cela ne se produit pas seulement par des réactions verbales bien évidemment. La manière dont le public attend le performer ou le suit un peu dans les rues ou explique l’oeuvre à quelqu’un d’autre, tout ceci fait partie de l’histoire et de la signification d’une performance.
C&: Dans quelle mesure la notion de mémoire (collective) en relation au corps (qu’il soit physique, social, etc.) est-elle importante à vos yeux ?
WNO: Nos corps sont de véritables containers de mémoire. Et notre conscience détient énormément d’informations au sujet de nos histoires et même de nos futurs. D’un point de vue scientifique, nous transportons ce matériel génétique qui date de millions d’années. Ces corps en connaissent beaucoup et en disent long. J’aime la façon dont la performance puise dans cette source d’informations ; j’aime ce qu’il en ressort et où cela nous mène.
C&: Un journaliste nous a récemment demandé pourquoi, à notre avis, l’art tendait de plus en plus à se ressembler à l’échelle mondiale. Vous ne pouvez plus regarder une oeuvre du Nigeria et dire « Ah, c’est du Nigéria ! ». Que pensez-vous personnellement de cette évolution ?
WNO: Prétendre que l’art se ressemble de plus en plus à l’échelle mondiale, c’est oublier les façons innovantes dont les artistes travaillent aujourd’hui et les nuances et spécificités des lieux et des expériences. Je pense que les questions les plus pertinentes et les plus importantes doivent porter sur les changements dans la manière dont nous créons mais aussi dont nous écrivons, parlons, conservons, enseignons et faisons l’expérience de l’art à ce moment historique. La palette et la diversité de la pratique artistique aujourd’hui évolue naturellement à travers et au-delà des frontières géographiques. Les artistes ont complètement élargi le paysage dans lequel ils créent et partagent leur travail de sorte que le langage que nous utilisons pour comprendre ce travail doit aussi évoluer.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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