Ricarrdo Valentine et Orlando Hunter, les artistes de Brother(hood) Dance!, se sont rencontrés il y a quatre ans lors d’une audition de danse à New York. Ils étaient les deux derniers candidats masculins, mais ne furent pas sélectionnés. Au lieu de partir perdants, les danseurs ont alors démarré une collaboration autour d’une œuvre mettant à l’honneur l’héritage des same-gender-loving noirs aux États-Unis et qui traite aussi des histoires queer de la diaspora africaine élargie
C&: Comment est-ce que le projet Brother(hood) a commencé ?
Ricarrdo Valentine: Nous avions créé des solos chacun de notre côté, moi plus spécifiquement pour le Bates Dance Festival [dans le Maine], et nous avons réalisé que nous travaillions sur les mêmes thèmes. Nous avons longuement réfléchi ensemble. Nous avons aussi parlé du fait de voir deux hommes de couleur connus au sein de la communauté de la danse. Souvent, on donne à voir un Noir et un Blanc ou des collaborations interculturelles. Nous voulions présenter une nouvelle narration et de nouvelles images sur le devant de la scène. Brother(hood) a été réellement créé dans notre chambre à coucher, et nous mettons le « hood » entre parenthèses parce que je suis de Brooklyn avec des parents de Jamaïque et Orlando vient du Nord de Minneapolis.
Orlando Hunter: Le « hood » a été un espace d’innovation, de création, de lutte et de triomphe. Et je pense souvent que, lorsque l’on commence à bouger et s’élever dans la société, on oublie ces espaces. L’idée du ghetto devient négative, la chose que l’on veut vraiment refouler. Mais c’est ce qui a fait ce que nous sommes. Alors qu’est-ce que cela signifie de créer avec ce type d’énergie ? Nous considérons cela aussi depuis une perspective de Black womanist, car nous comprenons que l’idée de fraternité (brotherhood) est liée au patriarcat.
C&: Pensez-vous beaucoup à la politique au cours de la création ?
RV: Toujours. Je pense qu’être un descendant jamaïcain et une personne same-gender-loving vivant aux États-Unis, c’est déjà politique. C’est courageux de créer ce type d’œuvre avec Orlando.
OH: Nous réfléchissons beaucoup à l’identité, et nous sommes définitivement des enfants de la politique de l’identité, tandis que la génération précédente inventait ces termes et ces définitions. Nous pouvons enfin voir partout dans l’histoire que l’art est un instrument puissant de transformation des sociétés. C’est pourquoi il nous importe de créer une œuvre que nous savons et espérons transformative.
C&: Je voulais aussi vous parler du terme « queer » et discuter des problématiques qu’il recoupe. Lorsque l’on considère votre travail, on constate que vous traitez très consciemment de l’héritage du queer noir aux États-Unis.
OH: C’est exactement où l’on en est actuellement dans notre échange. Nous avons récemment conçu un spectacle intitulé How to survive a Plague (comment survivre à une épidémie) dans lequel nous considérons l’épidémie du SIDA d’un point de vue mondial et en rapport avec les États-Unis, et où nous nous intéressons à ce que nous appelons la « proposition gay », essentiellement associée à une identité blanche. Dans les années 1980 et 1990, les hommes noirs ont réalisé qu’ils n’y avaient pas leur place et ils se sont inventé un espace plus étendu, créant alors le concept de same-gender-loving.
C&: Comment cela influence-t-il votre travail ? Comment transmettez-vous cette énergie ?
OH: Le spectacle Black Jones, par exemple, évolue autour de l’idée de vouloir, de désirer, de « Jones », cet homme et cette entité noire, dans un monde si anti-Noir. Nous avons recours à la juxtaposition d’un homme en costume et d’un homme en sweat à capuche, sur le poème de Claudia Rankine, Stop and Frisk, et nous assistons à ces deux personnages qui se dévoilent et découvrent qu’ils sont tout à fait pareils.
RV: Et il est important de montrer tout ça parce que nous sommes constamment entourés d’images de cis, de Blancs, d’hétéronormatifs.
C&: Je sais que l’érotisme est devenu une large composante de votre travail également. Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur ce thème ?
RV: Récemment, nous nous sommes rendus en Haïti et nous avons vu une exposition de photos de Josué Azor. Il a pris des clichés érotiques de deux hommes en Haïti. Le résultat est radical et révolutionnaire dans la mesure où nous voyons enfin des photos de deux hommes s’aimant dans un contexte caribéen. Lorsque nous sommes entrés dans la salle, j’ai vu défiler un happening de danse à travers ces images. Par exemple, j’ai vu comment nous insufflons du mouvement à de telles photos dans notre travail. Juste le fait de voir des hommes noirs proches, se touchant, s’embrassant, prenant des poses que l’on imaginerait uniquement. Nous nous inspirons aussi beaucoup du travail d’Audre Lorde sur l’érotisme. Il s’agit de nous émanciper dans un monde qui ne pense même pas que nous sommes beaux.
C&: Où imaginez-vous Brother(hood) dans cinq ans ?
OH: J’aimerais vivre quelque part où nous accueillerions des résidences, où nous pourrions nous produire et enseigner. Je nous souhaite de travailler à plusieurs niveaux dans ce domaine. En tant que collectif, qu’est-ce que cela signifie pour nous de passer dans le XXIe siècle ? L’idée d’une compagnie évoque une certaine structure hiérarchique dans un monde capitaliste blanc. Nous avons été heureux de travailler dans des cadres collectifs, d’avoir différents artistes pour partenaires et de bénéficier de divers espaces. Nous sommes ouverts à d’autres projets d’artistes qui ont surfé avant nous sur les structures capitalistes blanches en essayant de trouver la meilleure façon d’avancer.
Magnus Rosengarten est un écrivain et artiste basé à New York.
Traduit de l’anglais par Myriam Ochoa-Suel.
Cet article a été publié pour la première fois dans notre dernière édition papier #8. Lisez l’édition complète ici.
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