C& est partenaire médiatique de l'exposition “The Divine Comedy: Heaven, Hell, Purgatory revisited by Contemporary African Artists” au MMK, musée d'art modern. Conçue de façon à part entière avec l'événement, C& propose une série de conversations inédites avec les artistes participants.
MMK/C& : Le point de départ de l’exposition est la « Divine Comédie » de Dante. Dans quelle mesure avez-vous véritablement travaillé sur l’oeuvre de Dante pendant la préparation à l’exposition ?
Guy Tillim : Je ne suis pas un spécialiste de Dante. Cela constitue évidemment un handicap pour mes interprétations et réflexions relatives au poème et je me base donc sur les annotations, commentaires et explications que je trouve ailleurs.
MMK/C& : En fusionnant les croyances chrétiennes et les valeurs morales ainsi que les thèmes païens classiques, la « Divine Comédie » représente un concept de société, des valeurs et une culture profondément enracinés dans l’eurocentrisme. L’exposition a pour objectif de démanteler la prérogative d’interprétation européenne et de la considérer sous un autre angle. Dans quelle mesure pensez-vous que cette approche puisse aboutir à une remise en question générale de la souveraineté de l’interprétation euro-centrique ?
GT : Cela dépend de la façon dont la question est posée… La seule manière de comprendre des interprétations euro-centriques est de mener un dialogue avec soi-même, et pour pouvoir mener ce dialogue, il est peut-être nécessaire de disposer d’un forum tel que cette exposition.
MMK/C& : Dans l’histoire de l’art du Nord de l’Europe et de l’Amérique, la « Divine Comédie » a été interprétée par de nombreux artistes (tels que Botticelli, Delacroix, Blake, Rodin, Dalí ou Robert Rauschenberg) – dans quelle mesure cela a-t-il influencé la manière dont vous avez traité le sujet ?
GT: Je dispose de certaines conceptions relatives à ma pratique de l’art et je trouve des parallèles dans le poème de Dante grâce à mon expérience de l’appareil photo marquée par une certaine introspection et qui a contribué à une sorte de révélation : la scène en face de moi parle à travers moi ou du moins est-ce l’état auquel j’aspire. Il est souhaitable de rester invisible dans ce qui fait l’objet d’une médiation.
MMK/C& : Comment interviennent la religion et l’éthique dans votre pratique de l’art ? Et par conséquent, que signifient les termes paradis/enfer/purgatoire à vos yeux ?
GT: A mon avis, la morale n’est pas la conséquence de la religion, ceux qui le supposent ou appliquent cette idée créent l’enfer sur terre. Le paradis serait l’absence de religion, plutôt des finesses de l’éthique faisant l’objet de discussions à la manière de Socrate.
MMK/C& : L’exposition compte plus de 50 oeuvres d’art réparties entre les zones du paradis, de l’enfer et du purgatoire. A quelle partie de l’au-delà votre œuvre appartient-elle ? Comment cette répartition s’est-elle opérée ?
GT : Au paradis. Quand j’ai rencontré Simon lors d’une soirée à Paris, la première chose qu’il a dite, était : « Paradis ou purgatoire ? ». J’ai répondu paradis.
MMK/C& : De quoi parlent les oeuvres exposées au MMK ?
GT : En faisant des photos du paysage, je suis confronté à la difficulté de voir vraiment le paysage. C’est un espace qui change d’aspect en fonction d’un regard ou d’un semblant d’idée. Il y a peut-être moyen de faire participer davantage un spectateur qui se déplace dans l’espace de cette image potentielle, là où les éléments divers ne sont ni manifestes ni dissimulés. L’impulsion de transmettre une vue ou quelque chose d’inconnu par rapport à mon insignifiance dans la scène est presque irrésistible. Quand je porte la lentille à mon œil, j’hésite. Peut-être sommes-nous à la recherche de certitudes dans les clichés, ces motifs souvent utilisés de manière inappropriée dans la description de paysages qui tendent à filtrer certains éléments alors qu’ils en renient d’autres. Peut-être que la scène n’est belle que si tous les éléments font visiblement partie de l’ensemble. Une position politique – ici un bulldozer ou un caniveau dégoûtant au paradis – est insoutenable.
Donc je reviens à ce qui semble être des principes de base et invariablement, ce sont des clichés. Il y a des façons claires de faire passer les éléments de la scène : soit par le détail, soit par l’aspect monumental. Mais qu’en est-il de ce qui se trouve entre les deux, l’espace indéterminé qui transmet le type de lieu, le sentiment qui en émane, la sensation qu’il procure, les éléments du quotidien qu’il présente à côté des éléments spectaculaires ? Je pense qu’il n’y a pas de réponse car au fond, chaque scène est un lieu de méditation, de vide. Elle fournit son propre contexte car d’un certain point de vue, elle ne peut pas exister ailleurs. Qu’est-ce qui a été photographié ? Rien et tout à la fois, quand on n’a pas envie de quitter le cadre.
L’exposition The Divine Comedy: Heaven, Hell, Purgatory revisited by Contemporary African Artists commissariée par Simon Njami, MMK / Museum für Moderne Kunst, 21 mars – 27 juillet 2014, à Francfort-sur-le-Main.
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