“Afterlives of History”

Les temporalités stratifiées du Cap-Vert émergent dans l’œuvre de César Schofield Cardoso

Ana Nolasco explore l'œuvre de César Schofield Cardoso, en examinant le passé colonial du Cap-Vert, la mémoire et l'impact du capitalisme mondial sur l'identité.

César Schofield Cardoso, Perpetual Cycle from Rust series, 2017. Courtesy the artist.

César Schofield Cardoso, Perpetual Cycle from Rust series, 2017. Courtesy the artist.

By Ana Nolasco

Le Portugal abrite l’une des plus grandes communautés afro-diasporiques en Europe, liée à des pays lusophones tels que le Cap-Vert, l’Angola, São Tomé et Príncipe, la Guinée-Bissau et le Mozambique. En tant que premier empire colonial occidental, le Portugal a tracé les grandes lignes directrices des inégalités mondiales d’aujourd’hui. Cette réalité, ainsi que la crise persistante à laquelle le pays est confronté, conditionnent la visibilité internationale de la communauté afro-diasporique du Portugal. Cette série, intitulée « Afterlives of History », met en lumière ses artistes dans toute leur variété et leur complexité. Après les deux portraits de Filipa Bousset et d’Unidigrazz réalisés par Guilherme Vilhena Martins, cette contribution d’Ana Nolasco se concentre sur l’œuvre de César Schofield Cardoso.

Né en 1973, l’artiste cap-verdien César Schofield Cardoso appartient à une génération d’artistes qui utilisent les hypermédias pour exploiter la mémoire collective, explorer de multiples langages visuels et remettre en question les aspirations de la modernité, établissant ainsi les bases d’une récupération de l’héritage culturel africain déplacé. Travaillant avec la photographie, la programmation et le cinéma, son approche combine la recherche poétique et l’enquête critique sur l’identité déterritorialisée de la société cap-verdienne contemporaine.

César Schofield Cardoso, Surrounding Sea from Rust series, 2017. Courtesy the artist.

Le passé colonial de la nation a entraîné la suppression de l’expression artistique, et ce n’est qu’après l’indépendance, en 1975, que des efforts ont été déployés pour créer une véritable production artistique cap-verdienne, sous l’impulsion de la stratégie de réafricanisation promue par le Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert. Ces dernières années, cependant, une évolution vers un discours de « créolité » a pris de l’ampleur, liée à l’expansion du marché et à la mobilité sociale ascendante. Cette identité créole particulière, qui remonte au mouvement autour de la revue littéraire Claridade, fondée en 1936, présente les Capverdiens comme des médiateurs entre les cultures européennes et africaines, reflétant les idéologies racistes du dix-neuvième siècle. Schofield Cardoso critique l’adoption de paradigmes culturels exogènes dans des œuvres, notamment à travers l’installation vidéo Repúblika (2014), qui aborde l’héritage politique du leader anticolonial Amílcar Cabral conjointement à des préoccupations plus larges telles que l’immigration et l’exploitation des ressources au Cap-Vert.

César Schofield Cardoso, Repúblika, 2014. Video still. Courtesy the artist.

La mémoire est au cœur de la pratique de Schofield Cardoso, qui juxtapose souvent passé et futur de manière à nous inviter à repenser les histoires oubliées et leur pertinence pour les luttes contemporaines. La série Rust (2017) se concentre sur l’amnésie coloniale, par exemple, tandis que Beton (2017) et Espaços Vacilantes (Espaces réticents, 2019) examinent comment les stratégies du capitalisme mondial ont façonné l’identité cap-verdienne.

Rust, qui faisait partie du projet A Glimmer of Freedom organisé par Márcia Bruno à l’ancienne colonie pénitentiaire de Tarrafal en 2017, comprenait trois pièces multimédias spécifiques in situ : Surrounding Seas, Perpetual Cycle et Hard Water. Dans Surrounding Seas, des projections, des sons et des photographies ont créé un environnement immersif, rappelant des récits de survie et la famine de 1947-48. Perpetual Cycle juxtapose des images d’archives coloniales de travail forcé et d’exploitation avec des scènes contemporaines de lutte, remettant en question le mythe colonial portugais persistant d’une nation véritablement multiraciale. Hard Water, avec des jerrycans illuminés et une installation sonore qui les accompagne, met en lumière la lutte quotidienne des femmes cap-verdiennes pour l’accès à l’eau.

César Schofield Cardoso, Hard Water from Rust series, 2017. Courtesy the artist.

Les trois installations cartographient les défis croisés des Cap-Verdiens d’hier et d’aujourd’hui : la quête quotidienne de la population racialisée pour la subsistance dans un environnement marqué par l’isolement géographique et l’aridité, exacerbés par l’exploitation violente des ressources par les puissants. L’évocation des moments historiques par Schofield Cardoso s’aligne sur la théorie de Paul Ricœur de l’« idéologisation de la mémoire », c’est-à-dire la façon dont l’amnésie collective est manipulée par les systèmes de pouvoir et doit être contrée par la révision et la réécriture de l’histoire : le devoir de vérité à l’égard du passé. Les vagues déferlantes, les photographies aux tons sépia et les prières murmurées dans Surrounding Sea réactivent les archives mémorielles pour nous confronter aux temporalités stratifiées du Cap-Vert.

La réanimation par Rust de souvenirs traumatiques légués par les générations précédentes fonctionne en engageant les spectateurs sur les plans tactiles et émotionnels, notamment par le biais d’éléments tels que les rochers, sur lesquels des images sont projetées dans Surrounding Seas, ou encore les jerrycans incandescents dans Hard Water.

César Schofield Cardoso, Espaços Vacilantes, 2019. Courtesy the artist.

Présenté avec la série Espaços Vacilantes à la Galeria ATC de Tenerife en 2023, Beton met en contraste les aspirations de modernité avec les dures réalités du « progrès ». La vidéo juxtapose des images de constructions en béton avec des pauses contemplatives des ouvriers, remettant en question la temporalité linéaire du développement néolibéral. Le béton omniprésent symbolise une modernité européenne étrangère aux réalités cap-verdiennes, tandis que le rythme lent des ouvriers reflète un rejet de l’efficacité capitaliste.

Dans Espaços Vacilantes, Schofield Cardoso présente des photographies austères et décontextualisées de bâtiments inachevés ou habités de manière précaire dans le Bairro da Cidadela, à Praia. Ces structures, initialement promues comme faisant partie d’une « ville du futur », représentent des métaphores d’une identité cap-verdienne fracturée par des modèles extérieurs. Les images rappellent l’esthétique de l’école New Topographics, un groupe de photographes paysagistes principalement américains réunis dans les années 1970 à New York, dans laquelle des espaces désolés construits par l’homme évoquent un sentiment d’étrangeté. Contrairement aux ruines abandonnées, les images de bâtiments habités de Schofield Cardoso provoquent un malaise en raison de leur apparence monolithique et de leur cadrage claustrophobique, reflétant la fragmentation sociale du Cap-Vert.

César Schofield Cardoso, Beton, 2017. Film still. Courtesy the artist.

Ces espaces liminaires suggèrent une population prise entre une classe d’élite déconnectée et des modèles d’identité importés, façonnés par des puissances extérieures. Les photographies de Schofield Cardoso soulignent l’incertitude ontologique de cette société fracturée, révélant les ruines des aspirations individuelles engendrées par le modernisme occidental et la gouvernementalité néolibérale. La « réticence » présente dans le titre de la série et dans les bâtiments eux-mêmes reflète une hésitation plus large dans la définition d’une identité nationale unifiée.

Schofield Cardoso nous met donc au défi de nous engager dans les histoires fracturées et les futurs incertains qui façonnent la société cap-verdienne. Son œuvre invite à un processus de dialogue, mettant en évidence les contradictions et promouvant une réflexion critique sans offrir de solutions faciles, incitant à une réflexion personnelle et collective sur les complexités de l’identité cap-verdienne dans un monde postcolonial et mondialisé.

 

Ce texte est une version abrégée de « Dialogical Art : Cartographies of Memory and Affection in the work of César Schofield Cardoso », publié dans le livre Atlantica : Contemporary Art from Cabo Verde, Guinea Bissau, São Tomé and Príncipe and Their Diasporas, Archive Books, 2021.

 

Ana Nolasco est titulaire d’un post-doctorat en art et design de l’IADE – Université européenne. Elle est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise en esthétique et philosophie de l’art de la faculté des lettres de l’université de Lisbonne, ainsi que d’une licence en beaux-arts – peinture de la faculté des beaux-arts de l’université de Lisbonne. Elle enseigne la théorie de l’art à l’École des arts de l’université d’Évora et à l’Institut polytechnique de Lisbonne. Elle est l’auteure de plusieurs livres et articles.

 

Traduit par Manyakhalé „Taata“ Diawara. 

 

„AFTERLIVES OF HISTORY"

C& BOOK #02

C&’s second book "All that it holds. Tout ce qu’elle renferme. Tudo o que ela abarca. Todo lo que ella alberga." is a curated selection of texts representing a plurality of voices on contemporary art from Africa and the global diaspora.

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