Will Furtado s'interroge sur la diaspora globale

Multiplier les perspectives

Notes sur la manière dont une vision élargie du concept de négritude [Blackness] occupe le devant de la scène dans les médias grand public.

GURUMBÉ: 
AFRO-ANDALOUISIAN MEMORIES, Filmstill. A film by Miguel Angel Rosales, Spain/Mexico/Portugal/Senegal, 2016, Documentary, 72 min.

GURUMBÉ: AFRO-ANDALOUISIAN MEMORIES, Filmstill. A film by Miguel Angel Rosales, Spain/Mexico/Portugal/Senegal, 2016, Documentary, 72 min.

By Will Furtado

La négritude a le vent en poupe. Ou plutôt les Négritudes ont le vent en poupe. Avec une production culturelle noire étant de plus en plus visible et le mouvement « Black Lives Matter » toujours plus global, les conversations sur la négritude et ses significations deviennent un incontournable des médias grand public dans de multiple pays. La présence de la négritude dans les débats publics n’est pas nouvelle. En revanche, ce qui a changé, c’est le nombre de sujets écrits, discutés, et débattus, et ce, non pas uniquement par des personnes Noires.

La négritude est en cours de conceptualisation, de contextualisation et de recontextualisation. Depuis sa création en 2013, le mouvement BLM a gagné en vitalité. Tristement, ce dynamisme survient à la suite de meurtres commis sur des personnes Noires pauvres. Depuis celui de George Floyd aux États-Unis le 25 mai dernier, une vague internationale s’est déclenchée, non pas dans un élan de solidarité, comme le laisse penser l’utilisation d’un carré noir symbolique sur les réseaux sociaux, mais bien dans un mouvement de conscientisation. Le monde a de nouveau pris conscience qu’en 2020, les structures racistes restent rigides et meurtrières. De multiples discussions ont interrogé le dilemme dialectique de savoir si le fait de poster un carré noir n’a aucun sens ou vaut toujours mieux que rien. Je dirais que si nous plaçons le droit à l’existence des vies Noires comme objectif principal, un carré noir peut aussi être une contribution valable, même s’il n’est pas exempt de critiques.

D’autres dilemmes sont apparus. Quelles que soient les intentions du controversé président turc Recep Tayyip Erdoğan lorsqu’il a tweeté un message à propos de George Floyd, il a amené des milliers de personnes, qui ne l’auraient pas fait autrement, à penser à sa mort. Cet acte a conduit des chauffeur·euses de taxi turc·ques de Berlin à klaxonner en signe de solidarité (au sens large) et, dans une certaine mesure, à établir des analogies entre l’oppression que subissent les populations Noires et les personnes migrantes turques.

Mahdi Ehsaei, Afro Iran. (Detail). Courtesy the artist.La diaspora africaine est véritablement planétaire, il n’existe quasiment aucun endroit sur terre où sa présence est absente. De l’Iran, où les personnes Afro-Iraniennes descendent d’anciens peuples marchands, à la Chine, où l’autrice, dramaturge, compositrice et activiste américaine Shirley Graham Du Bois est enterrée au cimetière révolutionnaire de Babaoshan à Beijing parmi les figures héroïques nationales chinoises, en passant par la péninsule ibérique, où l’on redécouvre la contribution fondamentale Noire au flamenco.

Parce que la négritude est si étroitement liée aux idées d’oppression, elle est également synonyme de libération, de toutes sortes. Et c’est cette compréhension élargie de la négritude dans la culture dominante qui est au centre de l’attention ici. Prenez par exemple la chanson WAP de Cardi B et Megan Thee Stallion, point de départ pour le quotidien conservateur allemand FAZ, d’une réflexion sur la négritude selon le point de vue de deux femmes Noires exprimant sans honte leur joie du sexe, aspirant à délester le mot « whore » [pute] de ses connotations négatives.

Avec toute sa complexité, la négritude est entrée dans le discours critique pour remettre en question le colonialisme et proposer une vision alternative du monde que nous connaissons aujourd’hui. Ceci peut inclure, sans s’y limiter, l’abolition de la police et du système pénitentiaire, l’annulation de la dette, la redistribution des richesses, la durabilité et la garantie des droits pour tous les individus.

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Au moment où j’écris ces mots, #blacklivesmatter est l’hashtag le plus utilisé sur Twitter Allemagne. La couverture du numéro de septembre de l’édition étatsunienne de Vogue présente des peintures de Kerry James Marshall et de Jordan Casteel, celle de Vanity Fair a choisi un portait de Breonna Taylor, et celle du VogueRoyaume-Uni réunit vingt personnalités militantes, dont Angela Davis, Tamika Mallory et Adwoa Aboah.

Après avoir été marginalisée pendant tant de siècles, la négritude se rapproche du devant de la scène. Cela ne va pas sans poser des problèmes ontologiques. Qu’en est-il de l’appropriation et de la réappropriation ? Qui a le droit d’être Noir·e, d’être politiquement Noir·e, d’apprécier la culture Noire et de se l’approprier dans un monde capitaliste tardif ?

Les réponses sont loin d’être simples. La négritude existe sous de multiples formes et a influencé le monde autant que le monde l’a influencé. La négritude dans sa forme la plus désinhibée remet en question les concepts d’essentialisme. Colored, prieto, negro, neguinha, morena, African American, POC, simply Black, tout simplement Noir·e. Quel individu Noir n’a pas dû traverser différentes montagnes russes d’autodénominations au cours de son existence ?

La négritude est multiple et, en définitive, les personnes africaines et la diaspora continueront à redéfinir ce qu’elle signifie et à qui elle s’adresse. Le monde est en train de rattraper son retard, tandis que la renaissance de la culture Noire prouve encore et toujours que si la négritude n’est pas universelle, sa pertinence l’est.

 

Texte par Will Furtado.

 

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